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Aéroport de Paris : le gouvernement déterminé à débloquer le projet de privatisation
©JOEL SAGET / AFP

Atlantico Business

Le projet de référendum tourne au fiasco. Les 70 ans d’histoire des aéroports de Paris permettent de comprendre la violence de l’enjeu de privatisation.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La discussion du projet de loi portant sur la privatisation de ADP a réussi à agglomérer tous ceux qui sont contre Emmanuel Macron. Pourtant, le referendum d’initiative partagée, qui est censé venir en opposition au projet de privatisation, ne passionne pas.  673 000 signatures sur les 4,7 millions nécessaires, on est encore loin du compte pour cette tentative de 1er referendum venant de l’opinion. La privatisation d’ADP, si elle suscite beaucoup de mécontentement dans les postures, ne parvient pas en tout cas, à mobiliser dans les faits.

Le Conseil Constitutionnel a validé en mai dernier le projet de privatisation d’ADP, qui faisait partie de la loi Pacte.

Les aéroports internationaux que gèrent ADP ne sont pas seulement des équipements qui permettent à des avions de décoller et d’atterrir en toute sécurité pour les passagers et l’environnement. « Un aéroport de taille internationale ouvre une porte sur le monde, parce que le monde de demain sera global et nous en serons des partenaires ». La phrase n’est pas récente. Elle est du Général de Gaulle. Ce n’est pas pour rien que l’on a donné à notre plus grand aéroport qu’on a donné son nom.

Tout ce qu’il avait esquissé juste après la guerre va entrer en service peu de temps après son retour au pouvoir en 1958. Il avait raison contre l’avis de tous, et il a bien fait de mobiliser l'Etat pour construire un équipement à très long terme que les marchés capitalistes n’auraient jamais pris en compte. 

Nous avions l'année dernière retracé dans un document vidéo produit par BFM Business, cette épopée qui a abouti à la construction des aéroports de Paris. Parce qu’il s’agit bien d’une épopée : 

Raconter l’histoire des Aéroports de Paris, de Roissy ou d’Orly, c’est impossible. Peu de Français savent que c’est une entreprise. Beaucoup croient qu’Orly ou Roissy appartiennent à l’Etat et sont gérés par l’administration. Mais les aéroports de Paris racontent aussi l’histoire de l’aménagement du territoire, et tous les moyens qu’on peut se donner pour partir à la conquête du monde. On est au cœur du système économique français.

Alors oui, Aéroport de Paris, ADP, c’est une entreprise avec ses actionnaires, son cours de bourse, ses filiales. Augustin de Romanet, président directeur général en 2012, a pris en main ce groupe avec une ambition très claire, très simple : accélérer la mutation. Mais son vol n’est pas si simple.

Premières turbulences, les relations avec l’Etat. Aéroport de Paris est un enfant de l’Etat français et l’État conserve encore aujourd’hui un œil suspicieux. Ensuite, les riverains. Certains sont content de la prospérité que l’entreprise génère, mais d’autres sont gênés par le bruit. Classique !  

Et puis il y a la cohabitation avec Air France, incontournable, historique et souvent imprévisible. Oui imprévisible c’est le mot juste.

Les Aéroports de Paris, c’est :

  • 105 millions de en 2018, qui passent en moyenne 3 heures dans les terminaux

  • 200 compagnies aériennes clientes 

  • 150 millions de bagages qu'il faut scanner, embarquer ou débarquer. 

  • Pour un chiffre d’affaires de plus de 4,5 milliards d’euros 

  • C’est 6 500 salariés directs mais c’est 50 000 emplois permanents avec les fournisseurs, agents de service et les partenaires commerciaux.

Aéroports de Paris est numéro 2 en Europe, derrière British Airport pour le nombre de passagers mais c’est le n°1 pour le FRET.  Mais c’est aussi le premier concepteur d’aéroport dans le monde. Il y a donc un savoir-faire français, une ingénierie recherchée aux quatre coins de la planète  

Cette entreprise a été officiellement créée à la fin de la dernière guerre, le 25 octobre 1945 par une ordonnance du gouvernement provisoire que dirige le Général De Gaulle. ADP s’installe au Bourget  parce que le Bourget est le lieu d’où est partie toute l’histoire de l’aviation au début du siècle dernier. Ces étranges machines vont commencer à voler au moment où les automobiles commencent à rouler. Fin du 19e : Louis Renault par exemple essaiera de fabriquer des avions mais finalement ne fournira que des moteurs parce que le ministère de la Défense les lui demande. L’aviation sera déterminante à la fin de la guerre de 1914. Du coup, les militaires ont investi la plaine du Bourget. On est à moins de 10 Km de Paris. 

