Alors que la crise est censée s'éloigner, pourquoi y a-t-il autant de défaillances d'entreprises et d'impayés records ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le montant des avances de salaires payées par l'AGS a progressé de 4% sur les 7 premiers mois de l'année.
Le montant des avances de salaires payées par l'AGS a progressé de 4% sur les 7 premiers mois de l'année.
©Flickr/danielmoyle

La croissance ? Quelle croissance ?

Depuis le début de l'année, le montant des avances de salaires payées par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) a atteint 1,3 milliard d'euros. Soit une hausse de 4% par rapport à la même période en 2012.

Thierry Météyé et Bernard Cohen-Hadad

Thierry Météyé et Bernard Cohen-Hadad

Thierry Météyé est directeur de la délégation nationale de l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS).

Bernard Cohen-Hadad est président de la commission financement des entreprises de la CGPME. Il est également président du think-tank Etienne Marcel et assureur.

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Atlantico : Les sommes qu'a dû avancer l'AGS depuis le début de l'année ont atteint le montant très inquiétant de 1,3 milliard d'euros (228,8 millions rien qu'en juillet) alors que l'économie française connaît pourtant une modeste embellie. Comment expliquer ce paradoxe ?

Thierry Météyé : Pour moi, ce n’est pas vraiment un paradoxe car je travaille avec des chiffres qui sont le résultat d’une situation concrète et quotidienne, et je ne me place pas dans la prospective économique. Depuis le début de l’année, sur une base arrêtée au 31 juillet, on s’aperçoit d’une hausse de 4,2% du nombre de dossiers par rapport à l’année dernière. C’est une réalité objective. Vu le nombre – et surtout l’accroissement – du nombre de procédures collectives constatées, j’ai du mal à dire que la situation économique de la France se soit améliorée.

Par rapport aux crises que l’on a pu traverser par le passé, je pense que nous trouvions avant des solutions beaucoup plus rapidement. La différence surtout, c’est qu’auparavant les crises se soldaient par de nombreux dépôts de bilan car c’était surtout les entreprises fragilisées, les moins bien structurées, qui disparaissaient. Là, depuis 2009, on est quand même sur des montants plus élevés et de la position de l’AGS, on n’est toujours pas sorti de la crise.

Bernard Cohen-Hadad : En effet, différents indices économiques du deuxième trimestre, dont celui d’indicateurs de croissance publié par l’INSEE fin août, sont meilleurs que ceux qui étaient attendus. "Meilleurs",  cela ne  veut pas dire qu’ils sont excellents, cela ne veut pas dire non plus que nous sommes sortis de la crise, cela ne veut pas dire non plus que l’économie mondiale va être notre locomotive définitivement, sans à-coups, et qu’enfin nous "apercevons le bout du tunnel". On aimerait le croire et le vivre dans le monde de l’entreprise. Les politiques aussi. C’est le rôle de la communication institutionnelle de tirer des leçons positives et de les projeter quand les chiffres sont bons. Tous les gouvernants le font.

Mais d’un autre côté, je vous rappelle les déclarations récentes du ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, sur nos perspectives de croissance à fin 2013 et notamment celles sur notre entrée, sans y entrer, en récession. Mais ne boudons pas notre satisfaction d’avoir enfin de bons chiffres "conjoncturels". Conjoncturel, cela signifie qu’il s’agit d’une photo économique prise à un moment précis sur une courte durée. Cela indique surtout que nos TPE et PME ont fait des efforts. Et que dans la crise, elles continuent de jouer le rôle de moteur de l’économie. Malgré les difficultés qu’elles rencontrent et malgré les tensions juridiques, sociales et fiscales qu’elles supportent au quotidien.

Les entrepreneurs ont-ils d’autres choix que d’essayer de développer leurs activités ? Les entreprises moyennes peuvent-elles déclarer qu’elles font une "RTT économique" ? Bien sûr que non ! L’esprit PME même dans les moments difficiles est dans la dynamique. C’est une question de survie. Actuellement, tout n’est pas rose. Je vous rappelle que 60.280 entreprises ont fermé sur les 12 derniers mois et que beaucoup d’entreprises fragiles rencontrent toujours des difficultés d’accès au crédit ou des problèmes de trésorerie. En revanche, dès qu’une fenêtre se présente, parce qu’elles sont réactives et attentives aux évolutions prospectives des marchés et des attentes de leurs clients - des particuliers ou des entreprises – les PME jouent le jeu naturel du développement c'est-à-dire de la croissance. Mais un bon trimestre ne signifie pas que nous sommes sortis de la crise. Malheureusement, loin s’en faut. La situation économique et financière que nous vivons reste préoccupante et les chiffres inquiétants de l’AGS en témoignent clairement.

