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Actes anti-musulmans et antisémites : la réalité complexe que révèle l’examen attentif des chiffres publics
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Hausse globale

Antisémitisme intense, record d'actes anti-musulmans, dégradations de lieux de culte chrétiens en hausse. Le rapport de la DICRA vient de révéler une hausse globale de 22% des menaces et des actes racistes et anti-religieux en 2015, signe d’une crispation de la question religieuse et de tensions communautaires en France de plus en plus fortes depuis les attentats de janvier 2015.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Faites-vous une distinction entre les actes antisémites, « islamophobes », et anti-chrétiens, relèvent-ils de la même haine anti-religieuse ? 

Guylain Chevrier : Ces derniers chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur montrent une hausse globale des actes et menaces racistes, antisémites et anti-musulmans de 22% en 2015 par rapport à 2014, avec 2032 actes et menaces contre 1662 en 2014. Les actes racistes ont progressé de 17,5% en 2015, avec un total de 797 actes et menaces. Mais attention à la façon dont on fait parler politiquement les chiffres, surtout lorsqu'on focalise l’opinion sur « l’explosion » des actes anti-musulmans, tel que peut l’énoncer le ministre de l’intérieur.

Si les actes anti-musulmans ont triplé en 2015, avec 429 actes et menaces contre 133 en 2014, ce sont surtout les menaces qui ont augmenté (+26%), signe des tensions nées des attentats de janvier et dans une moindre mesure, de novembre 2015. Les actes et menaces commis lors de ces deux mois représentent ainsi 58% du total des actes et menaces comptabilisés en 2015. Précisons-le, dans les actes, il s’agit essentiellement de dégradations, aucune mise en danger de mort de personne ayant déclenchée une procédure judiciaire. Si on compare avec les actes antisémites, dont on dit qu’ils se sont maintenus à un niveau élevé (806 actes et menaces), tout en soulignant une légère baisse (-5%) sur l’année 2015, celle-ci aura été marquée par des assassinats perpétrés au nom du terrorisme islamiste contre des juifs parce qu’ils étaient juifs. Aucune des autres religions ou actes racistes n’incluent de telles violences. Les juifs restent les cibles des violences les plus graves dans ce domaine, de Mohamed Merah aux derniers attentats. On notera aussi que ces chiffres sont à replacer au regard d’environ 5 millions de musulmans et de 500.000 juifs en France. Si on s’intéressait à la proportionnalité du rapport entre population de référence, nombre et nature des actes, c’est sans aucun doute l’explosion de violence contre les juifs qui serait au moins tout autant à souligner.

Il y a sans aucun doute des causes différentes à ces faits. Si les attentats génèrent malheureusement par amalgame des réactions comme la recrudescence des actes anti-musulmans, il y aussi tout un contexte de revendications religieuses venues d’une partie au moins de l’islam, qui rejettent des valeurs collectives jusque-là acquises, comme la discrétion des convictions religieuses ou l’égalité homme-femme, la libre critique de la religion ou encore la satire de celle-ci, qui favorise ce climat. Il y a aussi, ne l’oublions pas, la multiplication de candidats au jihad, de jeunes français issus de l’immigration impliqués dans les attentats. Une situation qui crée un rapport litigieux avec l‘islam officiel qui semble se chercher au regard de la modernité démocratique, qui est surtout sur une posture de victimisation faisant feu de tout bois pour monter des procès en islamophobie à la moindre mise en cause. Ce qui ne justifie en rien ces actes, mais doit aussi interroger plus largement sur leurs causes.

Concernant les juifs, c’est le conflit israélo-palestinien qui est au coeur de la haine envers eux. Une lecture de ce conflit largement partagée par les médias qui ramènent celui-ci à un rapport de domination, d’injustice déclenchant l’indignation : du fort, le juif, qui opprime le faible, le musulmans-palestinien, simplifiant à l’extrême une réalité dont la complexité ne saurait se résumer à cela, bien plus politique que religieuse. Par exemple, il y a souvent une confusion entretenue entre ce conflit et les juifs de France, naturellement identifiés à ce que l’on nomme systématiquement « l’Etat hébreux » au lieu d’Israël, bien qu’un millions et demi de musulmans soient citoyens israéliens et votent pour leurs représentants au Parlement de ce pays, ce que la plupart de nos concitoyens ignorent. Il y a aussi un antisémitisme traditionnel identifiant les juifs à des gens d’argent, des « usuriers », supposés fomenter un complot permanent pour tenir le monde dans leurs mains. Une vision antisémite reprise par certains jeunes de nos banlieues où se mêle haine du « colonisateur israélien » et du juif identifié comme « profiteur », faisant de l‘argent en complotant à la domination du monde. Différentes affaires dramatiques, où l’enlèvement est allé avec la demande rançon et la torture, ont révélé la réalité de ce fond antisémite archaïque.

Les actes anti-chrétiens tiennent sans doute plus à l’identification de l’Eglise catholique à la France, et donc visée comme symbole de la population majoritaire perçue comme dominante. Pour ceux qui utilisent le fond de commerce du communautarisme, pensent en termes de « minorité dominée » leur rapport à la société française conçue comme catholique, en désignant cette situation comme une domination post-coloniale, les Eglises peuvent effectivement être une cible. 

