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Affaire Ablyazov : le gouvernement français osera-t-il dire non à Poutine?
©Reuters

Patate chaude

La Cour de cassation a donné son feu vert ce 4 mars à l’extradition de l’oligarque kazakh Mukhtar Ablyazov, soupçonné d’avoir détourné 5 milliards de dollars. Désormais, Manuel Valls se trouve dans une situation délicate : soit il signe le décret d’extradition et apparaît comme peu sensible au respect des droits de l’homme. Soit il refuse, et devient celui qui a infligé un camouflet à la Fédération de Russie.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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La justice vient de gagner la première manche de l’affaire Ablyazov qui ressemble, si l’on peut dire, de plus en plus à une salade russe en raison des coups bas, des informations aléatoires distillées ici et là, et l’apparition surprenante de certains personnages. Comme celui de l’ancien patron de la DCRI, Bernard Squarcini, chargé, de défendre, un peu à la manière d’un lobbyste, - on ne sait pas très bien- les intérêts du Kazakhstan contre Mukhtar Ablyazov,  comme l’a révélé Mediapart.

Atlantico a cherché à joindre Squarcini. Il n’a pas souhaité répondre.  Dans ce fatras d’informations  hétéroclites, se dégage au moins une certitude : l’oligarque kazakh, soupçonné d’avoir détourné 5 milliards de dollars, actuellement détenu en France, doit être extradé prioritairement vers la Russie, secondairement vers l’Ukraine. Ainsi en a décidé la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu ce 4 mars. 

Du côté de la BTA-Bank, établissement kazakh victime des malversations commises par Ablyazov, qui en était le président, c’est peu de dire qu’on est satisfait. Son avocat, Me Antonin Lévy, spécialiste du droit de l’extradition, ne se prive pas de le dire : "les jugements français successifs ajoutés à la décision de la Cour de cassation du 4 mars soulignent la légitimité des demandes d’extradition. Il ne fait aucun doute que M. Ablyazov a bénéficié d’un traitement équitable par la justice française." Et de conclure : "L’arrêt de la Cour de cassation met fin à ses tentatives d’échapper à la justice française grâce à ses manœuvres juridiques."

Voilà qui est clair : cette  décision confirme celle prise par les cours d’appel d’Aix-en-Provence puis de Lyon. Une question reste en suspens : que va décider Manuel Valls ? Dans un premier temps, un projet de décret va être préparé dans les services de la Chancellerie, puis sera soumis à la signature du Premier ministre. Lequel pourra, soit signer le dit-décret autorisant le feu vert pour l’extradition, soit refuser, ce qui permettrait à l’oligarque kazakh de ne pas être envoyé en Russie.

En général, le Premier ministre signe toujours le décret d’extradition qui peut être contesté dans un délai d’un mois devant le Conseil d’Etat. C’est dire qu’à partir de ce mercredi 4 mars, les avocats d’Ablyazov vont se mobiliser pour éviter que leur client ne quitte la France. Peut-être en déposant un référé devant la Cour européenne des droits de l’Homme… Nul doute aussi qu’ils feront valoir qu’avec l’assassinat, à deux pas du Kremlin, dans la nuit du 27 au 28 février,  de l’opposant russe Boris Nemtsov l’intégrité physique de l’ex-banquier est loin d’être garantie. 

Encore que la Russie, on a tendance  à l’oublier, est depuis le 28 février 1996, membre du Conseil de l’Europe, a ratifié la convention européenne des droits de l’homme, et participe  aux travaux de la Cour européenne des droits de l’homme dont un juge russe fait partie. Mais il est vrai aussi qu’à la suite  de l’annexion de la Crimée, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe  a suspendu le droit de vote des 18 membres russes jusqu’au mois d’avril 2015.  Aussi la Russie a-t-elle menacé de quitter le Conseil de l’Europe. 

Si  tel était le cas, ce serait un véritable désastre politique a fait savoir il y a peu, le Luxembourgeois Dean Spielmann, président de la Cour européenne des droits de l’homme.  C’est dire que, dans un tel contexte, Manuel Valls hérite d’une patate chaude qui risque de devenir brûlante. En effet, son refus de signer le décret d’extradition passerait pour un sérieux camouflet infligé à Vladimir Poutine et à la Fédération de Russie, dans  un contexte international préoccupant. 

Dans l’immédiat, les conseils de l’oligarque vont poursuivre leur combat qui tourne autour de trois thèmes centraux :

1- Ablyazov est un militant des droits de l’homme, opposant farouche au président kazakh Noursoultan Nazarbaiev. 

2- Il  n’est pas le délinquant de grande envergure que la justice dépeint, qui, de plus, a été arrêté  illégalement non loin de Cannes le 31 juillet 2013.

