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Alliance Macron-Bayrou : pourquoi leur vie à deux risque bien de ne pas être un long fleuve tranquille
©JOEL SAGET / AFP

A l'épreuve du temps

Emmanuel Macron et François Bayrou feront cause commune dans la campagne présidentielle, et ce, malgré les attaques parfois virulentes du maire de Pau à l'encontre de l'ancien ministre de l'Economie. Si les commentateurs et une large partie de la presse estiment que cette alliance sera bénéfique au candidat d'En Marche !, des questions aussi bien sur la forme que sur le fond vont rapidement se poser. Et les tensions risquent de s'accumuler.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François Bayrou a proposé mercredi 22 février une alliance à Emmanuel Macron, alliance acceptée par l'ancien ministre de l'Economie. De nombreux commentateurs estiment que cette alliance sera prolifique. Comment imaginez-vous cette alliance tout au long de la campagne présidentielle ?

Jean Petaux : Sans vouloir manier le paradoxe il me semble que plus François Bayrou sera discret dans son soutien à Emmanuel Macron et plus l’alliance sera bénéfique à ce dernier. Autrement dit, si "descendance prolifique" au sens de celle du patriarche Abraham il doit y avoir, une union Macron-Bayrou a d’autant plus de probabilité d’être nombreuse (c’est le sens de "prolifique" : celui qui "fait des races, des lignées" étymologiquement parlant) qu’elle sera discrète et non ostentatoire. Car on peut légitimement s’interroger sur la portée du symbole du ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron. De quel renouvellement est-il porteur ? De quel changement est-il le nom ? De quelle transformation profonde de la société peut-il se revendiquer ? Voilà quelqu’un qui a été ministre sous Balladur en 1993 et élu à un premier mandat de conseiller général (Pyrénées-Atlantiques) en 1982. Maire de Pau élu en 2014, il est présent sur la scène politique française sans discontinuer depuis…. 35 ans ! Certes, Emmanuel Macron ne peut s’en souvenir puisqu’il était âgé de… 3 ans quand François Bayrou fut élu au "Parlement de Navarre" pour son premier mandat à l’âge de 30 ans, mais on peut espérer que les conseillers d’Emmanuel Macron lui auront préparé une fiche sur l’héritier d’Henri IV…

Comme la discrétion et le silence ne sont pas forcément deux vertus que François Bayrou cultivent en priorité, surtout en période de campagne électorale présidentielle, on voit bien que le maire de Pau risque d’osciller constamment, dans les 60 jours qui nous séparent du premier tour de la présidentielle (et, espérons-le pour Macron, dans les 75 jours d’ici le second tour), entre l’envie d’intervenir sur tout et sur rien (comme s’il était candidat sous ses propres couleurs) et la nécessité de ne pas voler la vedette au candidat avec lequel il aura passé un accord... On peut cependant considérer que sur des thèmes comme la moralisation de la vie publique, le retour à l’équilibre des comptes publics et l’Europe, Macron et son désormais "copain d’aventure", pourront échanger et…  nous tenir au courant de la conséquence de cet échange en matière d’actes de gouvernement… Cela s’appelle "faire un programme" et "dresser une liste de propositions" aux Français… De sorte qu’ils tranchent par leur bulletin de vote.

Eric Verhaeghe : Cette alliance est prolifique à court terme parce qu'elle apporte une sorte de surprise, de rebondissement, à la candidature de Macron qui commençait à s'enfoncer. Pour les prochains jours, elle apporte les quelques points de soutien qui manquait à Macron pour distancer, dans les sondages, François Fillon. Mais rien ne dit ce qui va se passer dans les jours qui suivront. Pour la première fois d'ailleurs, on peut considérer que les deux mois qui nous séparent du scrutin final sont une véritable éternité. Jamais la distance n'a paru aussi longue à courir. Tout peut se passer dans ces dernières semaines, et il y a fort à parier pour que de nouveaux rebondissements arrivent, notamment de nouvelles boules puantes. Dans ce déroulé, l'alliance contre nature et contre toutes les apparences entre Macron et Bayrou connaîtra-t-elle des jours tranquilles? On prend les paris dès maintenant, mais Bayrou est un vieux matois et on n'est probablement pas au bout de ce qui peut survenir dans sa relation avec Macron.

