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Alerte à la pseudo justice sociale : cette culture de l’excuse qui (co)produit la violence qui nous envahit
©LOIC VENANCE / AFP

Nihilisme sociétal

La culture de l'excuse semble de plus en plus ancrée au coeur de la pensée politique de la gauche. Quel rôle la gauche a-t-elle joué dans la création du vide politique actuel ? Quel est l'impact de cette culture de l'excuse sur les mouvements sociaux anti-racistes et de Social Justice Warriors ?

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Comment la culture de l'excuse s'est-elle ancrée au sein de la pensée politique de gauche ? Quelles en sont les séquelles aujourd'hui ?

Edouard Husson : Cela remonte au moins à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Général Patton fut violemment attaqué par la presse américaine pour avoir rudoyé un soldat hospitalisé atteint du syndrome dépressif du combattant. On traita, dans la presse américaine, Patton de « nazi »! La seule différence, aujourd’hui, c’est que Donald Trump est traité quotidiennement comme le Général Patton le fut à l’époque. Et qu’il a parfaitement compris que s’il s’excusait, comme Patton le fit à tort, les gauchistes danseraient rapidement sur son cadavre politique. 

Je vois trois origines à cette culture de l’excuse: 1. Comme l’a montré Jean-Louis Harouel dans un magnifique petit livre, « Droite-gauche: ce n’est pas fini! », la gauche est d’abord un phénomène religieux, qui emprunte à la fois à la gnose et au millénarisme. En simplifiant beaucoup, la gnose consiste à détester le monde créé au nom d’un « royaume spirituel » -  qu’il s’agit de faire advenir ici et maintenant, c’est la composante millénariste. La gauche déteste l’histoire, la culture, le capitalisme, la famille, le souverain (qu’il soit le peuple ou un roi), au choix ou ensemble, parce que c’est le monde réel, avec toutes ses imperfections, ses inachèvements, ses succès et ses échecs. La gauche refuse l’idée que le monde soit imparfait; et elle préfère casser ce monde imparfait au nom d’une perfection purement abstraite et illusoire, que de s’accommoder du monde tel qu’il est. 2. Ce faisant, l’homme de gauche cultive le « ressentiment ». Stendhal a parlé de l’envie, de la jalousie et de la haine comme des sentiments modernes. René Girard nous a montré comment les intuitions de Stendhal sont confirmées par Proust ou Dostoïevski. Il faudrait sans doute ajouter que Flaubert a bien senti un autre phénomène éminemment moderne, celui du demi-instruit et du règne possible de la bêtise au nom de la science. Monsieur Homais, Bouvard et Pécuchet. Nous nageons en plein là-dedans, en notre époque qui mène 40% d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur mais en ayant construit l’édifice sur du sable: le primaire et le secondaire ont été tellement détruits par la gauche, avec la complicité d’une droite qui n’en était plus une. Détruisez les programmes d’histoire et vous aurez la possibilité de raconter les pires bêtises sur Colbert ou sur Victor Schoelcher. 3. Evidemment, il y a aussi des soutiens puissants à ces développements. En 1945, quand Patton est humilié, Staline et l’internationale communiste mettent de l’huile sur le feu partout où ils le peuvent pour insuffler à l’Occident une mauvaise conscience généralisée. Aujourd’hui, ce n’est plus l’URSS, ce sont de riches WASP décadents et corrompus qui financent les Antifa et bien d’autres associations. Mais le phénomène est le même. 

Quel impact psychologique produisent des années d’éducation dans la culture de l’excuse pour des générations ou des groupes sociaux entiers dont les dérives ne sont plus vraiment sanctionnées ?

Jean-Paul Mialet : Culture de l’excuse ? Je pense qu’il vaudrait mieux parler de culture de la compréhension. Ou du moins, c’est ainsi  que tout a commencé. Jeune Interne à l’Hôpital Sainte Anne, et déjà père d’un enfant, je me battais contre des collègues qui, baignant dans Freud, faisaient de l’explication la clé de l’éducation : le plus difficile, leur disais-je, n’est pas de comprendre mais de dire « «non ». Quand votre enfant enjambe le parapet, ce n’est pas le moment de lui expliquer que la chute des corps obéit aux lois de la gravitation. Certaines choses doivent être interdites ; ces interdictions seront expliquées plus tard. Et le conflit – inévitable - sera surmonté dès lors que l’autorité n’exprime pas une volonté de puissance au service de l’ego des parents mais une protection bienveillante dans un climat affectif positif. Ce point de vue, dans les années 70, était considéré comme parfaitement rétrograde. A la même époque étaient tentées des expériences éducatives de totale liberté comme « Libres enfants de Summerhill » qui se sont avérées un total échec. 

