Accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et 340 multinationales : les pistes pour comprendre comment l'Europe en est arrivée là<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et 340 multinationales : les pistes pour comprendre comment l'Europe en est arrivée là
©Reuters

Gros sous

Ces accords auraient permis une évasion fiscale massive au profit des plus grandes marques mondiales, faisant perdre des milliards d'euros aux Etats.

Le Luxembourg est au coeur d'un gigantesque scandale. Selon une enquête réalisée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) et publiée ce jeudi par 40 médias internationaux dont Le Monde, des accords fiscaux secrets entre le Grand-Duché et 340 multinationales auraient été passés entre 2002 et 2010. Apple, Amazon, Ikea, Pepsi, Heinz, Verizon, AIG ou encore Axa sont visés par cette enquête. Ces accords auraient permis une évasion fiscale massive au profit des principales entreprises, faisant perdre des milliards d'euros aux Etats.

L'enquête, qui a duré six mois, porte sur la pratique des accords fiscaux anticipés, ou "tax ruling", pratique légale. Cette dernière permet à une entreprise de demander à l'avance comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale d'un pays, et d'obtenir certaines garanties juridiques. "Cela influence la répartition du bénéfice imposable d'une multinationale entre ses filiales situées dans des pays différents, ce qui lui permet de faire de l'optimisation fiscale" écrit Le Monde. De grandes entreprises "s'appuient sur le Luxembourg et ses règles fiscales souples, mais aussi sur les déficiences de la réglementation internationale, pour y transférer des profits afin qu'ils n'y soient pas taxés, ou très faiblement" relate encore le journal. "Le Luxembourg garde ces accords fiscaux secrets" et "ne le notifie pas à ses partenaires européens", bien qu'il soit "mis au courant, de fait, par ces multinationales, de leur stratégie d'évitement de l'impôt" continue Le Monde.

Quelques heures après ces révélations, le Luxembourg a tenu à se defendre par la voix de Xavier Bettel, le Premier ministre. "Choqué" par ces accusations, il a assuré que les pratiques fiscales du Luxembourg étaient "conformes aux lois internationales". Il y a quelques semaines, le ministre des Finances, Pierre Gramegna avait signalé que le "tax ruling" "n'est pas une spécialité du Luxembourg, beaucoup de pays européens la pratiquent". 

Ces révélations font de nombreuses vagues et égratignent Jean-Claude Juncker, qui fut Premier ministre du Luxembourg pendant 18 ans entre 1995 et 2013. Voulant réagir rapidement, la Commission européenne a annoncé avoir lancé il y a plusieurs mois une enquête pour savoir si le Luxembourg avait accordé, à travers la pratique du "ruling", des "subventions déguisées" au géant américain d'internet Amazon et au groupe italien Fiat. L'enquête de la Commission concerne aussi l'Irlande avec Apple, et les Pays-Bas avec Starbucks. Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission a indiqué que cette dernière était prête à sanctionner le Luxembourg, s'il y a lieu.

Antoine Brunet, économiste nous confiait le 12 juin dernier que "dans ce dossier, ce qui est en question n’est pas l’évasion fiscale pure et simple mais quelque chose qui est plus pernicieux, ce que l’on désigne par un euphémisme, l’optimisation fiscale. Les grandes multinationales américaines en général ne transgressent pas la lettre des lois fiscales des pays de l’UE mais leur esprit. Elles prennent appui sur le fait que les Etats de l’Union Européenne demeurant souverains en matière fiscale, de grosses différences se sont maintenues dans les barèmes d’imposition sur les profits des sociétés".

A LIRE AUSSI - Évasion fiscale des Apple, Starbucks et cie : ce que l’Europe bisounours pourrait avoir intérêt à retenir de l’absence d’états d’âme de la Chine et des États-Unis

Il finit même par advenir une complicité structurelle entre les quelques Etats européens à très basse fiscalité et les multinationales américaines, les premiers protégeant les secondes. Ce qui est nouveau de la part de la Commission et de Joaquin Almunia, c’est qu’ils semblent enfin reconnaître que les Etats européens à forte fiscalité se voient indûment privés de leurs recettes d’impôt sur les sociétés au bénéfice de ceux à faible fiscalité" poursuivait Antoine Brunet.

Philippe Marini, sénateur UMP soulignait aussi que ce principe d'optimisation fiscale faisait perdre des millions d'euros en termes de recettes fiscales aux Etats européens qui agissent dans les règles. "Les Etats européens et l'Union européenne n'ont vu émerger ce phénomène que trop tardivement. L'Union européenne n'a pas su faire prévaloir son droit de la concurrence qui est pourtant l'une de ses justifications principales".

A LIRE AUSSI- Google, Amazon, Starbucks : comment les Etats peuvent-ils faire payer les multinationales qui se jouent des frontières ?

Interrogé par Atlantico sur le sujet des paradis fiscaux dans l'Union européenne, Nicolas Dupont-Aignan lançait : "le Luxembourg est aussi un cas d’école, le plus hypocrite sans aucun doute". Le Grand-Duché (...) a mis en œuvre une stratégie prédatrice avec l’accord implicite de la France, de l’Allemagne et des autres, en profitant de la marge de manœuvre offerte par l’Union européenne. Au Luxembourg, le siège Europe d’Amazon ne paye que 15 % de TVA (3 % pour le livre électronique)… C’est exactement comme si le département de l’Allier avec un gouvernement d’opérette à sa tête avait décidé de devenir un parasite fiscal. Pire, l’Union européenne a confié pendant sept années au Premier ministre luxembourgeois la présidence de l’Eurogroupe !"

A LIRE AUSSI - L’Union européenne, parasite fiscal en chef

Nicolas Dupot-Aignan visait là Jean-Claude Juncker qui se retrouve ce jeudi dans l'oeil du cyclone. Mercredi, il avait pourtant assuré que la Commission avait "parfaitement le droit de lancer des enquêtes" comme celles lancées il y a plusieurs mois et promis de "s'abstenir d'intervenir dans ce dossier". Mais le groupe des Verts au Parlement européen a estimé que "la crédibilité" de Jean-Claude Juncker "est mise à mal", en dénonçant un "conflit d'intérêts".

Mercredi, avant les révélations de "LuxLeaks", Pierre Gramegna, le ministre des Finances du Luxembourg avait reconnu qu'il fallait clarifier certaines règles du "tax ruling" et légitimer leur pratique dans une loi. Selon lui, les accords actuels passés entre l'administration luxembourgeoise et les multinationales sont "inadaptés" en raison de "l'absence de base légale explicite", et il faut les sortir de leur opacité et "formaliser la pratique existante". Il pourrait bien être écouté. Par ailleurs, le Luxembourg a récemment évolué en matière de pratiques fiscales, en se ralliant aux autres pays de l'UE pour mettre en l'oeuvre à partir de 2017 l'échange automatique d'informations, afin de lutter contre la fraude. Les choses devraient encore s'accélérer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !