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Alain Juppé devant Marine Le Pen chez les ouvriers : un cas d’école de la différence entre popularité et vote réel
©Reuters

L'inattendu

L'ancien Premier ministre domine le baromètre Ipsos pour le Point avec 47% d'opinions favorables. Un chiffre surprenant d'autant que l'ex-favorite du monde ouvrier était Marine Le Pen. Le signe que les lignes sont en peut-être en train de changer sur ce que l'on appelle, parfois un peu abusivement, le "vote populaire".

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Selon le baromètre Ipsos pour Le Point (voir ici), Alain Juppé est l'homme politique qui recueille le plus d'opinion favorable auprès des ouvriers, dépassant Marine Le Pen. Comment l'ancien Premier ministre, très éloigné lui-même du monde ouvrier et ne s'affichant pas comme son défenseur, a-t-il pu construire sa popularité dans cette partie de la population ?

Jean-Philippe Moine : La popularité ne s’arrête pas aux portes des classes sociales. Et la popularité d’Alain Juppé, particulièrement élevée dans l’opinion publique en général, ne fait pas exception en ce qui concerne les ouvriers. Il ne s’affiche peut-être pas comme défenseur du monde ouvrier mais il n’a jamais affiché le contraire non plus. En tout cas, c’est une bonne nouvelle que la dirigeante du parti d’extrême droite soit ainsi détrônée ! Personne n’a le monopole du peuple. Cela montre aussi que les ouvriers – comme les étudiants, les professions libérales ou les retraités – se prononcent d’abord en tant que citoyens et non comme membre d’une catégorie socioprofessionnelle et refusent de plus en plus le communautarisme social. L’indépendance des jugements politiques vis-à-vis des conditions sociales est l’une des caractéristiques des démocraties modernes. Il faut ajouter que le discours d’apaisement et de rassemblement d’Alain Juppé, sa référence gaulliste, a des effets bien au-delà des clivages habituels, qu’ils soient partisans, culturels ou sociaux.

Concrètement, que propose, au niveau de l'idéologie, en attendant son programme, l'ancien Premier ministre qui avait mis une partie des ouvriers dans la rue en 1995 ? 

Rétrospectivement, l’épisode de 1995 n’est pas considéré à la défaveur d’Alain Juppé, au contraire :  sa volonté de réforme des comptes publics avait pour le tort… d’avoir raison trop tôt. Tout le monde, ouvriers compris, voit bien aujourd’hui, 20 ans après, que les déficits publics plombent notre économie et que les comptes sociaux doivent retrouver l’équilibre pour perdurer. Le projet d’Alain Juppé n’est pas encore défini avec précision, il le présentera aux citoyens dans un an, à l’approche des primaires ouvertes qui permettront aux sympathisants de la droite et du centre de choisir celui qui leur paraît le plus compétent et le plus légitime pour porter le projet d’alternance républicaine à l’élection présidentielle. Mais le positionnement d’Alain Juppé, c’est à la fois la promotion de l’économie de marché, la dynamisation des entreprises dans un développement durable et, par un esprit de réforme organisée sur 5 ans, la préservation du modèle social français. Il y a aussi le sentiment, qui est présent aussi chez les ouvriers, qu’avec Alain Juppé, il n’y aura ni agitation, ni fluctuation, ni flou dans les décisions, mais une certaine rectitude, sans démagogie. Il a déjà dit, et n’a pas besoin d’insister, c’est un peu sa marque de fabrique, qu’il ne sera pas l’homme des contorsions. C’est peut-être cela qui plaît.

Les deux premières personnalités favorites des ouvriers sont donc Alain Juppé et Marine Le Pen. Se dirige-t-on dans les classes populaires vers un clivage "raisonnable" contre "non raisonnable" centré sur ces deux personnalités ? 

L’enjeu est et sera en 2017 de savoir si les classes populaires se laisseront entraîner par les démagogies, la recherche de boucs émissaires – l’Europe, les immigrés, la classe politique, les "élites", bref les autres… – si elles se laisseront bercer d’illusions par des démagogues selon lesquels les lendemains chanteront toujours sans effort, ou si la France sera en situation de maturité démocratique pour regarder l’Europe, le monde et l’avenir avec confiance, quitte à consentir à quelques efforts collectifs bien organisés et dosés. Ce n’est pas une simple opposition entre option "raisonnable" et option "non raisonnable" : vue les difficultés dans lesquelles se trouvent le pays à force d’avoir reporté les décisions, c’est une question de vérité qui va être posée. Les classes populaires verront où se trouve l’intérêt du pays, entre le spectre passéiste du repli nationalisme et xénophobe et l’ouverture raisonnée vers un avenir où l’économique et le social ne peuvent se concevoir l’un sans l’autre, où la France et l’Europe ne peuvent vivre qu’ensemble.

Le baromètre ne mesure que la popularité. Mais que peut-il en être dans les intentions de vote ? Alain Juppé est-il vraiment "désiré" ou seulement "respecté" selon vous ?

Etre "respecté" est une vertu devenue rare, donc très importante, aujourd’hui en politique ! Et je pense, compte tenu de l’ampleur des défiances qui touchent toute la classe politique, qu’inspirer le respect, par une hauteur de vue, par une certaine distance aussi, sera un atout majeur dans la prochaine compétition présidentielle. Bien sûr, il est difficile, impossible même, de prédire les circonstances dans lesquelles, dans deux ans, se situera l’élection présidentielle. Mais toutes choses égales par ailleurs, on peut dire que le respect, avec la compétence, pourra être désiré.

Qu'est-ce que la montée d'Alain Juppé, plutôt qu'un autre, indique de l'image actuelle qu'à Marine Le Pen chez les ouvriers, elle qui selon le baromète n'est plus "que" seconde ?

Cette montée d’Alain Juppé montre que l’intransigeance dans l’affirmation des convictions est non seulement honorable sur le plan des valeurs mais payante du point de vue de l’efficacité politique. Vis-à-vis de l’extrême droite, les atermoiements, les rapprochements ou les imitations sont des attitudes ou des calculs perdants. On peut critiquer Alain Juppé sur différents points mais personne ne peut nier que sa ligne de combativité contre le parti d’extrême droite a été constante et sans faiblesse. Cette ligne n’est pas une posture. Elle touche à l’essentiel de la politique. Que l’image de Marine Le Pen soit ainsi ternie chez les ouvriers montre peut-être qu’au-delà des élections intermédiaires, qui facilitent les votes de protestation sans risque, le discours lepéniste commence à s’user. Et qu’un discours de vérité et de rassemblement a toutes les chances d’être populaire.

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