Depuis plusieurs mois, le maire de Pau fustige avec des mots parfois très virulents l'offre politique qu'incarne l'ancien ministre de l'Economie. On se souvient du procès fait à Emmanuel Macron d'être avant tout un objet piloté par les"grands intérêts financiers", ou encore d'avoir comparé son"projet de société" à celui de Nicolas Sarkozy en 2007, des mots qui ne sonnent pas comme un compliment... Au-delà des conditions posées par François Bayrou pour cette alliance, quels sont les éléments de fond qui pourraient poser problème à une osmose politique entre les deux hommes ?

Jean Petaux : Je n’en vois guère pour l’heure, tout simplement parce qu’Emmanuel Macron n’est toujours pas sorti de l’ambiguïté. Position bien confortable tant elle permet d’éviter les critiques. Mais position dont on conviendra qu’elle ne saurait être durable non plus. François Bayrou a envoyé, par le passé, quelques "scuds" en direction de Macron. Et alors ? De la part d’une des personnalités parmi les plus méchantes de la classe politique  (Bayrou), qui a rarement renoncé à une vacherie sur un de ses collègues élus, cela n’a rien de surprenant. Aujourd’hui, et même demain, sont des autres jours. Et pour Emmanuel Macron, ce qui me semble le plus important dans cette affaire, c’est de pouvoir montrer le scalp d’un Bayrou comme "prise de guerre". Peu importe le contenu, pourvu qu’on ait l’image "chromo" d’une "belle alliance centriste", de droite et de gauche, ni de droite ni de gauche… En réalité, l’osmose politique qui s’amorce entre Bayrou et Macron pourrait achopper sur deux points : le nombre de circonscriptions législatives réservé aux candidats  Modem en juin 2017…  et quel portefeuille ministériel se verra gratifiée Marielle de Sarnez ?

Eric Verhaeghe : De fait, tout le monde sait qu'il y a trois mois encore, François Bayrou avait concocté une alliance tacite avec Fillon (son grand ami!) contre Macron, décrété ennemi politique n°1. Le retournement est amusant, mais il en dit long sur les difficultés qui se préparent. Bayrou est avant tout un gestionnaire du système hérité de la Vè République. Son enjeu est en apparence idéologique. En réalité, il sait qu'un parti qui ne présente pas de candidat aux présidentielles est un parti mort et que son destin est scellé pour les législatives. L'alliance avec Macron ne se résume probablement pas à ses seuls calculs, mais il ne faudrait pas minorer ceux-ci dans la décision finale. Bien sûr que cette élucubration appelée le Modem a besoin d'exister à travers les enjeux électoraux. Et c'est précisément cette stratégie opportuniste qui va très vite pourrir le climat avec Emmanuel Macron. Celui-ci est contraint à une real politik avec le Modem, mais cette stratégie va l'alourdir. Bayrou est en effet lourd de ses vieux métaux. Il va courir pendant deux mois après des contreparties qui retarderont le candidat Macron. Toute la difficulté est bien là. On voit mal comment Macron acceptera de se laisser retarder de cette façon.

Sur le plan du "style", les deux hommes sont extrêmement différents... Si François Bayrou a un style traditionnel, connu pour son indépendance d'esprit et de parole, Emmanuel Macron l'est pour une campagne de communication jusqu'ici ciselée dans le détail, sophistiquée. Si l'on considère leurs personnalités et leurs caractères différents, comment imaginer la suite de cette alliance ?

Jean Petaux : Soit comme une alliance gouvernementale "à la portugaise" (une coalition "brinquebalante") qui tient quand même le coup et dont la fragilité est en quelque sorte la meilleure arme pour durer et perdurer ! Soit une alliance tendance "schizo" mais qui trouvera dans son développement sa propre justification. Pour l’heure, l’avantage comparatif d’une alliance Macron-Bayrou est évident, surtout comparé aux états de service de leurs concurrents même pas capables de signer une alliance entre Benoit Hamon et Yannick Jadot, depuis plus d’une semaine, pour "ramasser" quoi ? Entre 1,5 et 2% des intentions de vote. Ici "être ridicule" se conjugue à partir de l’expression : "plus on fait semblant d’avancer, moins on bouge". Et encore n’évoque-t-on pas ici l’impayable sketch Mélenchon-Hamon, match nul dans les sondages aujourd’hui entre eux. "Match nul" : dans tous les sens de l’expression.

