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Al-Baghdadi, une cible pour rien : pourquoi la mort du dirigeant de l’Etat islamique n’affaiblirait pas les califoutraques
©Reuters

Hydres

Selon une information diffusée par le quotidien britannique The Guardian, Abou Bakr Al-Baghdadi aurait récemment été grièvement blessé lors d'une frappe aérienne de la coalition menée par les États-Unis. Une perte qui ne ferait probablement pas mentir l'importante capacité d'adaptation des organisations terroristes islamistes.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans quelle mesure est-ce qu'un décès du chef de l'Etat islamique pourrait-il déstabiliser l'organisation ? Certains proches sont-ils pressentis pour lui succéder ?

Alain Rodier : Il convient de rester extrêmement prudent car des responsables terroristes ont souvent été annoncés tués avant de réapparaître au grand jour dans une forme resplendissante. Tant qu'aucune confirmation venant de Daech n'aura été faite, le mystère sur le sort d'Al-Baghdadi reste entier. Par exemple, on ne sait toujours pas si Al-Douri, l'ancien "roi de trèfle" irakien, collaborateur de Saddam Hussein rallié à Daech a vraiment été tué.

Daech est une organisation très structurée hiérarchiquement. A sa tête, il y a un "conseil" (Choura) qui comporte une dizaine de membres qui délibèrent des grandes orientations du mouvement salafiste-jihadiste. C'est ce conseil qui peut désigner un successeur. Dans les statuts de Daech, il a même théoriquement le pouvoir de le démettre s'il vient à ne pas remplir sa "mission".

Un nom est avancé: celui d'un ancien professeur de physique nommé Abou Alaa al-Afri alias Abou Souja qui a rejoint Al-Qaida en Afghanistan en 1998. C'est donc un vétéran qui impose le respect aux militants. Cela dit, peu de personnes avaient entendu parler de lui auparavant. Il y a également les deux adjoints connus d'al-Baghdadi, Abou Ali al-Anbari et Abou Muslim al-Turkmani. Enfin, tous les membres de la Choura sont éligibles.

Sous quelle forme cela pourrait-il se faire ?

C'est relativement simple : une annonce officielle de la mort de Baghdadi devenu "martyr" (ou de son incapacité à exercer ses fonctions), Quand un chef islamique disparait, cela finit toujours par se savoir. Puis vient la désignation du successeur par la Choura. Enfin, une demande d'allégeance au nouveau calife est demandée à tous les responsables de Daech. Des disputes peuvent survenir entre membres de la Choura ou de la part de chefs de guerre qui ne reconnaissent pas le nouveau calife. Ne pas oublier qu'à la différence des "émirs", il a un rôle spirituel et temporel. Il faut donc que le nouvel élu ait les qualités permettant de répondre à cette double fonction. La nationalité est théoriquement sans importance puisque Daech ne reconnait pas les États mais il est probable qu'il sera issu du Proche-Orient avec une petite préférence pour un Irakien, pays fondateur de l’État islamique.

Al-Qaida, l'Etat islamique... Comment expliquer que les organisations terroristes islamiques, bien que ce ne soit pas souvent sous le même nom, parviennent souvent à exister malgré la mort de leurs leaders ? Cette caractéristique est-elle particulière ou se retrouve-t-elle dans d'autres organisations terroristes ?

Il est vrai qu'à l'époque des Brigades rouges et autre Action directe, la neutralisation d'un chef entraînait automatiquement la déstabilisation du mouvement. Ce n'est pas le cas avec les mouvements islamiques radicaux qui ont toujours pris soin de faire reposer leur autorité sur plusieurs personnes. De plus, les organigrammes qui sont plus en "râteau" que pyramidales permettent l'émergence permanent de nouveaux leaders. Al-Qaida "canal historique" a été sévèrement étrillé ces derniers temps par les opérations homo américaines (avec les bavures que l'on connait, même assumées par le président Obama). Cela n'empêche pas la nébuleuse d'être en progression sur de nombreux fronts dont le Syrien via Al-Nosra et affidés. Il est vrai que l'on en parle moins car la politique de communication d'Al-Qaida "canal historique" se fait volontairement plus discrète. 

Pour autant, la blessure d'une mort d'Al-Baghdadi ne porterait-elle pas un coup idéologique à l'Etat islamique, dont on sait que les fondements sont basés sur une certaine mythologie d'inspiration islamique ?

C'est certain car Al-Baghdadi est devenu un symbole charismatique dont l'autorité morale est incontestée à l'intérieur de Daech. S'il disparaît, il y aura certainement une période de flottement mais ce n'est pas pour cela que le mouvement sera en perdition sans "capitaine". Chaque chef de guerre agit relativement indépendamment et la coordination centrale est exercée par la Choura. Au cœur du califat (Syrie-Irak), la situation est gérée par les gouverneurs qui bénéficient d'une structure administrative, judiciaire et répressive importante et à l'extérieur, c'est l'autonomie qui est la règle. Le coup serait donc rude sur le plan psychologique mais loin d'être fatal sur le plan organisationnel. Il ne faut pas s'y méprendre, Daech envisage le jihad dans la durée de plusieurs générations. D'abord, établir un noyau de califat (c'est fait). Ensuite, étendre le jihad aux pays voisins (c'est en cours) pour reconquérir les terres "perdues" par l'islam. Cela devrait prendre un certain temps car cela comprend l'Andalousie, la Turquie, l'Afrique du Nord, l'Extrême orient musulman. Puis, à terme, (dans très très longtemps), conquérir les terres non musulmanes. Al-Baghdadi sait parfaitement qu'il n'en verra pas la fin. Il n'est pas fou, il a du prévoir la suite.

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