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Quand la télévision devient 
un mode d’expression terroriste
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Violence et propagande

A l'approche du 10e anniversaire des attentats du 11 septembre, François-Bernard Huyghe décrypte les méthodes, les modes d'action et les discours des membres du Jihad dans un livre "Le terrorisme : Violence et propagande". Extraits (2/2).

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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L’apogée du terrorisme-spectacle est atteint avec l’écroulement des Twin Towers, l’événement le plus filmé de l’histoire et le plus rediffusé en boucle. Al-Qaïda trouve son meilleur relais dans la société de l’image quand elle s’en prend aux symboles de l’argent, de l’orgueil, de l’Amérique…, à ces tours que Ben Laden qualifie d’«icônes», pour lui des objets d’idolâtrie païenne.

Deux des signes les plus ostentatoires de la mondialisation – les télévisions internationales d’information par satellite et Internet – bouleversent le mode d’expression terroriste. Depuis qu’existe une pluralité de chaînes de TV d’informations internationales, en particulier arabophones, chaque groupe a les moyens de produire ses propres images qui pourront avoir une diffusion planétaire. Sans reprendre les accusations faites à Al-Jazira d’être une «TV terroriste», il faut reconnaître que la chaîne qatarie sert de vecteur à des discours ou des images que censurerait CNN. Ainsi en 2001, au moment même où les troupes américaines lancent leur offensive contre l’Afghanistan, Al-Jazira diffuse le message de Ben Laden. Surtout, elle montre les conflits du monde arabe du point de vue des Arabes. (...)

Sans tomber dans le mythe d’Al-Qaïda cyberréseau high-tech, on sait qu’il est facile, surtout pour un arabophone, de trouver des forums projihadistes sur Internet, d’y découvrir desinstructions techniques sur la fabrication d’explosifs ou de voir des vidéos. Certes les mots et les images ne tuent pas ou ne «rendent» pas terroristes. Mais nombre de ceux qui passent à l’acte en loups solitaires ou en groupe ont d’abord fréquenté ces sites pour renforcer leur motivation.

La Toile permet d’assurer sans grands risques les fonctions essentielles pour une organisation secrète: messagerie interne, lien entre des groupes dispersés, recrutement, éventuellement formation technique, communiqués (ou prêches, discours, fatwas…).

Forums et sites de partage sont autant d’espaces de rencontre pour communautés militantes. La plupart des membres en resteront au stade «virtuel» de l’imprécation ou du débat enflammé avec les frères. Mais les réseaux du Web 2.0, blogs, sites collaboratifs, Wikis et autres, sont accusés de favoriser «l’autoradicalisation» des isolés. Les spécialistes commencent même à parler de «Qaïda 2» et de «e-jihad».

Alors qu’il fut un temps où les textes et proclamations des terroristes n’étaient guère traduits ou à peine lus, la surveillance des forums jihadistes est maintenant intégrée à la lutte antiterroriste. Cette veille permet de déceler les motivations du futur jihadiste, le lien qu’il établit entre théologie et pratique, la hiérarchie de ses adversaires, le sens religieux et stratégique qu’il attribue à ses actes. Certes cela ne permet pas de savoir l’heure ou le lieu exacts, mais au moins la direction générale de son action.

Parallèlement, le message jihadiste par l’image s’est sophistiqué et se divise en véritables sous-genres. Le premier est celui des discours des dirigeants spirituels, prêches politico-religieux qui s’adressent surtout aux croyants: ils rappellent les injustices subies, la légitimité théologique du jihad et menacent les prochaines cibles. S’ajoutent des initiatives surprenantes, comme celle d’al-Zawahiri ouvrant une «foire aux questions» sur Internet ouverte à tous ceux qui voulaient se renseigner sur le jihad. Mais, pour cause d’inflation, les nouvelles cassettes de chefs jihadistes, y compris celles en audio de Ben Laden, ne bouleversent plus autant les chancelleries ou les médias occidentaux. (...)

Dans notre culture, il est devenu normal de ne pas montrer les images de morts à la guerre, surtout ceux que l’on provoque. Pourtant, chez les jihadistes, l’exécution d’otages est devenue un genre télévisuel. Les égorgements de prisonniers occidentaux ou les exécutions à la Kalachnikov de «collaborateurs», policiers ou soldats, se multiplient, spectacle d’une intensité insoutenable pour des Occidentaux. En principe, les fondamentalistes salafistes éprouvent une répulsion envers toute représentation de l’être humain, mais ils considèrent en l’espèce de telles images comme «licites». Ils les pensent utiles à montrer puisqu’elles illustrent le châtiment des «ennemis de Dieu» et exaltent la foi des croyants.

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Extraits de Le terrorisme : Violence et propagande, Éditions Gallimard (août 2011)

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