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Acte 23 des Gilets jaunes : répétition générale avant le grand soir du 1er mai ?
©LUCAS BARIOULET / AFP

Acte XXIII

L’acte XXIII a vu une bonne régulation des manifestations par les forces de sécurité. Mais si une légère désaffection a sans doute joué un rôle, l’examen de ses causes laisse entendre qu’il s’agit d’un concours de circonstances qui n’a pas cassé en profondeur la dynamique de ces « Gilets jaunes » « nouvelle manière ».

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’Acte XXIII, dont on craignait les débordements, a été maîtrisé. Que penser de son déroulement et de la manière dont on arrive à un certain équilibre entre les manifestants et les forces de sécurité ?

Christophe Boutin : L’Acte XXIII devait effectivement, selon les services du ministère de l’Intérieur, être une reproduction de l’Acte XX, avec ses saccages alors opérés sur les Champs-Elysées par des Black blocs. Le nouveau préfet de police, Didier Lallement, remplaçant Michel Delpuech limogé justement après l’Acte XX, annonçait ainsi la présence d’« un bloc radical de 1.500 à 2.000 personnes » dans la capitale, composé d’ailleurs non pas uniquement de Blacks-blocs, mais aussi de ces « ultra-jaunes » comme on appelle maintenant les « Gilets jaunes radicalisés » qui ont adopté les méthodes violentes des Black-blocs.

Les « casseurs se sont à nouveau donné rendez-vous demain, dans certaines villes de France, à Toulouse, à Montpellier, à Bordeaux et en particulier à Paris », affirmait pour sa part vendredi le ministre de l’Intérieur, dont les services avaient mobilisé plus de 60.000 policiers et gendarmes, avec notamment des renforts à Toulouse, Montpellier, Bordeaux et bien sûr Paris. Deux secteurs étaient interdits à la manifestation dans la capitale : les Champs-Elysées et Notre-Dame, car selon le Didier Lallement il n’était n'est « pas raisonnable de faire passer des manifestations de 5.000 à 10.000 personnes » à proximité de l’édifice alors que touristes et badauds continuaient à venir se recueillir devant. De la même manière, on avait interdit, comme c’est maintenant l’habitude, les centres villes par exemple de Bordeaux Nantes, Rouen, Caen ou Toulouse, et même le rond-point de Saint-Etienne-du-Rouvray en Seine-Maritime.

Les figures historiques des « Gilets jaunes », Éric Drouet, Maxime Nicolle ou Jérôme Rodrigues, appelaient pour cet Acte XXIII les manifestants à venir à Paris, et les manifestations devant partir de la Gare du Nord, de la Porte Saint-Denis et de la place du Châtelet pour converger vers la Madeleine – mais à la Gare du Nord les « Gilets jaunes » ont été encerclés et conviés à rejoindre par métro la manifestation officielle partant de la Porte Saint-Denis. Des heurts ont eu lieu dans l’après-midi à proximité immédiate de la place de la République : pillages de quelques magasins par des individus habillés de noir, incendies de mobilier urbain, de voitures et de scooters sur les boulevards - le blocage du cortège boulevard Richard Lenoir n’ayant pas arrangé les choses. À Bordeaux (1.500 personnes), Montpellier (1.500), Marseille (1.000), Lille (plusieurs centaines) ou Rouen (300) les choses se sont généralement déroulées dans une ambiance bon enfant. C’était le cas aussi au début à Toulouse (3.500 personne), avant que les choses ne se tendent en fin d’après-midi.

Le bilan final de cet Acte XXIII est, selon le ministère de l’Intérieur, de 27.900 manifestants en France, dont 9.000 à Paris (contre respectivement 31.000 et 5.000 la semaine dernière). À midi, Emmanuel Macron avait fait avec Christophe Castaner un « point de situation ». Il ne pouvait sans doute que constater que les services des forces de sécurité ont maintenant une technique bien au point : interdiction on l’a vu des secteurs les plus sensibles, blocages des manifestants qui cherchent à sortir des parcours autorisés, blocage même des parcours autorisés et « mise en tension contrôlée » des manifestants (canons à eau, grenades), puis interpellations. Il y avait pour la seule capitale à 17h 189 interpellations, plus de 120 gardes à vue et 17.567 « contrôles préventifs » (soit le double du nombre de manifestants recensés par le ministère à qui l’on doit aussi ces chiffres). Une bonne adaptation des forces de sécurité, mais qui n’en restent pas moins mobilisées depuis maintenant cinq mois, et ne sont visiblement pas prêt de pouvoir tourner la page, puisque même si l’étiage des manifestations baisse parfois, il n’y a toujours pas disparition d’un mouvement qui s’est fixé des objectifs en mai et jusqu’au mois d’août avec la réunion du G7…

On constate une baisse de la participation lors de cet Acte XXIII – sur l’ensemble de la France, car il y a eu par contre plus de manifestants à Paris. La semaine ayant été très troublée, quelles sont les principales causes qui ont pu jouer dans cette baisse ?

Même si la manifestation parisienne aura été plus importante, on assiste effectivement à une baisse au niveau national entre les Actes XXII et XXIII. M  ais les causes en sont multiples.