L’aéropostale par exemple est installée à Toulouse, parce qu’elle vole avec des avions de chez Latécoère, donc pour l’entretien c’est mieux, mais c’est au Bourget que ses avions viennent charger le courrier. Tous les pionniers qui feront la gloire du transport aérien civil connaissent le Bourget. Ils disparaitront trop vite certes. Jean Mermoz sombre dans l’Atlantique, le 7 décembre 1936, il a 34 ans. La Croix du Sud, son avion mythique, ne sera jamais retrouvé. Antoine de St Exupéry lui, se perd au large de Marseille à la fin de la guerre, il avait 44 ans. On cherche encore des restes de l’épave. Avant de travailler pour Latécoère, tous les deux serviront dans l’armée de l’air. Parce que l’armée est omni présente dans le développement de l’aviation. 

Après la Libération de Paris, en août 1944,  les Américains feront du Bourget une de leur première base aérienne. Le Général de Gaulle en octobre 1945, va dégager les américains et sortir le Bourget du giron militaire.

Le Bourget va devenir un  établissement public sous la tutelle du ministère de l’air que de Gaulle a confié à Charles Tillon, grande figure de la résistance et membre du comité central du parti communiste. C’est habile, politiquement d’avoir confié la naissance du Bourget à un communiste. 

Le Bourget va commencer très vite à accueillir du trafic commercial civil. C’est une des obsessions fortes du général de Gaulle.  Un peu de fret, déjà pas mal de passagers. Les avions vont commencer à relier les capitales européennes, Londres surtout, quant aux super-constellations, ils traversent déjà l’atlantique en 20 heures. Avec une centaine de passagers. Un exploit pour quelques privilégiés 

Les politiques qui entourent de Gaulle comme les ingénieurs qui travaillent au ministère de l’air pensent que le Bourget va devenir trop petit très vite. Ils pensent que l’aéronautique commerciale est une des clefs du développement économiques. Ils travaillent donc en secret à un autre aéroport  beaucoup plus grand.  

Dès le départ, on pense à une nouvelle plateforme. Mais Charles Tillon est contre. Politiquement ça grogne. Charles Tillon et ses amis de la CGT ne jurent que par le chemin de fer. Pour eux, la clef c’est le réseau ferroviaire.  Pas question de dépenser de l’argent public pour permettre aux riches d’aller bronzer sous les tropiques. 

A cette époque, le chemin de fer est un marqueur de gauche et l’avion, c’est un marqueur de droite. De gaulle éructe. Pour lui, le chemin de fer, le métro d’accord, mais l’avion c’est l’avenir. C’est l’image et la grandeur de la France qui sont en jeu. Alors, De Gaulle qui n’aimait pas Le Bourget, va se battre pour ouvrir Orly. 

Dès 1946, il récupère les immenses terrains au sud de Paris qui appartenait au ministère de la Marine et qui servaient de base aux ballons dirigeables. Les officiers de Marine s’accrochent à leurs terrains mais il n’y a plus de dirigeables. Et De gaulle est chez lui. La marine, c’est l’armée et l’armée ça obéit.  Il réquisitionne. Charles Tillon, le ministre de l’air, ne peut rien dire. Ça ne coute pas d’argent. Il n’est même pas mécontent. Il n’aimait pas les officiers de marine. Et c’était réciproque. 

Avant de quitter le pouvoir, fin 1946, De Gaulle aura le temps de lancer le projet de la construction de ce qui sera Orly Sud, mais les travaux ne commenceront vraiment qu'à son retour en 1958. Il faut dire qu'il avait pensé revenir beaucoup plus tôt.

Finalement, le batiment sera officiellement inauguré le 24 février 1961 par un Charles de Gaulle, président de la Ve République, qui jubile. Pour lui, c’est le symbole du réveil français et surtout de l’ambition française sur les marchés étrangers. 

Mais en 1961, on pressent déjà la saturation des pistes. On sait que l’on pourra s’agrandir avec Orly Ouest mais on dessine le futur aéroport de Roissy dans le nord de Paris. 

Mais une fois de plus ça grogne politiquement. Le général de Gaulle, président de la République le veut, Georges Pompidou son Premier ministre le veut, Jacques Chirac directeur de cabinet le veut, mais Valery Giscard D’Estaing lui n’en veut pas. On est en 1962. Giscard a 36 ans, il est ministre des Finances depuis le début de l’année et il cherche à s’affirmer. Il traine des pieds, il bloque. Trop grand. Trop cher. Les rapports entre de Gaulle et son ministre sont tendus.

