Amende record en vue pour la BNP : la naine France impuissante face à un nouvel impérialisme américain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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D'après les informations du Wall Street Journal et du New-York Times, la BNP Paribas pourrait se voir infliger une amende de près de 8 milliards de dollars pour avoir contourné l'embargo américain en Iran, à Cuba et au Soudan.
D'après les informations du Wall Street Journal et du New-York Times, la BNP Paribas pourrait se voir infliger une amende de près de 8 milliards de dollars pour avoir contourné l'embargo américain en Iran, à Cuba et au Soudan.
©Reuters

Derrière les apparences

D'après les informations du Wall Street Journal et du New-York Times, la BNP Paribas pourrait se voir infliger une amende de près de 8 milliards de dollars pour avoir contourné l'embargo américain en Iran, à Cuba et au Soudan. Une sanction record qui soulève des interrogations alors que la banque JP Morgan n'a payé "que" 13 milliards de dollars pour avoir partiellement provoqué la crise des subprimes en 2008. L'affaire semble posséder en vérité une dimension diplomatique qui pourrait inquiéter bien d'autres banques européennes.

Guy Millière

Guy Millière

Guy Millière est un géopolitologue et écrivain français. Il est "senior advisor" pour le think tank  Gatestone Institute à  New York, et auteur du livre Le désastre Obama  (édition Tatamis).

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Philippe Béchade

Philippe Béchade

Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers.

Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme. Rédacteur aux Publications Agora, vous trouvez chaque jour ses analyses impertinentes des marchés dans La Chronique Agora.

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  • Le Wall Street Journal et le New-York Times ont révélé que la BNP est actuellement en négociations avec la justice américaine pour réduire une amende de 8 à 10 milliards de dollars suite au contournement par la banque française des embargos sur l'Iran, le Soudan et Cuba. 

  • La décision apparaît extrêmement sévère alors que le contribuable américain n'a subi aucun impact direct à la suite de ces opérations. 

  • Si la sanction se voyait confirmée, de nombreux autres établissements bancaires européens pourraient aussi se voir infligés des amendes conséquentes aux Etats-Unis.

  • L'affaire intervient alors que les négociations sur un nouveau volet du Traité transatlantique vont débuter et que des réticences se manifestent du côté européen. 

Atlantico : La justice américaine s'apprêterait à infliger une amende de plusieurs milliards de dollars à BNP Paribas. Comment interpréter cette décision dans le cadre économique et géopolitique actuel ?

Philippe Béchade : C'est déjà, à un niveau très personnel, une tentative d'Eric Holder (Secrétaire d'Etat à la justice, NDLR) de se faire un nom en traitant un dossier médiatique avec sévérité. On sait par ailleurs que des négociation secrètes vont reprendre entre Washington et Bruxelles sur le fameux traité TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) que l'on pourrait décrire comme la version 2.0 du Traité Transatlantique tel qu'on l'a connu jusqu'ici. On peut ainsi interpréter, entre autres, les déboires juridiques de BNP Paribas comme un moyen de faire pression sur les Européens afin de s'assurer une souplesse optimale dans le cadre de la rédaction de ce futur accord.

Par ailleurs, les administrations fiscales françaises et européennes se sont comme chacun sait intéressées ces derniers mois au cas de plusieurs géants américains (dont Google, Apple, et E-booking) afin de modérer la politique d'optimisation, voire parfois d'évasion fiscale, de structures qui payent effectivement très peu d'impôts aux gouvernements du Vieux Continent. Dans le cas du FISC français on peut même affirmer qu'il y a eu un abus de droit manifeste. L'engagement de mesures outre-Atlantique contre BNP Paribas sonne ainsi comme une revanche, même une intimidation, visant à répliquer aux velléités des Etats européens sur certaines entreprises américaines. Derrière cette affaire, il s'agit donc bien d'un "coup de pression" qui relève d'une dimension autrement plus vaste que celle du simple secteur bancaire. 

On peut aussi noter le fait que cette éventuelle condamnation se baserait sur des opérations qui n'ont causé aucun dommage pour les citoyens américains puisque l'on parle ici de transactions effectuées dans des pays comme l'Iran, le Soudan ou Cuba, et aucunement de fraude à l'égard de l'administration fiscale américaine comme cela a été le cas pour Crédit Suisse. A l'époque où BNP Paribas a débuté ces mouvements de fond, aucune action en justice n'avait été engagée par la justice américaine, et l'on peut s'interroger sur l'intervention de sanctions 12 ans après les faits alors que la banque française réalise d'importants bénéfices. Il ne s'agit donc bien en aucun cas d'une affaire de vertu financière mais bien d'une externalité de la politique d'embargo menée par les Etats-Unis. 

Guy Millière : Il faut avant tout y voir une volonté de la justice américaine de montrer qu'elle est à même de réprimander les fraudes financières, la première banque française étant loin d'être la première à être condamnée pour fraude aux Etats-Unis. JP Morgan Chase a notamment écoppée il y a peu d'une amende de 13 Milliards pour les activités liées à la gestion des subprimes dans les années qui ont précédé la crise de 2008. BNP Paribas devrait être condamnée pour avoir mener des transactions en dollars dans des pays sous embargo, et il s'agit là d'un moyen pour la justice américaine de marquer le coup pour mieux dissuader ceux qui pourraient aussi être tentés de violer les embargos. Ainsi, il est probable que la BNP soit contrainte de revendre certains de ses biens propres et de ses actions si elle est effectivement amenée à honorer cette amende. 

