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Alzheimer : pourquoi l’industrie pharmaceutique se désengage de la recherche sur un traitement
©Pixabay

Tous concernés

Après des dizaines d'années de recherches infructueuses, la communauté scientifique engagée dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer doit faire face au fatalisme et à un sentiment de découragement. Pour autant, les pistes restent nombreuses à explorer.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Alors que la population des plus de 60 ans pourrait atteindre le chiffre de 2 milliards de personnes à horizon 2050, tout en considérant - pour le cas des Etats Unis - qu'un nouveau cas d'Alzheimer est détecté toutes les 66 secondes, pour un coût total annuel dépassant les 1000 milliards de dollars, aucun nouveau traitement concernant cette maladie n'a pu voir le jour au cours de la dernière décennie. Faut-il interpréter cette situation comme un abandon de la part du secteur pharmaceutique concernant la maladie d'Alzheimer ? Comment l'expliquer ? 

Andre Nieoullon : Le constat est effectivement amer : nous sommes là devant un échec majeur de la recherche biomédicale et pharmaceutique de ces trente dernières années. Il faut le reconnaître objectivement, en dépit de progrès considérables sur les connaissances du cerveau et de ses maladies, nous n’avons pas été capables d’apporter une solution réelle aux millions de patients souffrant de démence, sinon de fournir des accompagnements susceptibles de pallier au mieux la détresse de ces personnes et de leur famille. Vous le rappelez, si l’augmentation de l’espérance de vie de la population mondiale –supérieure ou de près de 80 ans en moyenne dans les pays industrialisés et en augmentation constante partout ailleurs- peut être considérée comme une situation inédite de l’humanité porteuse d’un espoir lumineux, il n’en reste pas moins qu’il existe un revers beaucoup plus sombre à ce constat, lié à l’augmentation inéluctable –au moins pour le moment- du nombre de personnes souffrant d’une forme ou d’une autre de démence. En effet, chacun s’accorde à constater que le premier facteur de risque de développer une telle pathologie est bien l’avancée en âge, et qu’au-delà de 80 ans la probabilité d’une altération des facultés intellectuelles et d’une dépendance sont considérablement accrues.

Considérant que parmi ces personnes souffrant d’un état démentiel la plupart pourrait être atteinte de la maladie d’Alzheimer même si la situation est probablement plus complexe, il n’en reste pas moins que nous ne disposons à ce stade ni de médicaments capables de stopper ou même seulement de ralentir l’évolution de ces états démentiels (ce qui est le but ultime des recherches en Neurosciences dans ce domaine), ni surtout de pouvoir s’opposer aux signes cliniques de la maladie trop souvent ramenés à une altération des facultés mnésiques alors même que la perte d’autonomie au quotidien, la dépersonnalisation et la désocialisation progressive des personnes sont parmi les stigmates les plus retentissants de ces états. Dans ce domaine pourtant, l’espoir s’est fait jour il y a de cela plusieurs décennies lorsque les chercheurs ont tenté de corréler les atteintes des fonctions cognitives à la dégénérescence d’une catégorie de neurones du cerveau, les neurones à acétylcholine, un neurotransmetteur essentiel du fonctionnement cérébral. Et c’est à partir de cette hypothèse assurément trop réductrice qu’ont été développés les premiers médicaments susceptibles d’améliorer l’état des patients. Plus de vingt ans après il faut admettre que ces médicaments n’ont pas été à la hauteur des attentes des malades, et de nombreuses voix se sont élevées au cours des dernières années pour accabler les laboratoires qui les ont produits, en commençant par réclamer haut et fort leur déremboursement au motif que le bénéfice rendu au patient n’était pas certain, et que même, dans certains cas, ces médicaments  pouvaient avoir des effets délétères sur les patients. Pour avoir participé à cette recherche, il me semble qu’il faut faire preuve de mesure dans les propos et considérer que, dans le contexte de l’époque, il n’y avait pas d’alternative, et ainsi que la « piste cholinergique » suscitait un espoir véritable. De fait, il est des patients qui sont aidés, même si cela est modeste, par ces médicaments, et sans doute l’échec ressenti par la communauté est lié au moins à l’hétérogénéité de ces états démentiels qui sont « emballés » sous une même étiquette de « maladie d’Alzheimer ». Indéniablement, l’affaire est beaucoup plus complexe ! Mais aujourd’hui ces médicaments sont manifestement condamnés et l’un des plus importants laboratoires du domaine a annoncé très récemment le retrait de sa molécule.

Alors, où en sommes-nous ? A l’heure où j’écris ces lignes plus d’une centaine de molécules sont encore en développement. Il est donc exagéré de parler de désengagement de l’industrie pharmaceutique. Mais, en même temps, le constat est là encore celui de l’inefficacité de la plupart de ces molécules en développement ; et la plupart des pistes thérapeutiques tombent les unes après les autres… Dans ce contexte une forme de fatalité, sinon de découragement, touche la communauté scientifique et médicale, et il est bien compréhensible qu’à la fois les patients et leur famille au travers d’associations toujours plus nombreuses s’impatientent et crient à une forme d’abandon, et que les actionnaires de ces « big pharma », qui ne sont pas des philanthropes, réclament des réorientations des recherches vers des domaines plus porteurs… Mais, s’il faut élargir le débat, il est notable que ce manque d’efficacité de la recherche neurologique et psychiatrique n’est pas l’apanage de la maladie d’Alzheimer et qu’en fait il est peu de progrès thérapeutique liés à la découverte de nouveaux médicaments pour la plupart des affections neurologiques à quelques très rares exceptions près, depuis plusieurs décennies. Par exemple, dans le cas de la maladie de Parkinson, une autre affection neurodégénérative majeure, les médicaments actuels ont tous plus de 30 ans ! Alors que faire ? Mon crédo d’observateur privilégié est de répéter sans cesse qu’il faut faire confiance aux progrès des Neurosciences et que le moment viendra où de nouveaux paradigmes seront introduits en rapport avec les connaissances nouvelles, qui permettront des avancées thérapeutiques. Par nature, mon optimisme m’incite à écrire que ce moment n’est pas si loin et que, déjà, dans le silence des laboratoires, quelques pistes nouvelles sont explorées. Le temps du patient n’est cependant pas celui de la recherche, nous en avons bien conscience, et devant l’ampleur de la catastrophe annoncée la communauté incluant les acteurs de l’industrie pharmaceutique ne doit pas faiblir et bien au contraire redoubler d’énergie pour avancer, à condition cependant qu’ils en aient les moyens…

