Adoption et PMA à l’étranger : comment concilier respect de l’intérêt de l’enfant et refus de l’exploitation par les adultes de vides juridiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mardi 29 avril, une femme s'est vue refuser l'adoption de l'enfant de sa conjointe conçu via une PMA à l'étranger par le Tribunal de Grande Instance de Versailles
Mardi 29 avril, une femme s'est vue refuser l'adoption de l'enfant de sa conjointe conçu via une PMA à l'étranger par le Tribunal de Grande Instance de Versailles
©Reuters

Flou juridique

Mardi 29 avril, une femme s'est vue refuser l'adoption de l'enfant de sa conjointe conçu via une PMA à l'étranger par le Tribunal de Grande Instance de Versailles. Il s'agit d'une première depuis la loi Taubira sur le mariage pour tous.

Atlantico : Mardi 29 avril, une femme s'est vue refuser l'adoption de l'enfant de sa conjointe conçu via une PMA à l'étranger par le Tribunal de Grande Instance de Versailles. Il s'agit d'une première depuis la loi Taubira sur le mariage pour tous, les autres demandes ayant obtenu gain de cause. Que dit la loi et quelles sont les zones d'ombre en la matière ?

Virginie Ricaud-Murat :La loi précise que les couples mariés peuvent adopter. Cela ne signifie pas que les couples homosexuels peuvent adopter en toutes circonstances ni que la PMA est autorisée pour les couples homosexuels. En effet, les techniques de PMA sont possibles dans des cas particuliers : infertilité médicalement constatée, incapacité à procréer ou risque de transmettre une maladie grave à l'enfant à naître. 

Comment aujourd'hui parvenir à concilier respect de la loi et intérêt supérieur de l'enfant ? Existe-t-il des moyens juridiques qui permettraient de dissuader les couples de lesbiennes d'avoir recours à une pratique illégale tout en évitant de faire payer aux enfants les frais du vide juridique existant ?

Virginie Ricaud-Murat : La question de l'intérêt de l'enfant va plus loin que la question d'avoir des parents homosexuels ou non donc les professionnels qui travaillent sur ces difficultés ne considèrent pas que l'intérêt supérieur d'un enfant est d'être adopté. Ici, on pense davantage que l'on demande de se pencher sur l'intérêt du couple homosexuel.
Les juges qui doivent trancher sur une adoption ne sont pas nécessairement fondés à regarder si l'enfant est né par l'aide d'une PMA. Des couples hétérosexuels ont des enfants par PMA à l'étranger et sont père et mère sans que rien ne leur soit reproché. 

Des décisions inverses à celle du TGI de Versailles ont déjà été rendues. Comment ces différentes décisions peuvent-elles coexister ?

Virginie Ricaud-Murat : La loi n'est pas claire et reste en contradiction avec la loi sur les PMA. Il faut donc l'interpréter. Il est important aussi de différencier les décisions, les situations étant différentes sur certains points. 

A qui reviendra-t-il de régler cette question et avec quelle issue probable ? 

Virginie Ricaud-Murat : La Cour de Cassation, à défaut du législateur.

La question se pose-t-elle dans les mêmes termes en ce qui concerne la GPA ?

Virginie Ricaud-Murat : Non, la GPA est interdite pour tout le monde en France. Le corps humain ne peut être considéré comme un marché. C'est un délit. Le problème d'autoriser la PMA est aussi celui de l'injustice entre les gays et les lesbiennes, les gays ne pouvant avoir recours qu'à la GPA.

Quels sont les problèmes juridiques que posent aujourd'hui la reconnaissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger ou d'une PMA dans un couple de femmes ? 