3-Si son extradition a lieu, à coup sûr Ablyazov sera ré-extradé vers le Kazakhstan avec à la clé une mort certaine ou à tout le moins un emprisonnement garanti de plusieurs années.

Retour sur une affaire qui depuis de nombreux mois est suivie tant à la Chancellerie qu’à Matignon et à l’Elysée.  Une affaire qui a pris un très mauvais tour avec la campagne de déstabilisation-nous y reviendrons- menée contre deux hautes magistrates de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Tout commence dans les années 2009-2010 lorsque Mukhtar Ablyazov, 50 ans, jadis très lié au président du Kazkhstan, Noursoultan Nazarbaeiv, se voit soupçonné d’avoir détourné  des fonds de la BTA-Bank ainsi que de ses filiales de Kiev et de Moscou, banque kazakh  dont il est le président. Montant de ces détournements ? Environ 5 milliards de dollars. Du coup, la justice kazakhe, russe et ukrainienne s’intéresse à lui.

Ablyazov  se réfugie alors à Londres et parvient à obtenir un statut de réfugié politique. Après quelques mois passés à Londres, il part pour la Suisse. Mais sur le plan judiciaire, on ne l’oublie pas.  C’est le cas d’un juge de Moscou qui, après avoir découvert certaines gymnastiques financières d’Ablyazov , comme la revente de terres agricoles sept fois leur prix réel  ou la construction bidon d’un centre commercial à Podolsk, non loin de la capitale russe, décerne contre lui un mandat d’arrêt. Un juge de Kiev, qui a mis au jour  un transfert illégal de 150 millions de dollars fait de même. Nous sommes en 2011. Plus de nouvelles du banquier. En réalité, il se trouve en Grande-Bretagne. Jusqu’à ce 31 juillet 2013 où il se fait arrêter par la PJ niçoise dans sa villa de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes.

Dès le lendemain, il est incarcéré à la prison de Luynes, près d’Aix-en-Provence. Ses avocats ne veulent à aucun prix qu’il soit extradé, sous peine d’y laisser sa peau. Car selon eux, Ablyazov, à peine arrivé  à Moscou ou à Kiev, serait immédiatement ré- extradé vers le Kazakhstan. Le 9 janvier 2014, la chambre de l’Instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence donne son feu vert à l’extradition. Mais en aucun cas vers le Kazakhstan, contrairement aux craintes exprimées par les avocats de l’oligarque. D’ailleurs nous avait indiqué à l’époque, Me Antonin Lévy, avocat de BTA-Bank,  "une extradition vers le Kazakhstan serait contraire aux conventions internationales." Et de préciser : "selon la convention de Genève de 1951, la Russie et l’Ukraine ont une interdiction légale et absolue de procéder à une ré-extradition vers le Kazakhstan".

Commence alors une bataille féroce contre la justice française, deux magistrates étant dans le collimateur : la présidente de la chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence, Nicole Besset et surtout l’avocate générale Solange Legras. Le climat entre les deux parties devient détestable. Alertée, le cabinet de Christiane Taubira suit les développements de cette "affaire dans l’affaire" qui prend un sale tour. Témoin, le piratage des  mails et sms échangés entre les deux magistrates et l’avocat de l’Ukraine, Me Guillaume-Denis Faure, l’un des deux pays avec la Russie, demandeur de l’extradition. Le trio porte plainte pour violation du secret de correspondance car tous ces mails et sms se sont retrouvés sur un site ukrainien… et en prime, déformés dans le seul but de nuire un peu plus aux magistrates et à l’avocat. Une information judiciaire, confiée à deux juges, a été ouverte il y a quelques mois.

Entre temps, Ablyazov a reçu au moins une bonne nouvelle : l’acceptation de son pourvoi par la Cour de cassation qui a cassé la décision – uniquement pour des questions de forme-- de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Du coup, une autre Cour, celle de Lyon  est saisie. Au cours de cette audience, l’ex-banquier place le débat sur le terrain des droits de l’homme en faisant citer, le 14 octobre 2014, comme témoin Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs et opposant farouche  à Vladimir Poutine. Hors sujet.  Erreur de tactique. Erreur de placer le débat sur un terrain qui n’a rien à voir avec les raisons de l’extradition. La Cour qui  n’entendra  pas Kasparov, suit les réquisitions de l’avocat général Christian Ponsard, identiques à celles de Solange Legras,  pour confirmer le 24 octobre l’extradition de Mukhtar Ablyazov. Lequel forme un nouveau pourvoi. Ces dernières semaines, ses défenseurs ont poursuivi leur combat sur la question des droits de l’homme. Sans résultat, la Cour de cassation ayant jugé en droit. Et non pas en opportunité politique, ce qui n’est pas son rôle…

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