S'il faut éventuellement voir un aspect géopolitique à cette affaire, il se porte d'après plutôt sur les relations qu'entretient Washington avec l'Iran, le but étant ici de montrer qu'il ne faut pas prendre à la légère un embargo mis en place par la communauté internationale et que BNP a sciemment contourné. L'autre interprétation possible repose sur le fait que la BNP serait bien placée sur le marché iranien dans le cas où les restrictions commerciales seraient pleinement levées suite aux accords pléminaires de novembre dernier entre l'administration Obama et le régime des ayatollahs. On imaginerait ainsi d'ici quelques mois la fin de l'embargo, et les Etats-Unis auraient en conséquence tout intérêt, toujours selon cette interprétation, à affaiblir la concurrence potentielle des entreprises américaines. 

Christian Noyer, président de la Banque de France, a rappelé que les opérations de BNP étaient conformes au droit français, européen, ainsi qu'aux réglementations des Nations-Unies. Comment donc expliquer le silence des dirigeants européens, et particulièrement de François Hollande ?

Philippe Béchade : Cela peut s'expliquer de deux manières différentes. Il peut s'agir tout d'abord d'une sorte de "couardise ordinaire" de la part de nos décideurs qui n'osent pas par réflexe pavlovien entrer en confrontation avec un tel interlocuteur. Cela peut aussi être une anticipation d'éventuelles représailles économiques dont les conséquences seraient bien trop préjudiciables pour une zone-euro en mal de croissance. La situation est ici très complexe : d'un côté il y a comme je l'ai déjà évoqué les très sensibles négociations sur le TAFTA, de l'autre on trouve la crise ukrainienne qui ne cesse de s'envenimer, bien que les médias n'en parlent pratiquement plus. Les dirigeants européens n'ont ainsi probablement pas envie de fâcher l'allié américain alors que les relations avec Moscou n'ont cessé de se dégrader sur les derniers mois. 

Guy Millière : Pour beaucoup de gouvernements européens, le dossier n'apparaît pas si alarmant que celà, et il en va de même pour le Traité Transatlatique sur lequel la France se montre plus réticente et protectionniste que la plupart de ses voisins qui ont d'avantage tendance à considérer un tel traité comme un avantage. D'éventuels accrocs pourront éventuellement se manifester sur le volet financier de l'accord puisque les législations américaines en la matière sont autrement plus sévères que celles qui existent en Europe à ce jour. Par ailleurs, on peut souligner que les lois américaines s'appliquent plus facilement aux banques européennes que l'inverse qui est impossible puisque les Etats-Unis sont la puissance dominante et leurs monnaie reste absolument incontournable actuellement. 

BNP Paribas est à ce titre particulièrement inquiète de se voir interdire de gérer des transactions en dollars depuis New-York (cette sanction étant actuellement envisagée, NDLR), puisqu'il s'agirait là d'une prohibition qui coûterait autrement plus cher à la banque qu'une éventuelle amende. 

Plusieurs cadres de l'industrie financière européenne s'inquiètent aussi de l'impact d'amendes à répétition sur un secteur qui reste très fragile. Quelles seraient les conséquences d'un nouveau volet de sanctions sur le territoire américain pour ces établissements ?

Philippe Béchade : Si le cas BNP est jugé et qu'il donne effectivement lieu à une amende qui serait colossale (de l'ordre de 8 à 10 milliards, NDLR) au regard de l'absence totale de préjudices pour le contribuable américain, la jurisprudence qui en découlera enverra un message lourd de sens à l'ensemble des banques européennes. Ainsi, si BNP se retrouve effectivement condamné, on peut parier qu'un nombre important d'établissements réalisant des bénéfices sur le sol américain se feront littéralement ratiboiser par l'IRS (équivalent américain du FISC , NDLR). D'autres instituts comme l'allemand Deutsche Bank, le français Société Générale ou encore l'italien UniCredit sont ainsi dans le viseur pour violation d'embargo. Au-delà de ces cas précis, est clair que l'on tentera plus largement de s'approprier une grande partie des bénéfices bancaires des établissements européens sur le territoire des Etats-Unis si une telle décision se voyait confirmée. 

Si BNP décide par ailleurs de plaider coupable pour échapper à une trop lourde amende, l'affaire passera alors au pénal et l'on verra des resonsables partir en prison. On peut considérer une telle peine d'une rare sévérité quand on sait que les opérations inculpées ne relèvent d'aucune faute aux règles de bonnes gestions des transactions financières. S'il y a effectivement eu viol de l'embargo américain, notamment en Iran, il faut de plus rappeler que les opérations en question ont débuté à une époque (2003) où l'on était dans une sorte de "zone grise" au niveau légal. C'est d'autant plus interpellant qu'en parallèle la banque Standard Chatered (basée à Londres) n'a payé "que" 670 millions de dollars pour des infractions similaires, autrement 10 à 15 fois moins que ce que pourrait payer la BNP. 

Quels sont aujourd'hui ceux qui se montrent les plus réticents à cette éventuelle condamnation de BNP Paribas ?

Philippe Béchade : Il est intéressant de voir que c'est paradoxalement une banque américaine comme Goldman Sachs qui est particulièrement inquiétée par ces décisions, cette dernière redoutant que l'on finisse par taper trop fort sur le "petit" partenaire BNP. Les banques européennes sont aussi évidemment préocupées face à la possibilité de voir leurs bénéfices "mangés" par l'IRS où plus directement pour certaines de perdre leurs statuts de spécialistes des valeurs du Trésor américain (statut actuellement accordé à la BNP et la Société Générale). Ce talisman permet de négocier directement avec la Federal Reserve la liquidité disponible sur les marchés, et ainsi mener des opérations sur les marchés dérivés avec des leviers considérables.  Perdre un tel statut reviendrait à perdre sa place de banque mondiale de premier plan et c'est là un fait qui inquiète autant la vingtaine de banques concernées que la Fed elle même. 

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