Caroline Yadan Pesah : Comme je l’ai précisé le recours à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui est, en France, illégal. Les textes du Code de la Santé Publique restent inchangés et exigent toujours une raison médicale et non de convenance personnelle.
Pour l’heure ainsi, les demandes émanant d’époux de même sexe, sont encore irrecevables, tout comme d’ailleurs, les demandes individuelles.
A cet égard, l’un des effets collatéraux de la réforme Mariage pour tous qui facilite l’adoption de l’enfant du conjoint conduit à inciter les demandeurs à contourner la loi française.
En effet, une fois enceinte, grâce à un don de sperme obtenu illicitement à l’étranger, la mère pourrait consentir à l’adoption de son enfant par son épouse. Cette adoption permettra au couple de mener à bien son projet parental en deux temps, même si la première étape contrevient à l’ordre public.
Il existe une hypocrisie certaine dans la loi du Mariage pour tous qui consiste à honnir toute assistance médicale à la procréation en dehors du cadre légal, tout en favorisant l’adoption de l’enfant ainsi né.
En voulant éviter la polémique, on a favorisé les difficultés. Celles-ci auxquelles sont aujourd’hui confrontés de nombreux couples homosexuels mariés et qui ont un projet d’adoption, viennent de là : en tant que couple marié ils sont en droit d’adopter, mais si l’enfant qu’il souhaite adopter a été conçu à l’étranger selon un mode de procréation reconnu illicite en France, leur demande risque sérieusement d’être refusée par les tribunaux. Ce qui peut constituer un véritable choc pour un couple qui n’a pas réalisé, en déposant une demande d’adoption, que les conditions de la conception de l’enfant seraient examinées.
La Cour de Cassation vient de réaffirmer dans un arrêt du 19 mars 2014 qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance et l’aboutissement en fraude à la loi française d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui. Ce faisant, elle n’a fait que confirmer sa position. (cf Cour de Cassation 1ère Chambre 13.09.2013)
La difficulté essentielle provient du fait que nombre de Procureurs de la République, partie prenante dans les demandes d’adoption, s’y opposent formellement faisant valoir que les requérants à l’adoption, en ayant eu recours à une procréation illégale, ont commis une fraude à la loi qui corrompt le lien juridique entre la mère et l'enfant, et que cette filiation frauduleusement établie fait obstacle au prononcé d'une adoption.
Pour autant, la position des procureurs n’est pas unanime et dépend aujourd’hui des tribunaux. En l’état, une demande d’adoption déposée à Paris a plus de chance d’aboutir qu’à Aix en Provence, par exemple ...
Jusqu'à présent aucune décision de justice ne s'est toutefois encore opposée à une adoption, les procureurs n’émettant qu’un avis, qui peut ou non être suivi par les tribunaux. Ainsi, à Toulouse, l’avis du procureur n’a pas été suivi par les juges qui ont prononcé une adoption par un couple de même sexe, faisant valoir l’intérêt supérieur de l’enfant. D’où  la nécessité de clarifier le débat et d’uniformiser les positions, afin d’éviter la disparité éventuelle de décisions de justice se prononçant sur les adoptions sollicitées par des couples ayant eu recours à la GPA ou PMA. D’où également l’importance des préconisations de ce rapport que vous évoquez…

Si une cour de justice reconnaissait les enfants de PMA ou de GPA (comme le préconisait la circulaire Taubira dans le cas de la GPA) une telle décision ne pourrait-t-elle pas faire jurisprudence reconnaissant ainsi la PMA pour les couples de femmes ainsi que la GPA ? 

Caroline Yadan Pesah : Ce sont les règles de procédure civile qui s’appliquent. Si aucune clarification n’est entreprise, il y a de fortes chances pour que l’on se trouve en présence de décisions de première instance contradictoires, en fonction des régions.
Il faudra alors attendre les positions des Cours d’Appel et surtout de la Cour de Cassation qui tranchera, puis éventuellement de la Cour de justice de l'Union européenne. Cela peut prendre des années, les enfants en cours d’adoption auront donc le temps de grandir, sans que leur statut ne soit clarifié vis-à-vis de leurs parents.
Dans  l’esprit de la loi, le mariage ouvert aux couples homosexuels devait permettre l’adoption, de manière aussi simple et égalitaire, que pour les couples homosexuels. Il devait s’agir d’une simple formalité. Tel n’est pas encore le cas aujourd’hui…


Les réponses de Caroline Yadan Pesah ont été republiées ici avec son accord. Elles avaient initialement été publiées en avril 2014 : PMA, GPA : ces formes sous lesquelles les aspects les plus controversés de la loi Famille pourraient revenir

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