Avant l’excuse, il y a donc eu la compréhension dans une perspective mêlant Freud et Rousseau : tout ce qu’un individu faisait de mal résultait d’un environnement qui lui avait fait du tort. Voilà donc à mon sens les débuts d’une dérive qui a empêché une génération de se frotter à l’épreuve des dures réalités et qui a entretenu des illusions : illusions sur soi-même et sur le monde. Ne pas traumatiser les enfants était devenu l’objectif prioritaire. L’école a cessé d’attribuer des notes qui pourraient être injustes, et des punitions qui pourraient les faire souffrir. 

Les parents ont soutenu le mouvement : mon enfant, s’il se comporte mal, a nécessairement des excuses. Mais alors quelles excuses ? En fait, cette déresponsabilisation des enfants était le premier pas vers une déresponsabilisation de tous. Prenons, si vous voulez bien, l’exemple de mon vieux monde : je suis d’une génération qui ne remettait jamais en cause l’autorité de l’école. Les parents des enfants chahuteurs, lorsqu’ils se plaignaient de leur punition, leur répondait : « Compte le nombre de fois où tu es parvenu à ne pas te faire prendre. Si tu es gagnant, tais-toi ». Les critiques des professeurs caractériels – il y en a - se heurtaient à un : « Tu en rencontreras de bien pires toute ta vie. Habitue-toi ». Cela en traumatisait peut être certains, mais responsabilisait la plupart. Nous étions à l’origine de nos fautes. Je ne reviens pas sur ces souvenirs par complaisance mais parce qu’ils indiquent bien ce qu’était autrefois le cercle vertueux de la responsabilité, par contraste avec, de nos jours, le cercle vicieux de la déresponsabilisation. Car nos maîtres pouvaient faire leur travail librement, comme ils l’entendaient ; ils ne redoutaient pas les parents d’élève. Et les directeurs d’établissement ne cherchaient pas à ouvrir en permanence le parapluie… Chacun, dans ce monde ancien, parents, enseignants, et surtout enfin soi-même – chacun avait ses responsabilités propres.

Mais il n’y a pas eu que le contexte freudo-rousseauiste. Les sciences humaines – psychologie, sociologie - se sont penchées avec attention sur les facteurs propices à l’émergence des conduites. Elles ont décelé des facteurs favorables à certains succès ou à certains échecs. Or, à force de disséquer ces facteurs, on a cru pouvoir tout expliquer et éviter la notion de responsabilité individuelle au profit des conditions d’environnement Bien sûr, par exemple, si l’on est fils de cordonnier, on a moins de chance de faire Normale Sup qu’un fils d’enseignant – mais Jean Guéheno était fils de savetier ! Cependant, un esprit égalitariste a voulu oublier les facteurs individuels pour ne retenir que ceux de l’environnement.

Or, la déresponsabilisation personnelle va de pair avec l’accusation de l’entourage : ce n’est pas ma faute, c’est la faute des autres. Paradoxalement, tout en refusant les sanctions pour soi-même, on est toujours plus avide de sanctions pour les autres. 

La responsabilité est donc comme « une patate chaude » que chacun se renvoie. Et tout le monde est perdant : ceux qui évitent la responsabilité, qui ne prennent ainsi jamais la mesure de ce qu’ils valent et ne goutent pas aux satisfactions de l’accomplissement véritable, mais aussi ceux auxquels on attribue des responsabilités exagérées : ceux-là soit jouissent d’un pouvoir exorbitant et fragile, soit se sentent exploités et amers.

