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Affaire Jeffrey Epstein : cette épidémie de suicides dans les prisons françaises qu'il serait également bon d'interroger
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Conditions de détention

La mort du milliardaire américain, retrouvé pendu dans sa cellule, attire l'attention sur le phénomène des suicides en prison dont le niveau est particulièrement élevé, notamment en France.

Gérald Pandelon

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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François Bès

François Bès

François Bès est Coordinateur du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP).

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Atlantico : Les suicides en prison semblent constituer un vrai problème pour l’administration pénitentiaire. Qu'en est-il de ce phénomène en France ? Quelles en sont selon vous les causes principales ?

Gérald Pandelon : Il faut d’abord évoquer des chiffres pour bien comprendre en quoi il y a effectivement un problème. Selon les données du ministère de la Justice, les hommes ont sept fois plus de chances de se suicider quand ils sont en prison que quand ils ne sont pas en détention (période 2005-2010). Par ailleurs, une étude de l’INED portant sur la période 2006-2009 a montré qu’un décès sur deux dans les prisons françaises était un suicide. Cette étude qui date de 2015 a par ailleurs montré une tendance de progression du taux de suicide en prison. Il est passé de 5 pour 10 000 en 1852-1855 à 18,5 pour 10 000 détenus pour la période 2005-2010. Certaines prisons en France sont particulièrement touchées par le phénomène : la vague de suicides à la prison de Fleury-Mérogis en 2018 (14 personnes) est symptomatique. L’année 2018 a remis en question la baisse du taux de suicide en détention puisque le taux de 2018 s’établit à 16/10 000 personnes écrouées.

Quelles sont les causes ? C’est lié à mon sens à la recrudescence de la sévérité en matière de justice pénale. La justice pénale, contrairement à ce qu’on entend, est très sévère. Ceux qui n’ont pas l’habitude de la prison, les primo-délinquants, l’incarcération les pousse souvent à ce geste fatal. Comme on incarcère de plus en plus facilement dans notre pays au titre de la détention provisoire surtout, je crois que la réponse pénale et pénitentiaire est bien souvent bien plus grave en sa sévérité que les actes qui ont été commis. Un exemple très simple : si vous avez 18-20 ans, que vous fêtez votre anniversaire et que vous buvez deux ou trois coups de trop, que vous prenez votre véhicule et que vous renversez quelqu’un qui a des blessures multiples, vous pouvez faire l’objet d’un mandat de dépôt, c’est-à-dire d’une incarcération provisoire, même quand votre casier ne porte trace d’aucune condamnation.

Dire cela, ce n’est pas être laxiste. Bien évidemment ce que je dis ne concerne pas les personnes qui ont été reconnues coupables de faits graves : il faut bien entendu les incarcérer. Lorsque la réponse pénitentiaire est plus grave que les faits qui sont commis, il faut néanmoins comprendre que des personnes fragiles puissent se donner la mort. La justice pénale est de plus en plus sévère en France que ce que l’on dit.

François Bès : Il faut d'abord dire que la France a un taux de suicide en prison élevé par rapport aux pays voisins en Europe. Il y a eu de nombreuses études et de nombreuses recommandations pour faire baisser ce taux. Une partie seulement de ces recommandations a été appliquée, et c'est cela qui pose souci : cela a permis de faire baisser un tout petit peu ce taux, mais maintenant on se retrouve à taux constant voire en hausse (nouvelle augmentation en 2018 par exemple). On arrive tout simplement aux limites de ce que veut bien faire l'administration pénitentiaire c'est-à-dire uniquement empêcher les gens de passer à l'acte. Tout le volet prévention primaire, qui est pourtant préconisé (faire en sorte que les gens aillent moins mal, développer les relations sociales, favoriser l'accès aux soins, etc.), c'est un volet qui n'est pas mis en place. On voit les limites d'une prévention qui est dans l'immédiateté.

Des dispositifs ont été mis en place, notamment en 2009 avec le plan de prévention du suicide. Vous semblent-ils efficaces ?

Gérald Pandelon : A mon sens, ce sont des cache-misères. Rappelons quelques outils mis en place en 2009 dans le plan national d’actions de prévention du suicide des personnes détenues : dispositif de ces codétenues de soutien (expérimentation commencée en mars 2010), dotation de protection d’urgence, cellules de protection d’urgence… En réalité aucun dispositif de sécurité ne pourra véritablement entraver la volonté de quelqu’un qui veut se donner la mort.

Surtout, quand vous regardez ce qui accompagne en termes de politique pénale ce genre de dispositifs, vous constatez des contradictions. La loi Taubira relative à la prévention de la récidive (2014) permettait que des personnes puissent être jugées de la même manière qu’ils soient récidivistes ou primo-délinquants. Le dispositif était compréhensible : les maisons d’arrêt étaient certes surchargées. Là où cela devient paradoxal, c’est que le même texte disait qu’il fallait abaisser le seuil d’aménagement des peines s’agissant du contentieux de la détention. Avant la loi Taubira, c’était deux années, et il fallait que cela passe à une année. D’un côté cette loi disait donc qu’il fallait vider les prisons, et de l’autre les remplir.

S’agissant de la sécurité des prisons, aucun dispositif n’est suffisamment fiable.