Communiquer sur ces chiffres peut-il aider à une prise de conscience de la montée des tensions anti-religieuse et communautaire ?

La façon de communiquer et surtout le moment choisi, posent quelques questions. Que cherche-t-on en centrant cette communication sur ce qui est désigné comme « l’explosion des actes anti-musulmans » si on se réfère à une analyse des chiffres qui devrait faire preuve de plus de modération et d’équilibre au regard des autres catégories concernées? Cherche-t-on ainsi à donner des gages aux musulmans sur le fait que la République protège tous les croyants ? Est-ce une façon de se garantir une influence auprès des musulmans au regard d’un certain crédit électoral engrangé ? Est-ce une façon de donner aux alliés de la majorité, à la gauche de la gauche, des gages par cette victimisation, sur un soutien à leur défense sans condition des musulmans les plus communautaristes et donc sans discernement ? A moins que ce ne soit pour diluer les velléités apparues dans le camp de la majorité contre la déchéance de nationalité et la poursuite de l’Etat d’urgence, en déplaçant le sentiment de dramatisation ailleurs…. Cette façon d’agir jette plutôt de la suspicion qu’elle éclaire les enjeux et donc, les consciences. On est encore là, semble-t-il, plutôt dans de la tactique politicienne et médiatique qui n’arrange rien à l’affaire.

Quel a été l’impact des attentats de janvier et ceux de novembre dans la montée de l’islamophobie dont les actes anti-musulmans ont triplé en 2015 ?

Il y a une recrudescence de défiance vis-à-vis des musulmans, mais ce ne sont pas eux qui sont visés mais leur religion,  d’autant plus que l’on continue d’expliquer que ces attentats n’auraient rien à voir avec l’islam. S’il est question de ne pas faire ii d’amalgame, il faut aussi savoir à cet endroit dire le vrai. On pourrait dire rien à voir avec les musulmans de France, mais avec l’islam, ce ne peut être qu’incompréhensible pour nos compatriotes, alors que l’islam est impliqué dans  la plupart des conflits armés aujourd'hui dans le monde. Le djihad, la Guerre Sainte, est une des composantes de cette religion, ce qui correspond tout simplement au fait que le coran a été écrit au VII e siècle au service de l’installation d’un nouveau pouvoir politique et religieux qui impliquait de l’imposer par la violence. Tout djihadiste peut y trouver ce qu’il attend pour justifier ses actes. Par crainte d’une stigmatisation de l’islam, on triche avec une réalité qu’il est au contraire question de prendre avec toutes les précautions et le sérieux nécessaire, sans rien cacher. Il en va d’une situation dite de guerre, et on ne rend pas service non plus ainsi aux musulmans, pris souvent malgré eux, dans ces contradictions. Un déni qui participe aussi de ce climat de tension, alors que les représentants officiels de l’islam de France sont loin d’avoir clarifié les relations de cette religion avec la République. Nos politiques et les grands médias ne sont pas plus clairs et participent de favoriser ce climat en entretenant la confusion. Tant que l’islam officiel ne rejettera pas sans ambiguïté les appels à la violence que l’on rencontre dans le coran et auxquels se réfèrent les intégristes, tout en continuant d’expliquer qu’ils ne s’y trouvent pas, il se maintiendra un rapport litigieux des Français avec cette religion.

En quoi les revendications communautaires de certains musulmans peuvent-elles exacerbées l’islamophobie?

On assiste à une montée des revendications communautaires à caractère religieux continue dans ce contexte, par exemple concernant les piscines ouvertes à des horaires spécifiques uniquement aux femmes, et de façon générale, à un climat de clientélisme politico-religieux favorable aux accommodements dits « raisonnables » que l’on ne peut détacher des échéances électorales à venir. L’exaspération des français est à son comble de ce point de vue, on ne parle plus que des croyants à protéger et particulièrement des musulmans, dont une partie est très revendicative dans sa volonté de voir la règle religieuse s’imposer au détriment de la règle commune, alors qu’il n’y a pas un jour pratiquement sans attenta dans le monde et régulièrement maintenant en France, au nom de la croyance. Des contradictions qui poussent dans le sens d’une exacerbation des tensions entre la société et cette religion.

Comment lutter contre cette recrudescence d’actes anti-religieux ?

La meilleur des façons de lutter contre ces actes, de désamorcer les tensions, est de faire corps tous ensemble, par-delà nos différences, autour des valeurs républicaines. Mais cela n’est possible que si on lève des ambiguïtés qui ne peuvent que diviser, entre autres, au travers de l’affirmation que l’islam, comme religion, dans ses références essentielles n’y serait pour rien. Comme toutes les religions du livre, l’islam est l’émanation d’une époque reculée où les sociétés étaient dominées par la violence, le patriarcat, un religieux omnipotent et répressif. Cela repose la question d’une modernisation de cette religion, sachant faire la part des choses entre ce qui s’accorde à la modernité et ce qui y est opposé, un débat qui dépasse le contexte des attentats auquel ces deniers donnent une acuité particulière. Il en ressort aussi une responsabilité du pouvoir politique qui n’a pas le droit de passer à côté de cette exigence, s’il est bien question de ne pas voir se diviser nos compatriotes selon leurs différences et surtout se retourner contre l’islam en France.

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