Abus d'idéologie : ce qu'on perdrait vraiment en supprimant le statut d'auto-entrepreneur<!-- --> | Atlantico.fr
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Le régime des auto-entrepreneurs a connu un vif succès auprès du grand public.
Le régime des auto-entrepreneurs a connu un vif succès auprès du grand public.
©Flickr

Un pas en arrière

Le gouvernement présentera mercredi un projet de loi sur la réforme du statut d'auto-entrepreneur, instauré en 2009 par Hervé Novelli, sans trancher sur la question qui fâche : la limitation du chiffre d'affaires annuel, renvoyée à une commission parlementaire.

Hervé Novelli et Gilles Saint-Paul

Hervé Novelli et Gilles Saint-Paul

Hervé Novelli est un homme politique. Il a été Secrétaire d'État au Commerce, artisanat, entreprises, professions libérales, tourisme et services. Il était également député européen jusqu'en 2002, et député d'Indre-et-Loire jusqu'en 2007. Il est, depuis 2011, secrétaire adjoint de l'UMP.

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I. Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Le régime des auto-entrepreneurs a connu un vif succès auprès du grand public (plus de 850 000 inscrits) bien qu'il n'ait pas révolutionné l'économie française (90% des auto-entrepreneurs dégageant un revenu mensuel inférieur au Smic) et n'a pas enrayé la hausse de la courbe du chômage. Par conséquent, que perdrait la France à le supprimer ? Quelles seraient les pertes immédiates, et celles à plus long terme ? 

Hervé Novelli : La première constatation que je fais c'est l'impact de ce statut sur la création d'entreprises en France : une création d'entreprise sur deux se fait sous le régime de l'auto-entrepreneur. 80% des auto-entrepreneurs interrogés affirment que sans ce statut, ils ne se seraient pas lancés. Restreindre ou tuer ce régime reviendrait quasiment à diviser par deux la création d'entreprises en France. Le signal envoyé serait clair : on est contre la création d'activité en France, et on vous met les bâtons dans les roues si vous voulez lancer une activité.

Il y a bien sûr d'autres conséquences. Les auto-entrepreneurs ont déclaré 6,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour 2012. C'est de l'activité, de la valeur ajoutée, donc de la croissance, même si ce n'est pas aussi important que ce qu'on pourrait escompter. En moyenne, les prélèvements sociaux et fiscaux sur les auto-entrepreneurs avoisinent les 20%. Cela fait donc un milliard et demi d'euros qui ne rentra pas dans les caisses de la Sécurité sociale et du budget. Pour un régime qui était censé mettre à mal la protection sociale, on s'aperçoit que c'est celui qui est le plus profitable pour les organismes de la Sécu, sans contrepartie extraordinaire. 

Ce statut a aussi fait émerger du travail qui était auparavant opéré de manière "grise", voire "noire". Par exemple, les sites de e-commerce, secteur en pleine explosion, sont pratiquement tous auto-entrepreneurs. Auparavant, ils n'étaient pas déclarés et les transactions échappaient aux prélèvements. Ma grande crainte, c'est que les nouvelles contraintes, couplées à la hausse de TVA que l'on nous annonce, fassent exploser le travail au noir. 

Gilles Saint-Paul : Les rigidités du marché du travail pénalisent nombre de travailleurs modestes en les empêchant de retrouver un travail parce qu’il n’est pas rentable pour une entreprise de les embaucher, ou en les empêchant d’augmenter leurs revenus en travaillant plus. L’enjeu est donc de juguler le chômage de longue durée et la pauvreté en mobilisant des ressources productives artificiellement inemployées.

Le statut d'auto-entrepreneur était une manière détournée de s’attaquer à la société du non-travail dans laquelle notre pays s’est installée depuis les années 1970. Quant à son effet sur la courbe du chômage, on ne sait tout bonnement pas comment celle-ci aurait évolué en l’absence de ces mesures. Plus généralement, il faut parfois cesser d’avoir les yeux rivés sur la "courbe du chômage" et savoir s’en remettre à la logique et au bon sens.