Ce que l’on vient d’évoquer au niveau de la famille, de l’éducation et l’enseignement peut aisément s’élargir au niveau de la collectivité. L’autorité familiale y est représentée par l’autorité de l’Etat, les institutions scolaires par « la collectivité », et les groupes délictueux sont ces mauvais enfants qui ne respectent pas les règles de l ‘école. Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pas question de leur mettre une mauvaise note. C’est la faute de la collectivité qui n’a pas su les accueillir et les comprendre. Autrement dit, plutôt que d’exiger que certains mauvais élèves respectent les règles de l’école, on  remet en cause l’école... Cette indulgence face à des dérives qui menacent cette fois non plus un individu et son entourage, mais la collectivité et l’ordre social peut se comprendre dans un premier temps, pour en faire l’analyse. Mais lorsqu’elle s’établit, qu’elle prend une tournure chronique, elle devient très difficile à contenir. En achetant la paix par l’évitement des conflits du début, on prépare la guerre. 

Cet impact est-il aggravé par le militantisme anti raciste et/ou anti-discrimination ?

Jean-Paul Mialet : Dans cette époque qui trouve des excuses à tout, il y a tout de même des comportements inexcusables. Et pour ceux-là, la sanction est sévère. Les comportements inexcusables relèvent de tout ce qui est relatif à la différence. Notre monde est devenu allergique à la différence. Dire qu’un noir n’est pas un blanc, c’est faire preuve de racisme ; qu’une femme n’est pas un homme, de sexisme ; qu’un homosexuel n’est pas un hétérosexuel, d’homophobie, etc… Pourquoi la différence est-elle devenue intolérable ? Parce qu’elle est soupçonnée entretenir un jugement de valeur. Différence est synonyme de comparaison. Et la comparaison sera toujours à l’avantage de la majorité qui représente la norme, une norme ressentie comme écrasante par les minorités. A cela s’ajoute des règlements de compte historiques. Il s’agit de payer pour l’esprit de conquête de ceux qui nous ont précédé et leur société patriarcale.

Hélas, la sensibilité aux différences est là, dès la cour d’école : il suffit de voir comment est accepté l’élève nouveau qui débarque en cours d ‘année, ou comment sont regardés les enfants qui s’écartent des autres d’un point de vue physique ou mental. Plutôt que de vouloir la nier ou l’interdire, mieux vaut désamorcer les jugements de valeur par l’instruction et l’exemple.  Le sacrifice d’un pompier noir dans le combat d’un incendie apporte davantage à la cause des noirs que certains militants anti racisme dont l’intolérance et la haine sont précisément les moteurs passionnels du racisme qu’ils combattent. 

Il y aurait donc urgence à rétablir un esprit d’ouverture respectant les différences mais ne les niant pas. L’égalité ne passe pas par l’aveuglement mais par le respect de du droit à l’expression de chacun. Naturellement, pour ne pas virer à la cacophonie, ce droit à l’expression doit respecter les règles d’un cadre collectif, celui de la société dans laquelle on a choisi de vivre et qui nous rassemble par delà les différences. Quoiqu’il en soit, traiter les différences  - et les désaccords qui en résultent nécessairement - par un déni revient à casser le thermomètre pour ne pas voir la température. Il est urgent de relire « La violence et le sacré » de René Girard : selon cet anthropologue respecté, une société qui abolit les différences est condamnée à la violence.

Quel rôle la gauche a-t-elle joué dans la création du vide politique auquel les Français doivent aujourd'hui faire face ? 