Giscard est ambitieux mais il cède. Le plus jeune ministre des finances de l’histoire de France ne pouvait pas hypothéquer l’avenir en s’opposant au général et en passant pour celui qui aurait bloqué le développement du transport aérien. 

Mai 1968 secoue tout et prépare la modernisation du pays. De Gaulle s’en va, Pompidou arrive, et le destin amène Valéry Giscard d’Estaing à lui succéder beaucoup plus vite que prévu. Le terminal 1 de cet aéroport de Roissy est mis en service le 8 mars 1974, VGE est élu président de la République, et c’est lui qui suggère qu’on le baptise, l’aéroport Charles de Gaulle. 

Mais il y a un problème à Roissy qui n’échappe à personne. Cet aéroport fait l’admiration des élèves architectes mais n’a pas été forcement conçu pour faciliter le transit des passagers. Honnêtement il est même impossible à utiliser. Les passerelles vont n’importe où, les avions sont très loin et les bagages ne sont jamais livrés au bon endroit. On va donc lancer la même année le projet d’un deuxième terminal à Roissy

L’architecte de la maison, Paul Andreu oublie ses rêves de grandeur et revient à une conception plus classique. Il dessine le Terminal 2 qui peut s’étirer en longueur selon les besoins. Les ingénieurs imaginent un T2A, puis pourquoi pas un T2B et puis, puis... Il y a toute la place que l'on veut pour s’agrandir dans les 50 prochaines années. En fait, Giscard n’a pas commandé une clé mais un trousseau complet que l'on utilise encore aujourd’hui.

En 1976, deux ans plus tard, Orly et Roissy accueillent déjà 20 millions de passagers. On reconvertit le Bourget à l’aviation d’affaires mais ADP en garde la gestion.  Le 24 mars 1982, François Mitterrand inaugure donc le terminal 2A de l’aéroport Charles de Gaulle. 

A l’approche des années 2000, on va construire 7 terminaux supplémentaires sur Roissy 2. Les plans l’avaient prévu de longue date. Le trafic approche les 80 millions de passagers. L’administration qui gère, s’aperçoit qu’elle est débordée par le phénomène. Roissy n’est plus un aéroport, c'est devenu une ville à part entière. 

Il ne s'agit plus seulement de gérer les arrivées et les départs des avions, il s’agit surtout d’accueillir 80 millions de passagers par an. C’est un autre métier : l’enregistrement, le contrôle d’identité, la récupération des bagages, les transferts vers Paris ou ailleurs. Les passagers passent en moyenne un peu plus de trois heures dans le terminal, il faut donc leur permettre de circuler dans l’enceinte, de se nourrir, de se distraire, de se reposer. 

L’homme qui va gérer cette mutation, c’est Pierre Graff. Pierre graff sera nommé Président Directeur Général des Aéroports de Paris en 2003 avec pour mission de transformer cette administration de service public en un groupe industriel et commercial. Pierre Graff est ingénieur, il a fait l’X. Il a dirigé l’aviation civile, puis le cabinet de Gilles de Robien, ministre des transports.

Il va préparer la privatisation partielle et la mise en bourse. Très habile, Pierre Graff, parce que le gouvernement acceptera un compromis avec les syndicats de personnel. Il n’y aura pas de débat idéologique sur le passage au privé d’une telle infrastructure. Il faut dire que l’état garde la majorité, mais rien que la majorité. 

Acte 2, il faut très vite définir le nouveau modèle économique. L’Etat garde 50,6 % du capital, mais son intérêt d’actionnaire majoritaire. 

A son arrivée, Pierre Graff doit aussi gérer la catastrophe de l’effondrement du terminal 2E. Le bâtiment est tout neuf, il venait d’être livré. C’est une tragédie, il y a 4 morts, des centaines de blessés. Le traumatisme est énorme aux quatre coins du monde. 

Une fois l’émotion un peu retombée, l’urgence n’est plus marketing. L’urgence c'est de restaurer une conception et une gestion des infrastructures plus transparente et plus rationnelle. 