Les critiques faites à l'encontre des auto-entrepreneurs (dumping par rapport aux artisans, offre de service "au rabais" avec un cadre juridique flou, manière de contourner le droit du travail etc.) sont-elles justifiées quatre après le lancement du statut ? Supprimer le statut serait-il problématique ? Quels avantages pour l'artisanat et pour l'emploi durable cela apporterait-il ? 

Hervé Novelli : On dit partout que les auto-entrepreneurs génèrent peu d'activité et ne sont donc pas très importants. Dans le même temps, on prétend qu'ils sont dangereux en faisant une concurrence déloyale, notamment dans le bâtiment. Dire les deux en même temps, c'est un peu contradictoire... Un auto-entrepreneur sur deux a un projet de développement, mais l'autre moitié n'a qu'une volonté de revenu complémentaire et n'a pas l'ambition de dépasser les plafonds.

L'argument de la concurrence déloyale ne tient pas la route car les charges qui pèsent sur les auto-entrepreneurs ont rejoint celles des indépendants. Pour le secteur du bâtiment, le rapport de l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales a souligné que le chiffre d'affaires des auto-entrepreneurs dans le bâtiment représente 0,5% des entreprises de moins de vingt salariés, qui sont en principe les plus sensibles à cette concurrence. 

La suppression de ce statut ne représente pas un avantage pour les artisans, ce sera même l'inverse. En effet, certains auto-entrepreneurs sont des artisans ! Ils fréquentent la Chambre des métiers et ces dernières feraient bien de voir qu'un certain nombre d'auto-entrepreneurs sont les troupes nouvelles de l'artisanat. Si on supprime le statut, ces troupes fraîches, attirées par la simplicité, ne viendront plus s'inscrire. 

Gilles Saint-Paul : Les critiques faites à l'encontre des auto-entrepreneurs sont justifiées du point de vue de ceux qui les formulent. C’est précisément pour contourner le droit du travail, qui est globalement nuisible à l’emploi et à la productivité, que le statut d’auto-entrepreneur a été inventé. Et on pouvait même penser que si ce statut se généralisait, on aurait pu s’appuyer sur les auto-entrepreneurs comme une force politique en faveur de réformes plus profondes. Mais il est vrai également que les entreprises traditionnelles sont sujettes à des charges plus élevées et que le statut crée une distorsion de concurrence au détriment de ces entreprises. Cependant, cette critique vaut aussi pour toute la gamme d’activités informelles qui fleurissent à la marge de l’économie officielle depuis que le fardeau de l’Etat-providence et les entraves à la concurrence ne cessent d’éroder cette dernière : stages, chambres d’hôtes, trocs et puces, covoiturage, économie dite "solidaire", etc.

Elle s’applique aussi à bien des activités des administrations et collectivités locales soumises à des charges plus faibles, non tenues à l’équilibre budgétaire, et disposant pour leurs contractuels de contrats de travail plus souples que leurs concurrents du secteur privé. Les autorités prennent conscience que, du fait de la fiscalité et des réglementations, l’économie parallèle est appelée à se développer, et elles tentent de circonscrire ce développement en la légalisant mais de façon très encadrée. Elles espèrent ainsi préserver le "cœur" du secteur marchand si vital pour le système tout en engrangeant quelques recettes fiscales supplémentaires. Mais si ces nouvelles formes d’activité se révèlent trop populaires, alors le "cœur" est menacé et on fait machine arrière en revenant sur les avantages consentis. En jouant ainsi au chat et à la souris, on augmente au final l’incertitude sur les politiques publiques et on rend plus difficiles les décisions économiques.

Le gouvernement, qui n'a jamais porté dans son cœur le statut d'auto-entrepreneur, est assez flou sur le sort qu'il lui réserve (il reste notamment mystérieux sur un éventuel abaissement du plafond). Comment expliquer ce manque de visibilité de la volonté guvernementale ?