Edouard Husson : L’histoire de la gauche est une succession de « gnoses réécrites ». Staliniens, trotskistes, maoïstes naguère; théoriciens du gender ou de l’antiracisme aujourd’hui. Ce sont les mêmes, la même intolérance, le même refus d’accepter la complexité du réel, la même haine de ce qui fonctionne, la même disposition à plonger les groupes fragilisés par la modernité dans une détresse encore plus grande. Quel est le pire ennemi des Noirs américains aujourd’hui? C’est la culture de l’antiracisme, qui amènera encore plus de destruction dans une partie de la population noire américaine précarisée. Gide a eu cette phrase un peu idiote selon laquelle on ne fait pas de la littérature avec des bons sentiments. Mais il est certain que l’on fait de la très mauvaise politique avec du ressentiment entretenu. La Russie a failli disparaître complètement sous l’emprise du communisme. La Chine ou l’Iran sont rongés par leur ressentiment vis-à-vis de l’Occident. Les démocrates américains sont prêts à plonger leur pays dans le chaos plutôt que de laisser réélire Trump. La gauche n’est pas seule en cause. La droite est souvent la première responsable. La méchanceté du comte de Provence (futur Louis XVIII) et la bêtise du comte d’Atois (futurs Charles X), qui font avorter par le manifeste de Brunswick, la partie très serrée que Louis XVI était en train de gagner; la mentalité « moderniste » d’une partie du catholicisme français alors que la gauche vient d’expulser les congrégations et est empêtrée dans l’affaire des fiches; l’abandon à la gauche, en 1945, de l’éducation et de la culture; la « réforme Haby »; la trahison des évêques après la victoire politique des manifestants pour l’école libre en 1984; la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy ou le poignard planté dans le dos de François Fillon: ce sont autant de vides politiques créés, qui permettent à la gauche d’occuper le terrain. Aujourd’hui, nous n’aurions pas de culture de l’excuse si la droite n’avait pas entièrement abandonné, ou presque, l’éducation et la culture à la gauche; si la plupart des grands patrons, devenus propriétaires de médias, ne se comportaient pas comme des orléanistes, avec une disposition à abandonner le terrain des idées à la gauche pourvu que la fortune et l’ordre social soient apparemment maintenus. Emmanuel Macron est de ce point de vue le président idéal: il nomme un sarkozyste à l’intérieur et un gauchiste à la justice. 

Comment est-il possible d’intégrer ces populations à la République Française face au nihilisme sociétal qui s’installe profondément au sein de notre pays ?

Jean-Paul Mialet : Malheureusement, votre question contient la réponse. Pour s’intégrer à la République Française, il faut qu’elle ne soit pas rien, qu’elle échappe au nihilisme social dont vous parlez. La République est-elle engloutie dans le nihilisme ? On peut s’interroger quand on voit la perte de crédibilité du politique et la désertion des électeurs lors des votes. Si toutefois, la République ne représente pas encore rien pour un grand nombre - dont je suis -, il est temps que consciente de sa valeur, de son histoire, de l’esprit dans lequel elle s’est construite, des crises qu’elle a connues, fière d’elle-même en somme pour ce qu’elle et sans culpabilité inutile pour ce qu’elle fut, elle sache à nouveau se faire respecter en imposant un cadre, faute duquel, ce sera, après la cacophonie, le chaos. Et ce cadre suppose des lignes jaunes et des sanctions. A moins que les valeurs de la République Française nouvelle, la RF 2.0,  soient au fond d’être ouverte à tous les vents démagogiques en poursuivant des objectifs avant tout électoraux… En ce dernier cas, l’addition pourrait être lourde.

Quel est l'impact de cette culture de l'excuse sur les mouvements sociaux anti racistes et de Social Justice Warriors ?

Edouard Husson : Pour compléter notre tableau, il faudrait ajouter que la gauche connaît un mouvement de balancier, tout comme la droite: l’Occident passe de périodes d’individualisme exacerbé à des périodes de reconstruction d’une cohésion sociale. Une gauche hyperindividualiste a succédé, vers 1970, à la gauche collectiviste qui avait régné de 1920 à 1970. Aujourd’hui, nous assistons aux soubresauts de cette gauche individualiste, celle de « 1968 ». Sa vision économique, libériste ou anarcho-capitaliste, comme vous préférez, s’est effondrée en 2007-2008. Du coup, la même gauche a tendance à en rajouter en matière « sociétale ». Les Etats-Unis sont très instructifs car Trump fait sortir le parti républicain du néolibéralisme économique. Le parti démocrate n’a rien à opposer dans ce domaine, sinon les recettes éculées du millionaire marxiste qu’est Bernie Sanders. Du coup, les Démocrates en rajoutent, en matière d’individualisme et d’artificialisme. L’individu serait libre de redéfinir son sexe et de se construire une identité complexe. Et comme c’est un peu fatiguant de vivre en permanence à côté de ses pompes, on donne régulièrement des coups de haine d’un ennemi bien identifié, le blanc hétérosexuel, celui qui n’a pas, apparemment de problèmes d’identité - juste des problèmes économiques et sociaux énormes.  

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