Abus sexuels : l’Eglise de France courageuse… mais très maladroite en com’<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, lors d'une conférence de presse.
Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, lors d'une conférence de presse.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Conférence des évêques de France

Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, a annoncé que onze évêques étaient mis en cause par la justice civile et ou canonique. Interview avec Antoine Pasquier, rédacteur en chef de Famille chrétienne.

Atlantico : Le président de la Conférence des évêques de France (CEF) a annoncé dans une conférence de presse ce lundi que onze évêques étaient mis en cause par la justice civile et ou canonique. Dans cette liste, quelle est la part de révélations ? Et quelle est la part de faits déjà connus? 

Antoine Pasquier : Ce chiffre de onze évêques mis en cause englobe des faits, des temporalités et des traitements différents qu’il faut bien prendre le temps de distinguer.

Sur ces onze cas, six étaient déjà connus du grand public : Mgr Pierre Pican – aujourd’hui décédé - condamné en 2001 pour non-dénonciation d’agressions sexuelles, Mgr André Fort condamné en 2018 pour des accusations identiques et le cardinal Philippe Barbarin relaxé en 2020 pour non-dénonciation également. Il faut ajouter à ces trois affaires trois autres de nature très différente : Mgr Emmanuel Lafont soupçonné d’abus de faiblesse et de harcèlement, Mgr Jean-Michel Di Falco accusé d’agressions sexuelles sur mineur et Mgr Hervé Gaschignard qui a bénéficié d’un non-lieu en 2017 pour des comportements inappropriés.

A ces six cas connus, traités ou en cours de traitement, s’ajoutent désormais les deux révélations de ces derniers jours : Mgr Michel Santier sanctionné pour des abus spirituels à des fins sexuelles sur au moins deux jeunes hommes dans les années 1990, et le cardinal Jean-Pierre Ricard qui a avoué avoir eu « un comportement répréhensible » sur une mineure de 14 ans il y a 35 ans.

Il reste donc encore trois cas dont les auteurs et les faits ne sont pas encore connus : deux pour lesquels une enquête policière est en cours, et un dont le signalement auprès du procureur de la République n’a pas encore été pris en compte. Ces trois derniers cas restent confidentiels en raison des enquêtes ouvertes.

En présentant les faits ainsi, tous ensemble, Eric de Moulins-Beaufort ne risque-t-il pas de renforcer, dans les esprits, la gravité et l'ampleur du phénomène (alors même que celle-ci est déjà d'une portée très importante) ? N'est-ce pas une erreur ?

Mgr Eric de Moulins-Beaufort a, je crois, voulu être exhaustif en énumérant l’ensemble des évêques mis en cause par le passé ou actuellement. Son intention était de faire la plus grande transparence sur ces affaires dans un moment critique, et de montrer ainsi que les évêques n’étaient pas impunis. Des enquêtes ont été diligentées, des décisions de justice ont été prises et Rome a pris des sanctions qui, malheureusement, n’ont pas toujours été communiquées comme l’a montré l’affaire Santier. Il faut resituer le contexte de la prise de parole du président de la CEF. Cette énumération est intervenue après les longues explications sur les dysfonctionnements de l’affaire Santier puis les révélations sur le cardinal Ricard. Mgr de Moulins-Beaufort a synthétisé peut-être un peu trop rapidement ces onze affaires en quelques lignes, alors que chacune nécessite de longs développements pour en comprendre les tenants et les aboutissants.

Le 8 novembre au matin, lors de son discours de clôture, il a dit regretter la confusion que cette énumération avait pu causer et en a profité pour bien redire que ces affaires recouvraient des réalités et des issues bien différentes. Faut-il parler d’une erreur ?

Je parlerais plutôt d’une maladresse et d’une précipitation. Les médias ont su demander – et obtenir – après la prise de parole de Mgr de Moulins-Beaufort, des précisions qui ont permis rapidement de resituer l’exactitude des onze affaires évoquées.

Le rapport Sauvé parlait d'une "dimension systémique"  sur cette question des abus. Est-ce un terme adéquat ? 

Ce terme a parfois été mal compris. Il ne désigne pas l’Eglise comme un système qui aurait organisé sciemment et de manière criminelle la perpétration d’abus sexuels et leur dissimulation. La CIASE n’a pas comparé l’Eglise à une organisation de malfaiteurs. La dimension systémique recouvre une toute autre réalité. L’Eglise, qui a eu connaissance d’un nombre important d’abus en son sein, n’a pas pris les mesures nécessaires pour endiguer ce phénomène. Cette inaction coupable a atteint toutes les strates de l’Institution, du Vatican aux diocèses, en passant par les paroisses et les communautés religieuses, et même jusqu’aux familles des victimes elles-mêmes parfois. Un peu comme une cellule cancéreuse. Si on ne la traite pas, elle se développe et contamine l’ensemble de l’organisme, même les organes les plus sain(t)s.

Cette déclaration, ainsi que la mise en place du conseil de suivi et autres mesures annoncées  au terme de leur assemblée plénière, sont-elles la preuve que l'Église est déterminée à affronter ces profonds problèmes en la matière ?  Les propositions pourraient-elles être désormais suffisamment efficaces ?

La détermination de l’Eglise ne date pas de cette semaine. Un tournant majeur est intervenu grâce au rapport Sauvé et aux résolutions adoptées en novembre 2021 par les évêques de France. Au cours de cette assemblée plénière, l’épiscopat a reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Eglise et le caractère systémique des abus en son sein. Cette double reconnaissance a ouvert la voie à une série de mesures fortes, dont la principale a été la création d’une instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) des victimes. La création de ce conseil de suivi, chargé d’aider les évêques qui seraient confrontés à des affaires d’abus commis par d’autres évêques, est un pas supplémentaire dans ce dispositif d’ensemble.

Les mesures ne seront efficaces que si chaque catholique se sent concerné par la lutte contre les abus sexuels. Cette lutte commence par des principes de bon sens et une vigilance bienveillante mais sérieuse de tous à l’égard de tous : ne jamais laisser un adulte seul avec un mineur, respecter l’intégrité physique et psychologique des jeunes, éviter les gestes qui pourraient être mal interprétés, interpeller les structures compétentes en cas de doute (cellules d’écoute par exemple).

La reconnaissance du caractère systémique des abus ne disqualifie pas l’Eglise pour qu’elle réussisse à trouver, en son sein et avec l’aide de personnes compétentes extérieures, les antidotes nécessaires pour combattre les abus. En médecine - pour rester sur cette thématique -, il existe des traitements systémiques qui permettent de soigner l’origine du mal et les dégâts collatéraux qu’il a occasionné. C’est souvent un traitement de choc mais indispensable pour recouvrer la santé. Il en va de même pour les abus sexuels dans l’Eglise. Tout ne sera pas réglé en un jour, et le risque zéro ne sera jamais atteint, mais la tolérance zéro, elle, est possible et déjà en bonne voie.

Famille Chrétienne est à l’origine des révélations concernant Mgr Santier

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