Eric Verhaeghe : François Bayrou a surtout des dépenses à assumer, des charges, un parti à financer et une sorte de patrimoine politique à entretenir. Il vient avec armes et bagages, et ça pèse lourd. Bayrou vient aussi charger de son passif, qui ne s'est pas allégé en 2017. Rappelons que Bayrou a appelé à voter Hollande en 2012. Il est devenu maire de Pau grâce à la complaisance d'Alain Juppé. Il y a quelques semaines, il répétait en boucle qu'il était l'ami personnel de François Fillon. Et patatras! Le voilà qui retourne casaque au profit de Macron, après avoir juré pis que pendre à son propos. Soyons clairs! Bayrou est un cadeau empoisonné pour Macron, et il n'est pas exclu que Macron s'en aperçoive rapidement. Toute la difficulté est bien là. Bayrou posera un problème majeur à Macron dans la mesure où il incarnera le logiciel de l'ancienne politique dans un monde nouveau. Il n'est absolument pas sûr que ce soit simple à gérer.

Par ailleurs, cette alliance semble arriver à un moment où Emmanuel Macron tenait des propos plutôt de nature à séduire les électeurs socialistes déçus du résultat à la primaire du PS. Pourquoi cette alliance, et le fait qu'elle réoriente la campagne d'Emmanuel Macron vers le centre-droit et la droite, pourrait-il poser un problème ?

Jean Petaux : Le problème avec Macron, sorte de "candidat oxymore", c’est qu’il peut dire à peu près tout et le contraire de tout, au même moment, en fonction de ses interlocuteurs. En fait, on voit bien ce que veut faire Macron : il veut être de droite et de gauche. Les arrivées de François Bayrou et de François de Rugy dans la "galaxie Macron" ne doivent rien au hasard pour ce qui est du choix de la date. Macron, qui sentait qu’il allait être de plus en plus attendu sur son programme (qui ne vient pas) et sur son chiffrage quasiment impossible, avait vraiment besoin d’une sorte de "fusée d’appoint". A moins que ce ne soit une "diversion" par rapport à la "meute" attachée à  ne rien lâcher sur la demande de programme de l’ancien ministre de l’Economie tant qu’il ne l’aura pas révélé.

En revanche, et là vous avez raison de souligner cet aspect : en voyant arriver un Bayrou et quelques-uns de ses fidèles parmi ses supporters, Emmanuel Macron peut, à son insu, se voir accoler une étiquette supplémentaire "d’homme de droite" au grand plaisir d’un Hamon et a fortiori d’un Mélenchon qui n’attendaient que cela.  On aurait là la principale manifestation de l’effet contre-performatif de l’annonce faite par le maire de Pau. On touche ici du doigt aussi la limite du "champ Macron". Il est de bonne stratégie, quand on a comme projet jusqu’à maintenant de dire "Voyez mes plumes, je suis oiseau, voyez mes écailles je suis poisson" , d’attirer à soi des soutiens, si possible "vedettes" qui se satisferont peut-être d’une telle anatomie. Et qui pourront en rajouter dans l’une ou l’autre des catégories. Mais alors, il faut trouver très vite celles et ceux qui vont pouvoir travailler avec "l’oiseau ET le poisson" pour aller de l’avant et continuer… de marcher.

Eric Verhaeghe : Tout le problème de Macron est d'avoir fait la route sur deux couloirs de circulation en même temps. D'une part, il a joué sur une sorte de gauche libérale, encline à développer des thèmes modernisateurs, parfois avec de vraies réformes. D'autre part, il a mordu sur le "couloir" des centristes. Avec l'émergence de Hamon après la primaire et l'affaiblissement de Fillon à cause de ses affaires, Macron s'est opportunément déporté sur la droite. Mais c'est compliqué d'expliquer aux électeurs qu'on ne fait pas de programme pour être moderne, et que la modernité, c'est en fait le retour aux stratégies opportunistes d'antan. Comment voulez-vous que les Français le comprennent ? Et de fait, Macron est bien dans une stratégie opportuniste à l'ancienne, refusant de livrer un programme par peur de permettre aux autres d'identifier ses sorties de secours. Il est très probable que cette stratégie-là (pas de programme et des idées au jour le jour) soit vécue comme au-delà des limites de péremption. C'est une vieille pratique pas très démocratique sous des dehors modernes.

