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Accent d'Eva Joly: Pauvre France, qui perd son sens de l'humour
et de la liberté
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Beaucoup de bruit pour rien

"Une attaque raciste". C’est ainsi qu’Eva Joly a qualifié la chronique de Patrick Besson dans Le Point de cette semaine. L’écrivain moquait entre autres son accent norvégien. Une polémique absurde et ridicule ?

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Je n’ai jamais aimé les chroniques de Patrick Besson, que je trouve littérairement pauvres, politiquement hasardeuses et moralement ennuyeuses. Comme beaucoup de lecteurs hypocrites, je les lis néanmoins avec assiduité, pour avoir le plaisir de pester chaque semaine.

Et ce jeudi, surprise ! Besson m’a fait rire avec son billet sur Eva Joly. Il imagine une Eva élue par défaut, seule survivante d’accidents en série, et imposant au pays le pire de l’idéologie écolo-compassionnelle. Elle gouverne depuis une petite maison de bois - une fiction plutôt fondée quand on se rappelle qu’Eva Joly annonçait fièrement, en introduction de l’un de ses ouvrages [1] : "J'écris ce livre dans une maison enrondins, dans la montagne"… Et le ministère du végétarisme, pendant EELV du ministère de l’identité nationale voulu par l’UMP, est une bonne trouvaille de potache professionnel. Il serait un peu vain de chercher le "fond" de l’article, qui reste une simple caricature, réussie à mon goût. Si toutefois on voulait – généreusement - prêter une pensée à l’auteur, on pourrait y entrevoir une critique de l’idée de décroissance, encore aujourd’hui en arrière-plan du discours écologiste.

Il se trouve, chacun a pu le remarquer, qu’Eva Joly a un accent ; donc quand Patrick Besson cherche à l’imiter à la première personne, il imite également, en écrivain consciencieux, son accent. C’est un procédé littéraire au moins aussi vieux que Balzac qui, de La Maison Nucingen aux Splendeurs et misères des courtisanes en passant par Les illusions perdues, assomme le lecteur de l’accent alsacien du baron de Nucingen, portant le texte aux confins de l’illisible. Un exemple, bien approprié au contexte actuel : "Fus fus êdes mogué te moi !" pour "vous vous êtes moqué de moi"...Plus tard, Proust n’hésitera pas, dans Sodome et Gomorrhe, à remplacer les "r" par les "l" pour faire parler sa princesse russe. J’imagine qu’il ne vient à personne l’idée de les traiter de racistes.

Si le style devient un crime...

La violence et l’absurdité de la vindicte dont est l’objet Patrick Besson font froid dans le dos. En Angleterre, où la pensée et l’expression restent libres, une telle polémique serait rigoureusement impossible. La France a visiblement perdu le sens de l’humour et le goût de la liberté. Si Eva Joly s’est épargné le ridicule en refusant de porter "l’affaire" devant les tribunaux, d’autres, dans le climat actuel où chacun fait un procès à chacun, n’auraient pas hésité. Qu’aurons-nous le droit d’écrire et de dire demain, si non seulement les idées, mais même le style deviennent un crime ? Cette censure idiote – et son ombre terrible : l’auto-censure – vont-elles finir par transformer nos journaux et nos livres en recueils de jurisprudence ?

N’est-ce pas pourtant un Français, Voltaire, qui écrivait en défendant la liberté d’imprimer : "Il est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortune. Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas". Alors refermez Le Point si Besson vous déplaît, comme il m’arrive si souvent, mais cessez vos autodafés.

[1]Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? (ed Les Arènes, 2003)

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