Celui qui a régné sur l’agence d’ingénierie pendant 30 ans, c’est lui, Paul Andreu. Architecte mondialement connu. Il a quitté aéroport de Paris en 2003. Un an avant l’effondrement de l’aérogare 2E qu’il venait de terminer. Sa responsabilité pourrait être engagée dans cette catastrophe, jusqu’alors il n’avait jamais voulu s’exprimer. Ni sur l’accident, ni sur son parcours. Ce polytechnicien devenu une star mondiale de l’architecture. Il aura signé toutes les infrastructures aéroportuaires de Paris : Orly, et Roissy. Et quand aujourd'hui encore on lui reproche Roissy 1, cette structure en marguerite avec ses boyaux transparents dans lesquels les Japonais adorent se faire prendre en photo, mais se perdent, il accepte mal la critique. Quand on lui dit qu'une aérogare doit servir d'abord les passagers et pas les photographes, il ignore. 

Mais ce qu’on lui reproche peut-être le plus, c’est son succès mondial. Il faut savoir que fort de son expertise en aérogare, il a permis à l’agence de gagner des centaines de projets dans le monde. Berlin, Doha, Durban en Afrique du Sud, en Chine surtout où la plupart des aéroports réalisés ces dix dernières années sont signés Paul Andreu. Ce succès là a évidemment permis à la société des Aéroports de Paris de devenir ce qu’elle est aujourd’hui, l’un des leaders mondiaux de la conception et de la gestion des aéroports. Il sera débarqué par le ministre De Robien en 2003.

Paul Andreu a fabriqué au sein d'ADP une machine à vendre des aéroports dans le monde entier. Quoi qu'il arrive, son ombre sera portée encore très longtemps sur les Aéroports de Paris. 

Le miracle d'Aéroport de Paris repose désormais sur deux piliers qui ont été mis en place dans les dix dernières années. 

Le 1e pilier du groupe consiste principalement à gérer les opérations techniques d’atterrissage et de décollage, l’assistance aux compagnies aériennes représente 60% du chiffre d’affaires. C’est évidemment le cœur de l’activité. Il faut gérer un hub, c’est un vaste entonnoir qui reçoit des voyageurs de toute l’Europe pour remplir des long courriers. Il faut donc séduire le monde entier, sans froisser la compagnie historique Air France qui représente à Roissy 40% du trafic. 

C’est le seul aéroport en Europe à pouvoir utiliser 4 pistes. Les Anglais qui sont leaders à Londres n’ont que deux pistes et ne pourront pas en avoir plus. 

Le 2ème pilier, ce sont les clients qui vont passer 3 heures, parfois le double au sein des murs d’ADP. Il faut les occuper ! En terme d’entreprise, ce qu’on veut, c’est faire chauffer les cartes de crédit. Cette activité représente le tiers du chiffre d’affaires du groupe. 

Augustin de Romanet succède à Pierre Graff en novembre 2012. Il n’est pas ingénieur, comme la majorité des cadres dirigeants de l’entreprise. Augustin de Romanet a fait l’ENA et Bercy, ça rassure l’Etat. Il a dirigé une banque d’affaires puis présidé la Caisse des Dépôts, ça rassure les financiers. Enfin, il a travaillé au sein du groupe Accor dans l’hôtellerie, du coup ça rassure les clients. 

Pour les observateurs financiers, le président du groupe n'a pas le choix. Il doit convaincre l’Etat de le laisser investir à l’étranger. En 2013, le groupe a pris une participation importante dans TAV, une entreprise turque. Les boursiers se sont interrogés. 

Augustin de Romanet n’a aucun problème avec l’Etat actionnaire. L’Etat est logé a la même enseigne que les autres actionnaires. Il touche un dividende qui correspond en gros à l’état du marché. La relation est plus compliqué avec l'Etat régulateur. Depuis toujours, c’est l'Etat qui fixe les redevances que paient les compagnies aériennes pour les services rendus par l’aéroport. Une redevance d'atterrissage, de stationnement et une redevance par passagers. Et globalement, ces redevances sont fixées dans le cadre d’un contrat de régulation qui est négocié tous les 5 ans. 

Le réflexe de l’aéroport, c’est d’optimiser sa recette. Le réflexe de l'Etat, c’est de faire pression pour la freiner. Si seulement la pression de l’Etat servait la compétitivité de l’aéroport, mais non, la pression de l’Etat sert principalement à soulager Air France qui est le principal client. Les autres compagnies attendent des droits de trafic qui sont accordés ou pas par l’Etat. La marge de manœuvre n'est pas large pour ADP. Mais souvent, on s’arrange.  

Conclusion

Tout a changé, mais la prophétie du général de Gaulle aura été réalisé. L’avion a bien été la clé du développement économique. Jusqu’à ce que viennent les considérations écologiques.

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