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Emploi : le miracle allemand
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L'Allemagne vient d'aligner un 24ème mois de baisse continue du chômage, qui s'établit désormais à 7%, confirmant les espoirs de reprise annoncés par sa croissance de 1,5% au premier trimestre de l'année 2011. Quelles sont les recettes de ce miracle économique allemand qui crée des emplois tout en conservant des salaires honorables ? Avec quelle contrepartie ?

Isabelle Bourgeois

Isabelle Bourgeois

Isabelle Bourgeois est chargée de recherches au Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC) et rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande. Bulletin économique du CIRAC.

Elle est également l'auteur de PME allemandes : les clés de la performance (Cirac, 2010).

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Atlantico : La nouvelle baisse du chômage allemand vous surprend-elle ?

Isabelle Bourgeois : Pas du tout : c'est une confirmation que l'Allemagne est bien sortie de la récession. Elle a été l'une des économies les plus rudement affectées par la crise, mais qui avait le potentiel pour en sortir rapidement.

La reprise de la demande mondiale, et notamment des pays émergents, tire ses exportations et la production industrielle, ce qui favorise les embauches et les investissements des entreprises. La spirale vertueuse est donc enclenchée. D'ailleurs, le gros des embauches est intervenu dans l'industrie et les services liés, qui sont les secteurs les plus ouverts à l'international. La crise avait été importée, le retour à la croissance aussi !

Ce dynamisme est-il attribuable à la politique économique menée par le gouvernement Merkel ?

Il est difficile de mesurer l'impact des mesures de soutien à la conjoncture, en Allemagne comme en France.

Ce qui est le plus important, ce sont les mesures adoptées au sein des entreprises ou des branches économiques. Au plus profond de la crise, les patrons ont thésaurisé leurs compétences en misant systématiquement sur tous les outils de flexibilité interne qui avaient été créés conjointement par le patronat et les syndicats, comme par exemple le compte épargne-temps. Ensuite, le gouvernement a soutenu financièrement l'usage massif du chômage partiel, par exemple. Il y a eu une solidarité conjointe entre patronat et salariés pour faire tourner la machine malgré la crise, et cela explique le retour rapide à la prospérité : en plus de maintenir les emplois, la reprise de l'activité a permis de nouvelles embauches.

Contrairement à ce que l'on croit en France, l'Allemagne ne s'est jamais désindustrialisée. On riait de l' « économie de grand papa » allemande, mais la crise a montré que ce modèle faisait ses preuves pour donner à manger aux gens !

Quels autres facteurs expliquent-ils le miracle de l'emploi allemand ?

Les entreprises allemandes mènent une politique d'innovation systématique : elles ont mis la crise à profit pour innover mieux, en redoublant d'efforts pour améliorer leur productivité. Cela leur a permis de réagir très vite et de sortir par le haut. Ce phénomène n'a été impulsé par aucune action politique : c'est quasiment culturel en Allemagne ! Les entreprises, et notamment les PME, ont toujours le regard rivé sur la demande pour améliorer leur position et leur réactivité, et sont aidées par leur travail en réseau.

Parallèlement, de plus en plus de gens cherchent un petit salaire d'appoint pour mettre du beurre dans les épinards : qu'ils s'agisse de retraités, de femmes au foyer ou d'étudiants, un nombre croissant de personnes vont par exemple distribuer le courrier ou se lancer dans les services à la personne. Ces petits boulots qui se multiplient étaient auparavant impossibles à pourvoir car les syndicats refusaient d'abaisser les planchers salariaux. Mais grâce aux accords des partenaires sociaux, ce segment a pu s'ouvrir, offrant des emplois à des gens qui n'auraient jamais pu travailler.

Par ailleurs, le chômage des jeunes n'existe pas en Allemagne : cela s'explique essentiellement par l'apprentissage et l'adéquation entre l'offre de formation et la demande du marché.

Enfin, à très long terme, on peut observer les effets bénéfiques de la modération salariale pratiquée quasiment depuis la réunification, que la France lui a souvent reprochée. Cela a pourtant permis aux entreprises de garder les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans l'outil de travail, et donc embaucher.

Cela ne se traduit-il pas par une situation sociale plus difficile pour les travailleurs allemands ?

L'idée selon laquelle les salaires allemands seraient bas pas est encore un fantasme français. Ils sont extrêmement élevés dans l'industrie ! Je gagnerais nettement plus en étant ouvrier dans l'industrie allemande que chercheur en France...

Pendant la récession, les salariés ont dû faire un effort, mais ils sont maintenant récompensés, notamment par des primes cette année. Les salaires sont régulièrement réajustés, mais ils restent toujours en-deçà de la progression de la productivité : c'est ça le secret du succès allemand !

Quid des inégalités sociales qui s'accroissent ?

Ce n'est pas lié au modèle allemand, mais aux mutations économiques qui touchent tous les pays européens. Elles ont notamment pour origine la libéralisation d'anciens services publics, l'extension du secteur des services et le boom des prestations qui exigent de faibles qualifications et qui sont rémunérées en conséquence.

Existe-t-il des menaces à l'encontre de la reprise économique allemande ?

Une belle mécanique est toujours fragile ! Il y a d'abord le problème de la démographie : l'Allemagne devra amener plus de femmes à l'emploi qualifié, et combler les manques dans certains domaines grâce à la mobilité intra-européenne. Des inquiétudes demeurent également autour de la crise des dettes souveraines, pas seulement en Allemagne, mais aussi chez les autres. Par ailleurs, le risque inflationniste demeure fort, notamment du fait de l'envolée des matières premières.

Et enfin, de grosses incertitudes entourent la sortie du nucléaire, qui va coûter très cher. Les Allemands sont en train de discuter de la façon de gérer le problème, en espérant en tirer un regain de compétitivité, mais rien n'est moins sûr.

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