Les défauts de paiements de salaires concernant surtout les petites et très petites entreprises. Pourquoi ces dernières ne profitent-elles pas des fruits de la très légère croissance qui revient en France ?

Thierry Météyé : Les petites entreprises de moins de 10 salariés représentent 80% des dossiers que nous traitons, mais c’est un chiffre qui reste stable. Et ce qui coûte le plus cher à l’AGS ce sont surtout les grosses entreprises. Nous intervenons actuellement sur Virgin et ses 1500 salariés, ou Petroplus, et là clairement, d’un point de vue financier, ça fait très mal.

Ce qui est lié à la conjoncture actuelle, c’est l’accroissement du nombre de dossiers d’entreprises de plus de 100 salariés. La petite entreprise, c’est assez différent. C’est surtout la difficulté pour les petites structures de faire face aux difficultés liées à l’ancienneté, lorsque les différentes exemptions dont elles bénéficiaient pour se lancer arrivent à leur fin.

Bernard Cohen-Hadad : Tout d’abord, sortons d’un mythe. Les difficultés que rencontrent les patrons de TPE et PME dans le paiement de leur dette sociale n’est pas une méthode de gestion entrepreneuriale ni un manque de responsabilité ! Elle n’est pas non plus le fait d’une incompétence ou d’une légèreté face à des engagements pris. Tous les entrepreneurs vous le diront, le paiement des salaires est une préoccupation permanente et une des priorités de l’entreprise. C’est une des clefs du bon climat dans l’entreprise. Et le défaut de paiement entraîne souvent la fermeture de l’entreprise. Personne n’y gagne. En France, notons aussi que les charges et les coûts qui pèsent sur les petites entreprises et les entreprises moyennes restent trop lourds. Il est encore nécessaire de le souligner…

Et la situation économique est telle que l’on peut comprendre la préoccupation des TPE et des PME comme de leurs salariés. Une perte d’emploi dans une PME c’est toujours la disparition d’un savoir-faire et d’une compétence. Et 27 800 emplois ont été perdus au deuxième trimestre dans tout le secteur privé si l’on se réfère aux éléments de l’INSEE. Les secteurs les plus touchés sont l’industrie et le bâtiment à forte main d’œuvre. Ce sont de justes indicateurs de la tendance. A noter que l’intérim connait un "ralentissement de la baisse" des recrutements ce qui peut annoncer une légère reprise de l’emploi. Mais pour être pertinent, il faut analyser ces données sur une plus longue période.

Pour le moment, vous savez, beaucoup d’entreprises restent endettées et leur situation en fonds propres n’est pas bonne. En septembre 2011, lorsque qu’avec Jean-François Roubaud nous avions attiré l’attention sur le faible niveau de fonds propres des TPE-PME, nous étions passés pour des oiseaux de mauvais augure. Et pourtant, c’est devenu aujourd’hui une triste réalité. Nos entreprises ont été essorées par la crise. Elles manquent de liquidités, manquent de ressources, manquent de soutiens bancaires clairs à courts et moyens termes. Les TPE et les PME ne sont pas comme les États ! Les établissements financiers ne prêtent pas aux PME en difficulté, à taux bas, même pour embaucher. Quand une entreprise est légèrement en difficulté que son dernier exercice fiscal n’est pas bon, elle peut avoir besoin de sauvegarder un emploi ou de recruter un commercial. Comment fait-elle pour y arriver sans soutien bancaire ?

Que faudrait-il pour que la situation s'améliore pour les entreprises et qu'elles ne soient pas acculées à la cessation de paiement ? S'agit-il seulement une question de croissance ?

Thierry Météyé : Je pense qu’une partie des difficultés vient des charges trop élevés. Ce que l’on observe aussi, c’est le poids trop lourd de la législation sociale, et qui touche surtout les petites entreprises. Quand l’une d’entre elle a par exemple des difficultés avec un employé, alors même que le motif du licenciement semble frappé du bon sens, mais que l’employeur n’a pas rempli parfaitement les obligations administratives, il y a le risque de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité, plus les dommages et intérêts, représentent au minimum six mois de salaire. Souvent, la petite entreprise qui n’a pas la trésorerie suffisante doit déposer son bilan, et c’est l’AGS qui doit intervenir derrière. Clairement, c’est ce que nous constatons, même s’il ne faut bien sûr tout ramener à cette seule situation.