François Bès : Tous les dispositifs n'ont pas été mis en place en 2009. La surveillance spéciale (des rondes très rapprochées la nuit qui peuvent aller pour certains détenus jusqu'à toutes les demi-heures) n'est pas efficace : la personne qui a envie de mourir sait qu'elle bénéficie d'une demi-heure ou d'une heure pour passer à l'acte. C'est même contre-productif dans ce cas-là parce qu'on a des médecins qui finissent par ne pas signaler les détenus suicidaires parce qu'ils ne veulent pas qu'ils soient réveillés toutes les heures ou toutes les demi-heures dans leur état.

Pour les autres mesures comme le kit anti-suicide (pyjamas en papier, etc.), on constate qu'il y a quand même plusieurs dizaines de personnes qui se sont suicidés avec ces pyjamas, en se pendant avec. On voit bien que cette mesure est loin d'être efficace.

La cellule de protection d'urgence est prévue pour les personnes en cas de crise qu'il faut protéger d'elles-mêmes. Elles sont placées pendant 24h maximum dans une cellule toute lisse, totalement vide, en attente d'une hospitalisation. Il faut remarquer en effet que le seul système qui fonctionne pour la crise suicidaire, c'est l'hospitalisation, mais il y a très peu de places.

Une autre mesure de prévention avait été mise en place : c'est le codétenu de soutien. C'est une solution qui est en train de se généraliser, notamment depuis l'année dernière avec cette hausse du nombre de suicides. Il s'agit encore d'une mesure qui consiste à empêcher les gens de passer à l'acte puisqu'on les met avec un codétenu qui va être vigilent et qui va les surveiller. C'est utile quand même, parce que cela fait une présence et ce sont des gens qui sont sélectionnés pour leurs capacités d'écoute ou d'accompagnement. Mais on est encore dans quelque chose qui arrive au moment où on a détecté qu'une personne allait mal. On a des témoignages de personnes qui ont fait partie du dispositif et dont le codétenu a réussi a passé à l'acte : elles ressentent une très grande culpabilité. On demande à des détenus de remplir le rôle des professionnels de l'accompagnement, voire de médecins. 

Quelles sont les solutions selon vous ?

Gérald Pandelon : ce qui serait efficace à mon sens, c’est qu'exceptés les crimes, les personnes qui n’ont pas de casier judiciaire n'aillent en prison.  Ce serait un premier dispositif positif. Ou bien, s’ils doivent être privés de liberté, qu’ils soient assignés à résidence à leur domicile. Ce serait un dispositif concret que nous proposons, nous avocats pénalistes, depuis très longtemps, mais qui n’a  pas reçu d’écho favorable auprès des magistrats, au premier rang desquels les magistrats du parquet. Les procureurs de la République ont la détention provisoire facile et rapide dans notre pays. Pour eux, il n’y a pas d’innocents, il n’y a que des coupables. Il faudrait quand même que les juges prennent un peu de distance par rapport aux réquisitions du parquet qui sont très lourdes.

Afin de lutter contre les sucides en prison, il faudrait qu’on respecte la présomption d’innocence. Bien souvent, on a tendance à incarcérer des personnes qui sont réellement innocentes. Parfois, nous avocats pénalistes, nous voyons qu’il n’y a pas dans un dossier les preuves suffisantes pour incarcérer. Cette idée qui consiste à incarcérer à titre provisoire, comme si la détention provisoire était une mesure d’instruction, devient insupportable. Les magistrats ne respectent plus en France la hiérarchie des normes : la présomption d’innocence est un principe à valeur constitutionnelle et la détention provisoire (article 144 du code de procédure pénale) relève d’un texte législatif. La loi est inférieure à la Constitution : celle-ci est violée par un texte qui lui est inférieur. C’est cela le coup d’Etat permanent au sein de la sphère judiciaire. 

François Bès : C'est le volet de préventions primaires qu'il faut mettre en avant : être vigilent, proposer des choses individualisées selon les cas (proposer par exemple aux détenus à risque de voir leurs proches, tout simplement), développer les relations sociales ou des activités, favoriser ce qui est du domaine de la préparation à la réinsertion parce qu'il est bien évident que quand l'horizon est bouché, qu'il n'y a pas d'espoir ou d'avenir, les détenus vont mal. 

Il y a en fait toute une partie d'axes de développement de la prévention primaire qui a été préconisée en 2009 qui n'a pas été mise en place. Cela existe depuis longtemps : un des premiers programmes de prévention du suicide date de 1998. Mais la situation dans les prisons à l'heure actuelle (surpopulation, manque d'intervenants pour les activités, manque de soignants, etc.) et les difficultés de l'administration pénitentiaire à gérer cet engorgement et cette surpopulation expliquent que toutes ces mesures ne soient pas mises en place. Un exemple : les parloirs sont réduits par manque de place.

Quand il y a incarcération, il y a privation de liberté : c'est quelque chose d'extrêmement dur à vivre. On est face à des gens qui ne vont pas bien de toute façon : choc de l'incarcération, actes commis, séparation avec la société extérieure, avec ses proches. Il faut donc mettre en place tout ce qui est du domaine de la sociabilisation, des activités. A long terme, c'est cela qui manque. 

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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