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Allons-nous bientôt pouvoir prévoir les crises et bulles financières grâce aux neurosciences ?
©Reuters

Voyance

Une étude parue dans la revue "Neuron" suggère que les bulles financières pourraient aussi se former en fonction de facteurs biologiques et psychologiques.

Benoist  Rousseau

Benoist Rousseau

Benoist Rousseau est informaticien et historien économiste diplômé de l'Université Paris Sorbonne.

Il partage sur Andlil.com sa vision iconoclaste sur l'économie et les marchés financiers. Ancien professeur d'histoire, il dirige une société de conseils en informatique tout en étant un blogueur actif et un trader en compte propre.

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Cinq années après la faillite de Lehman Borthers, les recherches autour de la formation des bulles financières s'intensifient. Manque de régulation, de transparenc, etc. Au-delà des sujets déjà largement évoqués par l'actualité, une étude (In the Mind of the Market : Theory of Mind Biases Value Computation during Financial Bubbles) publiée dans la revue scientifique Neuron suggère que les bulles financières qui se forment sur les marchés pourraient être formées par des facteurs de nature biologique et psychologique, notamment lorsqu'un individu essai de prédire le comportement des autres.

Atlantico : Comment la science ou la psychologie peuvent-elles jouer dans la formation de bulles ou de mouvements de marché ?

Benoist Rousseau L'étude de Neuron a le mérite de remettre au cœur de la problématique des excès des marchés (les bulles mais aussi les krachs qui ne sont que des réactions miroirs) le facteur humain que j'estime primordial dans la compréhension de ces processus. Celle-ci a mis en situation des « cobayes » dans un marché artificiel sur-évalué et elle a analysé les comportements des acteurs. La conclusion est que les traders n'ont pas agi de manière « rationnelle » en fonction d’événements précis mais qu'ils ont essayé de prévoir constamment ce que le groupe allait faire. La « réalité » avait alors moins de poids que la fantasme de ce que pouvait penser ou faire les autres.

La psychologie comportementale, appliquée aux marchés financiers, tend donc à prouver que l'efficience du marché n'existe pas. Les bulles sont plus le résultat de fantasmes inconscients auto-alimentés que d'un manque de régulation... La bulle internet en a été un exemple, il suffit de revoir les déclarations des hommes politiques, des financiers pour se rendre qu'il y avait une forme de collusion inconsciente pour créer une réalité espérée. Tout le monde avait intérêt de maintenir ce fantasme inconscient du nouvel eldorado internet, un nouveau monde sans limite, et Alcatel se retrouve alors à 100€ (l'action a perdu depuis la bulle internet, 97,50% de sa valeur). Le marché sur-valorisait automatiquement tout ce qui était lié à Internet, des coquilles vides, des entreprises sans chiffre d'affaires, sans réalité concrète parfois... Et le retour à la réalité fut brutal. Les marchés financiers sont plus gérés par des mouvements de foule, dans un sens ou dans un autre, que par une rationalité mathématique. C'est tout simplement l’inconscient groupal qu'a mis en valeur cette recherche...

Les modèles économiques développés se fondent toujours sur des hypothèses, l'une d'entre-elles étant la rationalité des agents économiques. Une hypothèse éloignée de la réalité et que ne semble pas confirmer cette étude. Par conséquent, faut-il croire que ces modèles sont inadaptés pour l'adoption d'une politique économique plutôt qu'une autre ? Au-delà de la science économique, ces modèles sont-ils par conséquent inaptes pour l'économie réelle ?

Le choix rationnel, la grande théorie de Gary Becker, est effectivement très éloignée de la réalité du terrain. Cette rationalité des investisseurs est particulièrement remise en cause par la finance comportementale. Cependant, Gary Becker lui-même souligne qu'une décision est parfois différente si deux personnes ont le même choix à faire mais avec un temps différent pour décider. De plus, si ces deux personnes n'ont pas les mêmes informations clés pour prendre la décision, il est normal qu'elles fassent des choix différents.

Nous avons donc une forme de rationalité mouvante dans le temps et fonction du regard de l'observateur. Ces modèles économiques classiques fonctionnent donc sur le papier, pour des hommes robots parfaitement rationnels, pesant le pour et le contre. Nous ne sommes pas des robots et nous sommes rarement rationnels même si nous voulons y croire. Est-il rationnel de fumer, de rouler en 4x4 dans une grande ville... ?

Les aspects psychologiques et biologiques dans la formation des bulles ont-ils été sous-traités par les chercheurs ou ont-ils toujours existé mais étaient sous-estimés ?

Ces aspects psychologiques ont toujours existé, les émotions humaines gouvernent les marchés depuis qu'ils existent. Les bulles et les krachs ne sont que les résultantes de nos faiblesses humaines (avidité et peur), ils sont le reflet de nos excès. Dans un monde où le scientisme est la nouvelle religion, on tend à appliquer à l'homme des schémas rationnels dans ses prises de décision. Cela nous rassure mais l'inconscient est toujours là. Les événements récents nous montrent que les émotions gouverneront toujours les marchés. Il y a encore un an, nous étions proche de l’apocalypse, tous les acteurs (médias, journalistes, gourous de la finance...) hurlaient à la fin de l'euro, du système économique, etc. J'y ai vu les signes opposés à la bulle internet, nous n'étions plus dans l'euphorie des années 2000 mais dans la dépression au sens clinique. Nous avons aussi vécu quelques mois dans une forme d'hystérie et de sur-angoissement collectif, typique des effets de foules décrits par Le Bon ou Sigmund Freud. Un trader devrait être avant tout un psychologue clinicien spécialisé dans l'analyse des mouvements de foule, il devrait étudier la psychologie comportementale plutôt que les mathématiques. Ce serait rationnel et plus efficace pour repérer les bulles.

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