Quels sont les enjeux d'une telle situation ? Les pouvoirs publics devraient-ils intervenir davantage pour assurer une meilleure prise en compte de la maladie d'Alzheimer par la recherche ? Quels sont les moyens permettant d'inciter au résultat en la matière ? 

Les pouvoirs publics ont de fait pris conscience depuis de nombreuses années de la situation et surtout de la catastrophe « annoncée » que j’évoquais précédemment. Dès 2008 un premier « Plan Alzheimer » quinquennal a été mis en place par l’Etat, bien qu’il faille constater que celui-ci était principalement orienté vers une meilleure prise en charge des patients incluant le diagnostic précoce et le développement de structures appropriées. Un effort vers la recherche a été également consenti mais sans doute les délais étaient trop courts pour mesurer son impact, au moins sur les connaissances. Depuis 2012 un nouveau plan, élargi judicieusement à l’ensemble des maladies neurodégénératives, a succédé au premier, considérant que dans les mécanismes au moins de la mort neuronale des similitudes permettraient une meilleure appréhension des processus pathologiques. Nous arrivons à l’échéance de ce second plan et la communauté des chercheurs et des associations de patients est attentive à ce qu’il va se passer maintenant. Mais il est clair que –je le répète- le temps de la recherche n’est pas celui des malades et que le bilan ne pourra être réduit à d’hypothétiques résultats concrets, à ce stade.  Il faut par ailleurs ajouter qu’au niveau de l’Union Européenne la Commission a également mis en place un plan important pour les maladies liées au vieillissement, et que nos excellentes équipes du domaine participent activement à ces travaux au travers de réseaux internationaux très performants. J’ai eu le privilège d’entendre un jour un très haut responsable de la recherche de notre pays dire haut et fort de façon péremptoire : « les biologistes de mon organisme de recherche réclament toujours plus de moyens que les autres considérant qu’ils vont guérir l’Alzheimer  demain ». Remarque oh combien exagérée, mais qui traduit le fait que beaucoup reste à faire, y compris pour sensibiliser les décideurs que nous sommes face à un enjeu de santé publique majeur, et que ce n’est pas le moment de baisser la garde ! Quant à l’industrie pharmaceutique, son rapprochement déjà significatif dans certains domaines avec la recherche publique doit lui permettre de ne pas abandonner les quelques 20% de patients au travers le monde souffrant de pathologies neurologiques ou psychiatriques pour un coût social exorbitant.

Au regard du vieillissement en cours, quels sont les risques sur le plus long terme s'il advenait que la recherche ne parvienne pas à trouver de traitements satisfaisants ? Quels sont ces risques de plus long terme qui pourraient nous menacer ? 

Le scénario catastrophe est écrit et vous l’avez rappelé : 2 milliards de personnes âgées de plus de 60 ans à l’horizon 2050, c’est-à-dire demain ! Et donc une proportion considérable de personnes souffrant d’état démentiel dont il faudra assurer la prise en charge. Il est donc chaque jour plus urgent de mettre en avant des solutions, et notamment des traitements efficaces permettant d’agir sur l’étiologie, c’est-à-dire les mécanismes de ces maladies, sans occulter de nouveaux traitements symptomatiques susceptibles agir pour améliorer le quotidien des malades, qui nous font aujourd’hui tellement défaut. Je l’ai indiqué ci-dessus : la recherche doit revoir ses paradigmes expérimentaux qui ont jusque-là tous été mis en échec et procéder ainsi à une révolution intellectuelle radicale susceptible de partir sur de nouvelles bases. Conceptuellement, nous sommes englués dans des paradigmes dépassés, dont nous avons fait le tour. Bien entendu, ce constat est douloureux mais l’espoir est à ce prix. Agir par ailleurs sur le diagnostic précoce de ces états démentiels et surtout sur le caractère différentiel de pathologies nombreuses affectant toutes les fonctions cognitives est également un objectif afin de distinguer les causes et les mécanismes de pathologies vraisemblablement très différentes mais se traduisant toutes par une dégénérescence de populations neuronales ciblées. Et peut-être se préoccuper aussi de prévention, considérant que parmi les facteurs de risque de ces états démentiels nous allons retrouver des éléments connus, comme les troubles cardio-vasculaires (hypertension artérielle, atteintes vasculaires, etc.) ou des atteintes métaboliques comme le diabète ou liés à la consommation d’alcool. Dans ce domaine un réel espoir se fait jour et, même si les données sont encore controversées, il semble qu’une meilleure prise en charge précoce de ces pathologies minimise réellement leur impact sur le développement des démences. Une lueur d’espoir ? Dans ce domaine, tout est bon à prendre et il parait urgent d’aller plus avant dans cette direction, sans minimiser les travaux plus fondamentaux sur les processus neurodégénératifs.

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