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Allergie à la critique : LREM semble avoir oublié de déconfiner sa culture démocratique
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Déconfiné

Les critiques de l’opposition sur la gestion de la crise par le gouvernement ont été mal reçues par l'exécutif. Stanislas Guerini, délégué général d’En Marche, a notamment qualifié l’opposition de "charognards de l’information". Pourquoi ce gouvernement accepte-t-il si mal les reproches de la part de l’opposition ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico.fr : Les critiques de l’opposition quant à la façon dont le gouvernement a géré la crise ont été mal reçues par ce dernier : Stanislas Guerini, délégué général d’En Marche, a qualifié l’opposition de « charognards de l’information » ; Elisabeth Borne a qualifié de honteux les reproches de Marine Le Pen sur les « aberrations » du déconfinement. 

Pourquoi ce gouvernement accepte-t-il si mal les reproches de la part de l’opposition ? La vision de ce gouvernement de la démocratie est-elle propre aux partis centristes ?

Christophe de Voogd : Permettez-moi d’abord un réflexe d’historien : je n’ai jamais vu de parti au pouvoir, même dans les régimes démocratiques, et surtout en France, qui ait accepté aisément les reproches de l’opposition. Rappelez-vous le mot cinglant de de Gaulle sur « les politiciens au rencart » en 1968, et son Ministre de l’infirmation qui veillait au grain ; ou le « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » d’un dignitaire socialiste en 1981 ; ou encore les sarcasmes de Nicolas Sarkozy à l’égard de la presse d’opposition. Le fait majoritaire de la Vème République, l’élection du Président au suffrage universel, puis l’inversion du calendrier électoral depuis 2002 ont conféré aux gagnants du suffrage une sorte de « surconfiance » en soi et la certitude de détenir la vérité. Plus lointainement, cela renvoie aussi au style intolérant du débat public qui nous caractérise depuis la Révolution, voire à la vérité de droit divin de la monarchie, appuyée sur l’exclusivisme catholique. Nous sommes en cela très différents de la tradition anglaise (et plus largement celle de l’Europe du Nord), où l’opposition a un statut quasi-légal et où ses droits sont respectés dans une approche délibérative de la décision publique.

Il reste que le Pouvoir actuel tranche avec ses prédécesseurs depuis la fin du gaullisme dans ses tentatives pour réduire la liberté d’expression. On l’a vu, bien avant la crise du Covid, avec le décret d’août 2017 (passé inaperçu) sur les propos discriminatoires dans l’espace privé, jusqu’à la récente Loi Avia, en passant par la loi sur les Fake News, ou encore l’idée inouïe d’ériger une sorte d’observatoire gouvernemental de vérification des informations. Et c’est plutôt sur ce point précis que j’interprète votre question sur la « démocratie », dont les libertés publiques ne forment qu’un aspect (décisif à mes yeux, car pilier de l’Etat de droit), à côté du suffrage universel et du respect de la minorité.

Est-ce dû à son positionnement « centriste », comme vous dites ? Je dirais plutôt « central », comme le montre le fameux « en même temps » et la coalition de forces originairement de gauche et de droite dans le macronisme. Les partis centristes partout en Europe sont plutôt des gardiens farouches de la liberté d’expression, comme ils l’ont été aussi en France. J’explique donc cette tentation de contrôler l’opinion, qui « travaille » le Pouvoir actuel, par trois éléments :

1/ Précisément cette alliance de la gauche et de la droite en son sein, qui fait que la culture politique apportée par ces deux courants est globalement peu propice aux libertés : regardez la quasi-unanimité à l’Assemblée pour voter en première lecture la Loi Avia. Le fait est accentué par le déséquilibre net dans la composition du groupe LaREM qui penche clairement à gauche et vient souvent du PS : or, pour la gauche - et c’est ce qui la définit fondamentalement - l’égalité prime sur la liberté. La résistance a fini par venir de la droite, à l’Assemblée et surtout au Sénat, mais une résistance bien tardive et largement tactique.

