Affaire Guérini : "Si la gauche renonce à défendre la morale, que lui reste-t-il ?" <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Jean-Noël Guérini, le Georges Frêche marseillais ?
Jean-Noël Guérini, le Georges Frêche marseillais ?
©Reuters

La morale en berne

Jean-Noël Guérini devant le juge ce jeudi. Défini comme un "boulet moral" par le Premier secrétaire du Parti socialiste Harlem Désir, le Président du Conseil général des Bouches-du-Rhône est soupçonné de trafic d'influence et d'association de malfaiteurs.

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Derniers ouvrages parus : L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), 14-18. Retours d’ expérience  (Tallandier, 2008) et La gauche est-elle morale ? (Flammarion, 2010).

Voir la bio »

En démocratie, la politique est un art difficile. Doivent s’y combiner valeurs, idées, passions et rapports de force en une harmonie très hasardeuse. La gauche est particulièrement concernée par un tel défi, au regard d’une droite plus encline à laisser les lois de l’histoire et du marché, moral ou financier, aller à leur guise. L’affaire Guérini, péripétie méridionale venue encombrer la vie du Parti socialiste dans les derniers mois, l’illustre une nouvelle fois.

Rappelons les faits. Les turbulences judiciaires affectant Jean-Noël Guérini, président du Conseil général des Bouches-du-Rhône et encore Premier secrétaire de la puissante fédération socialiste du département, ont conduit Arnaud Montebourg à remettre à l’ancienne Première secrétaire Martine Aubry un rapport sans concession sur la situation locale. Rendu public à la fin de l’année dernière, le texte pointe un « système féodal reposant sur l’intimidation et la peur » et propose rien moins qu’une mise sous tutelle de ladite fédération.

Nul ne sembla vraiment ému par des pratiques qui, il faut en convenir, ont toujours hélas été considérées comme relevant d’une espèce de culture régionale avec laquelle il fallait bien composer. Après tout, ces petits arrangements entre amis n’avaient-ils pas tout des charmes du folklore marseillais ? Un soutien vaut bien un pastis…

Plus encore, on sait qu’à l’instar de celle du Nord, la Fédération des Bouches-du-Rhône, pèse traditionnellement très lourd dans les rapports de force réglant la vie du Parti socialiste. On parla longtemps, et l’on parle toujours encore un peu, de la fédération des « Bouches-du-Nord » qui n’est pas qu’une chimère dans les allées des congrès.

Il fallut que la situation judiciaire se tendît sérieusement pour que Martine Aubry réagisse publiquement. Une commission d’enquêtes interne, confiée à l’intègre Alain Richard, ancien ministre de la Défense de Lionel Jospin, finit par être désignée. Mais son rapport fut en demi-teinte. Ses auteurs furent sans doute soucieux de ne pas créer à Marseille une configuration de crise analogue à celle qu’avaient suscitée naguère les frasques du regretté « Président », le fantasque et cynique Georges Frêche : François Hollande, alors Premier secrétaire, avait fini par exclure le conducator languedocien dans un certain tumulte. Frêche n’a cependant jamais cessé de bénéficier d’une popularité locale enviable qu’il savait cultiver avec talent en dénonçant les agissements d’une caste parisienne, arrogante et donneuse de leçons. Le rapport Richard en appela donc prudemment à un « contrat de rénovation librement accepté par la fédération des Bouches-du-Rhône ».

En contravention avec les statuts du Parti socialiste qui interdisent à un Président de Conseil général de cumuler ses fonctions avec celles de premier secrétaire fédéral, Jean-Noël Guérini fit une première concession en abandonnant, au mois de juillet dernier seulement, son poste de « Premier fédéral » à son ami Jean-David Ciot. Renoncement peu coûteux et accompagné d’une fermeté dans le propos : l’homme ne paierait pas pour les autres !

Mi-août enfin, le Premier secrétaire par interim, Harlem Désir, siffla la fin de la récréation : « si Jean-Noël Guérini était mis en cause (…) pour des fautes de la gravité de ceux qui sont évoqués – on parle d’associations de malfaiteurs -, je lui demanderais immédiatement de se mettre en retrait de sa fonction du Conseil Général, de ses responsabilités au sein du PS, et de se consacrer à sa défense. »

François Hollande, dont les bons échos actuels de la candidature à la primaire citoyenne tiennent beaucoup à son cachet de rectitude intellectuelle et morale, est très récemment allé dans le même sens. Dans une déclaration du 1er septembre, il évoque même la possibilité d’une exclusion. On ne peut que se réjouir d’une telle clarification qui consonne avec l’ambition d’un candidat à une « présidence normale », en rupture avec les pratiques d’un certain exceptionnalisme politique.

Comment dès lors expliquer tant d’atermoiements ? Si la gauche, qui s’est historiquement élevée sur le socle d’une protestation morale réclamant la justice pour les plus démunis, renonce à ce fondement, que lui restera-t-elle vraiment ? A ne parler que le langage de la science économique – tout nécessaire qu’il soit – ou à n’invoquer que le réalisme politique qu’imposerait la conquête du pouvoir, elle risque de perdre toute raison d’être. Expliquer les accrocs à la morale publique par les circonstances, comme on rend compte de la Terreur de 1793 par la guerre extérieure et le complot intérieur, revient à trahir les valeurs sur laquelle la gauche a prospéré. A quelle culture politique peut bien s’attacher tel collaborateur de Georges Frêche qu’on entend vanter le recours au mensonge dans le très remarquable film qu’Yves Jeuland a consacré au défunt leader de la « Septimanie » ?

Reste que la politique est implacable et qu’il est en effet des moments où les accommodements s’imposent. Encore faut-il savoir, pour employer la terminologie du philosophe Charles Taylor, jusqu’où ceux-ci sont raisonnables. Tout l’art de la politique repose précisément sur l’intelligence de cette appréciation.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !