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Air France va recevoir son chèque, mais doit accepter des conditions de fonctionnement qui vont l’empêcher de décoller
©Thomas SAMSON / AFP

Atlantico Business

La question de la recapitalisation d’Air France était au cœur de négociations à Bruxelles. La Commission a concédé l’aide financière, mais demande en échange un abandon de créneaux d’aéroports, ce qui revient à pénaliser l’activité d’Air France.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Après le versement de l’aide de l’Etat, Air France va survivre, mais pour combien de temps ?  Soyons clair et bref, l’Etat Français se retrouve en situation d’actionnaire principal, tout proche des 30% de capital, ce qui revient à une quasi nationalisation mais Air France s’est tiré ainsi une balle dans le pied, en acceptant ce chèque de l’Etat français.

Bruno Le Maire, le ministre français, a négocié dur, avec Bruxelles la possibilité de pouvoir recapitaliser la première compagnie aérienne française. On connait, depuis hier mardi, les détails du plan.

La Commission européenne a donc lâché du lest sur le renflouement des caisses d’Air France, qui devrait  recevoir 4 milliards d’euros, dont 3 milliards de prêts convertis en obligations et 1 milliard d’augmentation de capital. Cela intervient après une première aide de 7 milliards l’an passé, au début de la crise. Une somme qui n’a permis que de renflouer les pertes accumulées lors de l’arrêt du trafic aérien, mais avec la longueur de la crise et la morosité du tourisme, la compagnie se retrouve aujourd’hui dans la même situation de manque de liquidités. Air France a perdu 2/3 de ses clients, 70% de son trafic. S’il fallait sauver Air France, Paris y a mis le prix et Bruxelles a donné son feu vert.

Mais là où Margrethe Vestagger, la Commissaire européenne à la concurrence, a été pugnace, c’est sur le maintien et le respect des règles de concurrence du secteur aérien et l’abandon des « créneaux ». Elle avait demandé à ce qu’Air France abandonne des créneaux horaires. Elle n’a rien lâché, citant en exemple Lufthansa. La compagnie allemande, qui a bénéficié d’un renflouement en 2020, mais à la condition d’abandonner des créneaux d’aéroport, horaires quotidiens de décollage et d’atterrissage qui lui permettent de proposer des lignes et de vendre des billets. A Bruxelles, on considère que ce qu’on a imposé à Lufthansa doit s’appliquer à Air France. Cette équivalence de traitement n’est pas ridicule, sauf que les fragilités d’Air France sont plus lourdes que celles de la Lufthansa. 

Dans l’aérien, le nerf de la guerre, ce sont justement les « slots ». Les slots sont des paires de créneaux de décollage/atterrissage. Ce sont les actifs les plus importants pour une compagnie aérienne, ce sont eux les véritables créateurs de valeur, plus importants que du cash, qui peut être brûlé en quelques mois, ou du capital. Certains créneaux, selon les horaires, peuvent facilement valoir quelques dizaines de millions d’euros.

Dans l’accord qui a été négocié à Bruxelles, ce sont 18 créneaux quotidiens que la compagnie devrait abandonner, dans un aéroport qui revêt une grande importance pour elle : Orly. Une demande qui équivaut à laisser aux concurrents 7000 rotations par an – ou 5% des 125 000 créneaux que détient actuellement Air France à Orly.

Sans ces slots, Air France aura du mal à voler. D’où la question évidente : à quoi sert le sauvetage financier d’Air France, avec de l’argent public, si c’est pour lui empêcher de maintenir une activité commerciale correcte ? Pour le contribuable, c’est la double peine. 

Air France n’a pas attendu l’arrivée du Covid pour découvrir ses facteurs de morbidité qui l’entrainent aujourd’hui dans un piège dont elle aura du mal à sortir. 