2/ la pression des groupes du politiquement correct, pour lesquels le pouvoir, au nom du « progressisme », a montré une certaine complaisance : minorités sexuelles, religieuses ou ethniques. Plus exactement, une complaisance à l’égard des lobbies activistes qui prétendent représenter ces minorités, souvent au grand dam de ces dernières. La loi Avia, qui vise à imposer aux réseaux sociaux ce politiquement correct, en est la traduction directe. A mes yeux, le progrès dans toutes nos institutions, des médias aux universités en passant par la culture, de ces lobbies clairement liberticides est l’un des facteurs les plus décisifs et le plus dangereux pour l’avenir des libertés publiques en France. Le pouvoir va-t-il poursuivre dans cette voie ? La scission qui s’annonce au sein de la REM avec le départ d’Aurélien Taché, l’un des phares de ce politiquement correct, va être, à cet égard, très importante à suivre.   

3/le tempérament du Chef de l’Etat qui semble allergique à la critique, comme plusieurs de ses prédécesseurs. Nous retombons là sur les effets pervers de la personnalisation extrême du pouvoir sous la Vème république. L’omniprésente flatterie courtisane, héritage de la monarchie, qui règne autour de tous les présidents, fait le reste. C’est pourquoi, malgré un réel courage pour « aller au feu », courage qui le distingue, là, de nombre de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a vite fait de couper court aux objections et de monopoliser la parole, comme l’a vu lors du Grand débat ou des rencontres avec les Français.

En plus de l’allergie du gouvernement à la critique s’ajoute un manque de confiance à l’égard des citoyens. Le gouvernement français est-il en train de fomenter une crise au sein de la démocratie ?

La discussion cède en effet très vite la place à la volonté d’imposer, par la « pédagogie », son point de vue. Et nous trouvons là un aspect fondamental du macronisme : sa filiation saint-simonienne, dont j’ai parlé dès mai 2017, dans vos colonnes et ailleurs. Or Saint-Simon (1760-1825) était tout sauf un homme de dialogue. Pour lui les choses étaient claires : « le maintien des libertés individuelles ne peut être le but du contrat social ». C’est pourquoi je m’évertue à dire que, contrairement à ce qu’on écrit partout, le macronisme n’est pas philosophiquement un libéralisme. Au-delà de l’homme, c’est tout un milieu, lui aussi imprégné de saint-simonisme, la technostructure française, forgée à l’X et /ou à l’ENA, deux écoles dominées historiquement par la philosophie saint-simonienne. Attention : le saint-simonisme n’est pas pour autant une dictature mais il a des potentialités autoritaires incontestables, selon les circonstances.

D’où, en tout cas, une attitude très verticale de ce Pouvoir. Et l’on a pu remarquer qu’à la « défiance ascendante » des Français à l’égard de leurs gouvernants répondait, au moins aussi forte, (en fait ce sont les deux faces de la même médaille), la « défiance descendante » des gouvernants à l’égard du Peuple. Puisqu’il « savent » mieux que nous, à nous de les suivre. La Science est en effet un pilier fondamental du saint-simonisme. L’on a vu à quel point la crise sanitaire a réactivé cette inspiration, du « Conseil » au « consensus scientifique », avec la mise en avant systématique des médecins (ou du moins de certains d’entre eux). Il y a là bien plus qu’un moyen de se « couvrir ». Il y a une confiance dans les « sachants », et entre « sachants ». Car, toujours selon Saint-Simon, les dirigeants possèdent un savoir propre : celui de « l’administration des choses ».

En somme, le manque de confiance à l’égard des citoyens qui se mesure aux injonctions, interdictions et règlementations de tous ordres, et plus encore à un certain « ton du pouvoir », très condescendant, renvoie à des éléments très ancrés dans notre culture politique, que le macronisme porte à leur paroxysme :

  • Notre tradition monarchique qui fait du Chef de l’Etat « le Père de ses sujets ». D’où l’infantilisation des Français.
  • Le saint-simonisme, qui fait du leader (que les saint-simoniens nommaient aussi « le Père »), le Grand Instructeur des humbles. D’où la « pédagogie ».
  • Le tempérament politique des Français en général, plus égalitariste et conformiste que libéral, comme l’a démontré Tocqueville. D’où notre servitude volontaire.

Car, en fin de compte, ne faut-il pas aussi poser la question à l’envers ? Les Français ne sont-ils pas les premiers enclins, surtout en temps de « Grande Peur », à échanger leur liberté pour leur sécurité, réelle ou illusoire ?

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