La première est bien sûr l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris et ses conséquences, puisque cela a relégué au second plan tous les autres éléments de la vie politique nationale – y compris la déclaration par laquelle Emmanuel Macron devait présenter, tirant les leçons du « Grand débat national », ses réponses, justement, à la crise politique et sociale des « Gilets jaunes », une présentation qui n’eut finalement pas lieu. Pendant toute la semaine on ne parla que du monument et de sa reconstruction, le Président annonçant pour cela un délai de cinq années et l’ouverture d’un concours d’architecture pour la flèche disparue. Toutes les polémiques de la semaine tournèrent donc autour de ces nouveaux éléments, avec à la fois, sur le plan architectural, l’opposition entre des progressistes trop heureux de laisser leur trace dans l’histoire et des conservateurs cherchant, au contraire, à maintenir inchangée l’image du monument, mais aussi, sur un autre plan, celle sur les dons destinés à financer cette reconstruction. Les donateurs furent ainsi accusés, par la défiscalisation, de faire payer les contribuables – alors même que, Notre-Dame n’étant pas assurée (elle appartient à l’État qui est son propre assureur), les finances de l’État seraient nécessairement impactées -, ce qui conduisit la famille Pinault d’abord, puis, ne pouvant faire moins, Bernard Arnaud, à renoncer à cet avantage. De doctes intellectuels se posèrent ensuite la question de savoir si cet argent (on évoquait un milliard de dons) ne serait pas plus utile ailleurs – c’était notamment le cas de Lilian Thuran qui s’étonnait des « hiérarchies » dans l’émotion entre une cathédrale incendiée et la mort de migrants. Quoi qu’il en soit, tout cela faisait passer au second plan l’agitation sociale.

La seconde cause possible est que, même sans annonce officielle, des éléments des réformes prévues par Emmanuel Macron ont été présentées dans la presse et que certaines – l’ouverture du référendum d’initiative partagée, la dose de proportionnelle à certaines élections, ou la très symbolique et très démagogique suppression de l’ENA, ont pu satisfaire certains « Gilets jaunes »… ou, au moins, leur donner envie d’attendre d’en savoir un peu plus, lorsque le Président les annoncerait véritablement.

La troisième cause de désaffection est sans doute, pour la part « classique » des « Gilets jaunes », la peur d’être prise dans les violences d’un nouvel Acte XX, avec ces pillages que l’on prédisait. Mais il faudrait aller plus loin et ne pas négliger ici la démotivation de cette base originelle des « Gilets jaunes », ceux des ronds-points, qui ne sont plus présents que dans les quelques manifestations de la province profonde, et qui ont clairement la sensation d’avoir été dépossédés de leur mouvement par la gauche et l’extrême gauche. Loin en effet d’être dirigé par cette fameuse « ultradroite » dont Christophe Castaner et Bernard-Henri Lévy voyaient les hordes en chemise brune rejouer les années trente, le mouvement, en sus du parasitage – mais d’un parasitage de plus en plus toléré, si ce n’est excusé - des Blacks-blocs, est submergé par les débris épars de toutes les luttes de la « gauche de la gauche », des comités de soutien les plus improbables aux groupes d’expression citoyenne où ronronnent dans leur univers mental de bonne conscience universelle les sexagénaires pontifiants et les jeunes vegans conscientisé-e-s de « Nuit debout ». Bref, tous ceux contre les mentalités desquels se dressaient les premiers « Gilets jaunes », avides au contraire d’un retour au réel. Et un malheur n’arrivant jamais seul, les syndicalistes et politiques de gauche, qui n’avaient rien vu venir ni rien compris au mouvement, et dont les représentants, méprisés par les manifestants, étaient expulsés sans ménagement excessif des premiers cortèges, y sont maintenant comme chez eux. Un exemple de cette récupération est nettement visible dans les « ultra jaunes » comme aime à les appeler le gouvernement. En fait, il ne s’agit pas ici de « Gilets jaunes » d’origine qui se seraient radicalisés peu à peu – et les violences policières auraient pu être ici un élément d’explication - mais de « Gilets jaunes » d’extrême-gauche, pour certains, très minoritaires, initialement présents, ou, pour la plus grande part, venus s’y agréger au fil du temps, et notamment depuis janvier, et qui n’ont jamais été particulièrement choqués par les méthodes d’extrémistes plus radicaux avec lesquels ils partagent une même vision du monde.

Cette même récupération est aussi, en sus de la mise à l’écart des « Gilets jaunes » du début, une dernière cause de cette désaffection en ce qu’elle  a conduit cette fois les représentants de la gauche au sein du mouvement à se calquer sur l’immuable calendrier des luttes sociales, et donc à envisager comme acmé un mois de mai, à la référence mythique, à l’ouverture symbolique et aux ponts bien pratiques, pour cette « convergence des luttes » révolutionnaire qui doit, on le sait, tout submerger lors du « Grand soir ». C’est sans doute pourquoi, malgré des effets d’annonce plus destinés à maintenir la pression sur les forces de sécurité en effrayant les politiques qui en disposent, et donc à fatiguer l’ensemble de la chaîne, l’ultragauche, contrairement à ce qui s’est passé pour l’Acte XX, est restée très en deçà de ses capacités de mobilisation violente : pour préserver ses forces pour le 1er mai et les suites qu’elle entend bien lui donner.

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