Bernard Cohen-Hadad : Il faut mettre en place les conditions économiques de la reprise et éviter de casser la dynamique entrepreneuriale. Rien ne peut se faire sans un retour de la confiance et la prise en considération des attentes des entrepreneurs. Il convient de mettre en place des mesures courageuses pour créer les conditions pour afin que les entreprises puissent retrouver des taux de marges décents. C'est-à-dire mettre en place une politique économique qui accepte de privilégier durablement les TPE-PME. Car les entreprises, comme les salariés, ne se paient pas en mots. La priorité est bien entendu d’alléger le train de vie de l’État et de réduire notre dette. Le dérapage du déficit public de la France pourrait atteindre 3,9% du PIB selon différentes sources. C’est plus que ce qui était annoncé. Et il va falloir trouver au moins 6 milliards de recettes fiscales supplémentaires et faire 14 milliards d’économies supplémentaires pour boucler le budget 2014 selon les prévisions annoncées. De leur côté, les TPE-PME ne peuvent pas supporter de nouvelles charges, ni de nouvelles taxes de l’État ni des collectivités territoriales pour compenser les économies ou les nouveaux engagements pris.

L’autre urgence est d’ouvrir les yeux et de considérer que les entreprises moyennes ne sont pas des vaches à lait. Elles sont créatrices de richesses quand  les conditions de leur développement sont réunies. Est-ce dans l’air du temps ? Une entreprise est en bonne santé quand elle est performante sur le plan économique. Et c’est sa performance économique qui lui permet de créer de la richesse et donc de l’emploi. Oui, quand une entreprise est "riche" elle peut se développer, elle peut créer de l’emploi, encourager la formation professionnelle et partager les fruits de sa croissance. Il faut valoriser l’entrepreneuriat en créant des conditions fiscales avantageuses quant au réinvestissement des bénéfices dans l’entreprise.

Il faut aussi accepter une dose supplémentaire de flexibilité de l’emploi dans les TPE-PME et également sortir des déclarations d'intention que l’on entend régulièrement sur la croissance. Et qui ne sont en réalité que des discours sans lendemain. Enfin, toujours porter attention au financement réel des PME est fondamental. La Caisse des Dépôts a débloqué 30 milliards d’euros du livret A au 1er août pour aider les banques à financer notamment les PME. Cette somme qui n’est pas négligeable est l’équivalent, en montant, de l’encours de la Banque Publique d’Investissement (BPI). Les entrepreneurs doivent pouvoir bénéficier de ce soutien créer de l’emploi et redresser la situation financière des entreprises moyennes.

L'AGS pourra-t-elle supporter une pression croissante si la situation ne s'améliore pas ? Autrement dit, les salariés français doivent-ils s'inquiéter de vivre un jour une situation réelle de salaire définitivement impayé ?

Thierry Météyé : Pour l’instant l’équilibre financier de l’AGS est assuré mais nous n’avons pas beaucoup de marge. Nous avons tous les mois des rentrées d’argent qui sont issues soit des cotisations patronales (0,3% de l’ensemble de la masse salariale) soit de la récupération sur les actifs des entreprises dont nous avons avancé les salaires impayés.

Si par contre la situation devient véritablement trop critique, les membres du conseil d’administration de l’AGS devront quand même alerter les pouvoirs publics pour envisager un changement du mécanisme. Aujourd’hui, l’AGS a en effet l’obligation de supporter toutes "les sommes dues en exécution du contrat de travail", ce qui ne comprend pas que ce qui est écrit sur le contrat de travail. On a dans certaines situations de licenciement des salariés qui contestent tout et qui veulent tout faire passer sur l’AGS. Il faudra peut-être un jour introduire un plafond, ou admettre que certains types de créances n’ont pas à être couverts par l’AGS.

Quant à augmenter le montant de la cotisation patronale, ce n’est pas une très bonne idée. Si nous avions de sérieux problèmes, les employeurs prendront peut-être leurs responsabilités. On pourrait atteindre 0,4% mais pas plus car nous serions alors à des niveaux qui n’ont jamais été atteints. Et cette augmentation de charge finirait en plus par rejaillir sur l’emploi.

Bernard Cohen-Hadad : Je n’aime pas les scénarios catastrophes. Ils correspondent rarement à la réalité et ne sont porteurs ni d’espoirs ni d’une volonté d’évolution positive. Les chiffres de l’AGS sont préoccupants et il est important de tirer la sonnette d’alarme comme de prendre conscience de l’ampleur des sommes mobilisées aujourd’hui. Elles sont supérieures à celles de 2009, il y a cinq ans au début de la crise. Et aucun organisme ne peut puiser indéfiniment sur des réserves sans pouvoir à terme les équilibrer par des rentrées financières. Ce qui prouve la relativité des annonces médiatiques de conjoncture.

Cette alerte, qui est un juste cri, a le mérite d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur une des réalités de notre situation économique et sur son malaise en profondeur qui perdure. C’est aussi un indicateur pour les salariés et pour les entrepreneurs qui doit nous tenir tous en éveil, en permanence, même s’il est moins médiatique que le problème des retraites ou l’allongement de la durée hebdomadaire du temps de travail. Mais sans être un grand clerc, soyons responsable et ne comparons pas la situation de l’AGS à celle de Dexia…

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