Hervé Novelli : Il y a une idéologie qui pousse à lutter contre les formes de travail indépendant, très empreinte d'un sectarisme intellectuel qui voudrait que tout le monde soit salarié. Mais tous ces gens qui veulent créer leur activité pour gagner un peu d'argent ne sont pas les affreux capitalistes ou les grands financiers. Ce sont souvent des chômeurs ou des travailleurs pauvres qui sont plutôt enclins à être la clientèle, occasionnelle ou régulière, du Parti socialiste. Il y a un choc entre une idéologie déconnectée du réel et la réalité de l'attachement des auto-entrepreneurs à ce statut.  

Gilles Saint-Paul : Lors de l’abrogation de la défiscalisation des heures supplémentaires, une bonne partie des ménages modestes ont pris conscience que nombre des mesures prises par Nicolas Sarkozy leur étaient favorables. Et par la même occasion, ils ont pris conscience que pour le nouveau gouvernement, certaines considérations politiques et idéologiques primaient sur leur propre bien-être. Par là je veux dire qu’il est politiquement bien plus rentable pour le PS de maintenir des catégories de population dans la dépendance par rapport aux aides publiques, que de leur permettre de s’enrichir en devenant plus productives et en travaillant plus.

En supprimant butalement le statut d’auto-entrepreneur, le gouvernement craint d’enfoncer le clou et d’en faire les frais lors d’élections prochaines. Par ailleurs, n’oublions pas que le gouvernement opère sous l’œil des marchés, de Bruxelles et des organisations internationales telles que le FMI. Il a fait des efforts cosmétiques considérables pour apparaître aux yeux de ces derniers comme économiquement réaliste, et cela semble fonctionner, bien que la dette et les dépenses continuent à augmenter et que la mise en place effective d’un "programme de stabilité" soit remise à demain. Il ne voudrait pas que l’affaire des auto-entrepreneurs soit la goutte d’eau qui ferait déborder le vase, et conduise à ce qu’il soit classé définitivement comme rétrograde et réactionnaire aux yeux des élites économiques mondiales. 

Le statut d'auto-entrepreneur est apprécié pour sa facilité et sa souplesse. Quelles pourraient être les mesures qui pourraient améliorer le statut sans en accentuer les défauts que l'on peut lui trouver ? 

Hervé Novelli : Il y a le sujet de l'accompagnement des auto-entrepreneurs, notamment pour ceux qui se développent et franchissent le seuil du plafond. Les associations doivent se mobiliser, mieux qu'elles ne le font aujourd'hui, avec un vrai soutien des pouvoirs publics. Il y a aussi la question de la formation car nombre d'entre eux cotisent pour elle, mais très peu la suivent faute d'accompagnement.

Je suis aussi très attristé de voir que l'on a interdit aux fonctionnaires de devenir auto-entrepreneurs alors que c'était justement un de mes combats. Le seul rêve de ce gouvernement, c'est d'empêcher les fonctionnaires de créer leur propre activité. On sait que l'un des problèmes majeurs du pays c'est la dépense publique. On avait trouvé un moyen pour que ceux qui ont un projet puissent sortir de la fonction publique pour le mener à bien et on leur interdit. 

Et surtout, ne touchons pas aux seuils ! Cette volonté porte en elle la mort du statut de l'auto-entrepreneur. Et essayons de transférer la simplicité de ce statut à d'autres catégories d'entreprises. Par exemple un des éléments clés qui a fait le succès du statut - l'inscription sur Internet - n'existe toujours pas pour les autres entreprises.

Le statut d'auto-entrepreneur a-t-il finalement une vraie utilité qui lui est propre, ou n'est-il que le pansement sur la complexité juridique de créer une entreprise en France ? 

Hervé Novelli : Je pensais cela au début. Puis, je me suis aperçu que le statut d'auto-entrepreneur est aussi une solution simple et efficace pour faire face à la complexité du droit du travail. Il y a aujourd'hui beaucoup de services qui ne peuvent pas être rendus du fait de contrats de travail inadaptés, je pense aux emplois saisonniers ou irréguliers. Ce statut vient montrer les failles d'un système trop normé, trop complexe, porté par les modalités de la variable travail qui sont archaïques. Le sempiternel débat sur la flexibilité est résolu dans certains secteurs d'activité - sans même qu'on le dise - par ce statut.

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