D’abord, Air France doit gérer, certes, des difficultés conjoncturelles, liées à la crise sanitaire et à l’impact durable de la réduction de mobilité. Air France n’a plus de clients depuis plus d’un an. Les voyageurs continuent d’être restreints dans leurs déplacements. Le trafic intérieur a atteint, en février, 36% d’un mois normal alors que le trafic international était à peine à 10% de la mobilité d’avant, selon l’indicateur Tendanciel. Aucune entreprise ne peut vivre durablement avec une telle réduction de son chiffre d’affaires. Benjamin Smith, le directeur général d’Air France, ne voit pas le trafic revenir à la normale avant 2024, et surtout, ce pourrait être un trafic a minima, c’est-à-dire sans remplir comme avant la classe « business » des vols long-courriers, la plus profitable.

Ce qui aggrave les difficultés financières. Air France a déjà perdu 7 milliards en 2020 ; tout indique que l’année 2021 devrait s’inscrire aussi dans le rouge. La dette financière a doublé en un an, passant à 11 milliards d’euros.

Mais ce qu’on oublie de préciser, c’est qu’Air France connaissait, bien avant la crise, des difficultés structurelles. Air France était déjà une entreprise à risque. Trop lourde, trop chère, trop généreuse socialement, trop arrogante. D’où la nécessité de se marier à KLM, il y a quinze ans pour remplir ses avions. 

1er point : le mariage avec KLM n’a jamais été un mariage d’amour, pas plus que de raison. La gouvernance franco-néerlandaise ne s’entend pas. Air France a fusionné avec KLM en 2004 et les relations, depuis lors, n’ont jamais été simples. Les Pays-Bas contrôlent 14% du groupe, des parts qu’ils ont acquis en catimini, dans le dos de l’Etat français, quand la France en détient 14,3% depuis la réunion des deux sociétés,. Tout appui d’un pays à l’ensemble est donc un point de crispation, puisque l’Etat français va encore monter au capital, ce qui ne manquera pas d’agacer le gouvernement hollandais. Après l’opération, l'Etat français devrait détenir 30% du capital, ce qui pour les Hollandais, sera insupportable. 

2ème point : des difficultés d’adaptation face à la concurrence ont plombé la compagnie.  Air France n’a jamais réussi à développer une stratégie low-cost claire. Il y a d’abord eu l’échec de la compagnie régionale Hop ! Depuis quelques mois, la compagnie semblait compter sur sa filiale Transavia pour occuper ce segment, mais la cession des créneaux viendra justement pénaliser Transavia, très présente à Orly, au profit de compagnies qui font actuellement le plus de mal à Air France, les Easyjet, WizzAir ou Ryanair, compagnies qui sont déjà les mieux placées quant aux perspectives de reprise, et bien meilleures aujourd’hui pour les low-cost dans les vols court et moyen-courriers.

Au début de la crise, beaucoup d‘experts de l’aérien pensaient que la crise mondiale allait tuer les jeunes pousses du transport populaire. C’est le contraire qui s’est passé, elle va leur donner un nouvel élan. 

3ème point : enfin, dans un contexte où l’aérien est sans cesse attaqué par les écologistes, Air France est ciblée à chaque instant. Air France et d’autres seraient coupables de réchauffement climatique. Air France et d’autres seraient coupables de rejeter des tonnes de CO2 et de vider les réserves d‘énergie fossiles... C’est du moins ce que criaient partout dans le monde Greta Thunberg  et ses fans, écologistes radicaux. Pour calmer le jeu et éviter le débat politique en France,  Bruno Le Maire, l’année dernière, en accordant l’aide de 7 milliards, avait demandé à ce qu’Air France devienne "la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement." 

Il avait raison, sauf que chez Air France, mis à part de planter quelques arbres ou de supprimer des vols domestiques, rien n’a été fait. A priori, les constructeurs aéronautiques ont progressé plus vite dans la recherche sur l’avion écologique, électrique, mais on sait maintenant qu’il faudra attendre un demi-siècle pour que l’avion électrique puisse transporter autant de passagers, aussi loin, qu’un avion au kérosène. 

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