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Alliance Renault-Fiat : la bonne idée industrielle... hautement inflammable
©Loïc VENANCE / AFP / FIAT PRESS OFFICE

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Le mariage Renault-Fiat a fait l’effet d’un coup de tonnerre. A priori, il a tout pour séduire. Et pas seulement les boursiers. Tout pour séduire, à condition de bien gérer la cérémonie sur le terrain social et politique. Parce que ca va cogner...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le mariage entre Renault et Fiat a tout pour séduire les économistes libéraux parce qu‘il répond parfaitement aux contraintes de l’économie moderne, mondialisée et concurrentielle. Trop beau, le projet ! Surtout au lendemain d’une élection européenne où on a compris que l’Europe souffrait d’un manque de projet industriel structurant.

Les dirigeants ont sorti des chiffres qui sont évidemment reluisants. Lafusion entre le groupe Fiat-Chrysler (FCA) et Renault donnerait naissance au troisième groupe mondial avec 8,7 millions de véhicules produits et vendus par an, derrière Volkswagen et Toyota, mais devant General Motors. Si on ajoute à cet ensemble le poids de Nissan et de Mitsubishi, les deux alliés de Renault, le nouveau « groupe » se hisserait en tête du marché mondial avec 15 millions de véhicules produits et vendus.

La demande en mariage a été faite il y a quelques semaines par John Elkann, le président de FCA, petit-fils de Gianni Agnelli, l’avvocato, le flamboyant fondateur de FIAT. Jean-Dominique Senard, le président de Renault, nommé en janvier en remplacement de Carlos Ghosn,  l’a reçue avec beaucoup d’attention.

Outre la bonne entente des parents qui se connaissent de longue date, l’intérêt industriel et commercial ne fera pas débat.

L’industrie automobile est une industrie lourde, elle a besoin de capitaux importants. C’est une industrie mondialisée parce que le modèle automobile est  mondial, le marché est mondial et les acteurs du nouveau groupe sont très complémentaires. Fiat-Chrysler est très américain, Renault est très bien positionné en Asie et en Europe. Et toutes ces marques se partagent les marchés d’Amérique du sud, et demain de l’Afrique.

Les synergies industrielles et commerciales sont donc considérables. Un mot savant pour dire qu’on peut mutualiser beaucoup de composants qui constituent la chaine de valeur. Si le nouveau groupe réalise au moins 170 milliards d’euros en chiffres d’affaires, il peut dégager 10 milliards de résultat, auquel on pourrait ajouter 5 milliards d’euros d’économies réalisables sur les achats, sur les plateformes ou les fabrications de moteurs. De quoi, au total investir massivement dans les nouvelles technologies. L’automobile va être confrontée à deux défis incontournables.

Le premier sera celui du digital. La valeur d’une automobile aujourd’hui, c’est déjà 40 % d’électronique. Or l’électronique est livrée par les grands du secteur et entre autres, les Gafam. Plus le volume de production est important, mieux on peut amortir le prix de l’électronique et s’affranchir de l’influence des fournisseurs. C’est déjà un problème aujourd’hui. Ca le sera encore plus demain avec les voitures connectées et autonomes.

Le deuxième défi sera évidemment celui de la voiture électrique et notamment de la fourniture de batterie. Les batteries aujourd’hui sont principalement d’origine chinoise. A terme, ça n’est pas tenable. Il va falloir investir des milliards pour sortir de ce piège parce que l’automobile va tenir un rôle clef dans la transition écologique et la lutte pour le climat. L’idée de constituer un Airbus de la batterie est une formidable idée, mais elle est aussi très couteuse en investissements. Entre les constructeurs allemands, italiens et les constructeurs français, on peut forcément dégager les moyens nécessaires.

Les contraintes de la mondialisation, de la technologie et de la lutte pour le climat justifient la constitution d’immense groupe industriel à l’échelle de la planète.

Il n’y a pas débat sur ces questions, sauf à mettre une croix sur les besoins de croissance et de progrès des populations.

Maintenant, ce projet de mariage pose évidemment un certain nombre de problèmes et soulève peut être beaucoup d’effets pervers, en dehors de la sphère purement économique et financière.

A priori, les deux gouvernances se seraient déjà mises d’accord pour organiser une union à part égale. Chacun des deux conjoints récupérant en valeur la moitié du nouveau groupe. C’est évidemment rassurant, sauf que Fiat étant plus riche que Renault, il faudra prévoir de compenser les actionnaires de Fiat par du cash. Même si Fiat est sans doute en moins bon état que Renault.  Mais ça n’est pas un souci.

Le souci peut venir des susceptibilités nationales qu’il ne va pas falloir froisser. A priori toujours, le nouveau groupe serait présidé  par John Elkann, le président de Fiat-Chrysler avec comme directeur général Jean-Dominique Senard  et un domicile conjugal à Amsterdam,  là où est déjà le siège de l’alliance Renault-Nissan. Parce qu’il est évident qu’il va falloir faire de la place à Nissan, même si la relation entre Renault et Nissan est devenue compliquée depuis le départ de Carlos Ghosn, moment où les Japonais ont compris que la France voulait fusionner. Nissan veut continuer à faire chambre à part. Ca va sans doute poser quelques problèmes.

Tous ces « détails » peuvent donc déclencher des débats quasi religieux.

Au Japon d’abord,  on sait ce qu’il en est, puisqu’ils avaient déjà cru qu’en évinçant Carlos Ghosn, ils se débarrassaient du diable occidental. Le diable est revenu sonner à la porte. Le projet de mariage et  la contrainte mondiale remettent  les Japonais dans le Monopoly, mais ils auront du mal à décider du plan de table. Un strapontin au mieux.

Cela dit, que Nissan soit au capital ou pas, l’intérêt de la France comme de Fiat sera que Nissan ait au minimum au conseil d’administration.

En Italie, ensuite, il n’est pas exclu que dans un climat très nationaliste et populiste, on s’inquiète de voir la marque italienne la plus célèbre dans le monde se compromettre avec des Français. Encore que l’Etat n‘a rien à voir avec ce fleuron de l’Italie qui s’est refait une santé avec des clients, des ingénieurs et des fabrications américaines. Fiat est plus américain qu’italien mais qui le sait ?

En France, enfin, le débat  peut être plus chaud parce que l’Etat français a 15% du capital et l'opération fera tomber cette participation de l’Etat à 7,5%. Ca peut être plus chaud parce que Renault a une culture syndicale encore très forte et qu’il va falloir prendre des engagements de conserver les usines et les sites  et de ne pas toucher un emploi. Selon le ministre de l’économie, la France n’acceptera pas la perte d’un seul emploi, mais est-ce que l’Etat a véritablement le pouvoir sur les décisions industrielles ?

Ca peut être plus chaud encore, parce que la France risque fort de perdre les outils du pouvoir et les signes extérieurs de ce pouvoir. Si le président est italien, même s’il porte un nom très américain, si la famille Fiat sera le premier actionnaire du nouveau groupe et surtout si le siège social s’installe à Amsterdam, il faudra gérer politiquement le problème.

La France moderne, celle des villes et des cadres, comprendra la nécessité de constituer des groupes industriels capables d’affronter la concurrence internationale et surtout de ne pas mourir dans la guerre commerciale que livre l‘Amérique de Donald Trump.  Mais la France périphérique, celle des champs et des gilets jaunes le comprendrait-elle ? Ou plutôt, le pouvoir politique saura-t-il l’expliquer, parce que c’est aussi son rôle. Accompagner le changement pour éviter le déclassement et faire en sorte que le changement soit accepté.

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