Le dernier sondage du Cevipof pourLe Mondemontre que les électorats de François Bayrou et d'Emmanuel Macron sont les moins sûrs de leurs choix (respectivement 40% et 43%), loin derrière Jean-Luc Mélenchon ou encore Benoît Hamon. En 1969, Pierre Mendès France se ralliait au candidat de gauche Gaston Deferre pour l'élection présidentielle de cette même année, qui se solda par un échec cuisant avec 5% des suffrages. Quels enseignements peut-on tirer de cet épisode selon vous ?

Jean Petaux :  C’est une référence intéressante mais je ne la crois pas opérante pour essayer d’analyser "l’alliance Macron-Bayrou". Pour trois raisons. La première réside dans le fait que Pierre Mendès France, en 1969, était encore durement touché à gauche par "l’épisode Charletty" où, au plus fort de la crise de Mai 68, il avait oscillé entre prendre la tête de la révolte étudiante et participer alors au renversement du Général et, faire ce qu’il a fait, rester dans le registre de la "personnalité-témoignage" d’une haute figure de la gauche non-communiste. La deuxième raison tient au fait que Pierre Mendes France avait, de manière constante depuis 1958 et 1962, toujours fustigé les institutions de la Ve République, et surtout l’élection du président de la République au suffrage universel (réforme d’octobre 1962). Que venait-il faire alors dans cette compétition, sept ans après son adoption par référendum, en constituant avec le maire de Marseille, Gaston Defferre, un improbable "ticket" (sur le mode américain "président / vice-président") absolument pas prévu dans le "design institutionnel" français ? En comparaison, François Bayrou s’est présenté trois fois à la présidentielle et n’en a jamais attaqué les fondements constitutionnels. Tout au contraire : il a reconnu récemment sur le plateau de TF1 qu’il "adorait l’odeur de la poudre de la campagne…". La troisième raison qui me fait rejeter la comparaison de 1969 et l’épisode PMF, c’est que François Bayrou n’est pas, pour l’heure, le "Premier ministre" désigné par Emmanuel Macron en cas de victoire de ce dernier. La présence de Bayrou à Matignon n’est pas, que je sache, inscrite dans les conditions générales du contrat que le président du Modem va passer avec le leader d’ "En Marche !".

Vous avez raison en revanche de pointer la friabilité des intentions de votes en faveur de Macron, et, accessoirement, en faveur de Bayrou. Cette instabilité pourrait très bien faire que le nouveau soutien de Macron soit un événement qui se retourne contre lui, faisant fuir une partie de son électorat, "mal-arrimé" en quelque sorte. On peut espérer pour Macron qu’en solde net de voix, entre les partants (déçus que Macron renforcé par Bayrou se "droitise") et les entrants (soutiens de Bayrou suivant leur chef), le bilan soit positif… Le seul souci pour Emmanuel Macron, c’est que François Bayrou semble quelque peu promis au rôle du  "chat noir" en ce moment… Soutien de Juppé toute l’année 2016 pour la primaire de la droite et du centre : on a vu le résultat. Soutien de Macron au premier semestre de 2017 : danger pour Macron. "Scoumoune" : c’est du patois béarnais ? Il faudrait demander à Jean Lassalle…

Eric Verhaeghe : La leçon majeure est qu'une élection présidentielle est une rencontre entre un candidat et le peuple français. Pour que les Français élisent leur Vercingétorix, il leur faut des garanties sur l'acier dans lequel le candidat a trempé. Les calculs compliqués de ralliement et d'alliances me paraissent à rebours de cette logique. L'alliance est un calcul électoral quand les Français veulent une passion et une séduction. Macron n'avait probablement pas beaucoup le choix: il devait accepter le rapprochement avec Bayrou. Simplement, à deux mois du scrutin, l'opération paraîtra louche dans la durée, dictée par un intérêt électoral comme les Français le détestent. Observons, donc, mais il est probable que, dans la durée, cette opération se révèle compliquée à gérer. 

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