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Abattoirs : Mais pourquoi y est-il si difficile de faire respecter les normes d’hygiène ?
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Foyers épidémiques ?

Des abattoirs ont été récemment des foyers de nouvelles contaminations au coronavirus en France. D'autres clusters similaires sont apparus dans des pays étrangers comme en Allemagne ou aux Etats-Unis. Comment peut-on l'expliquer ?

Jean-Louis  Lambert

Jean-Louis Lambert

Jean-Louis Lambert est sociologue et économiste, il étude l'évolution des pratiques alimentaires.

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Emilie Jeannin

Emilie Jeannin

Emilie Jeannin est éleveuse de Charolaises en Côte-d'Or à la ferme des Lignières, fondatrice de l'association Le bœuf éthique et membre de la Confédération Paysanne.

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Atlantico.fr : Doit-on être surpris qu'un si grand nombre d'abattoirs, en France mais aussi en Allemagne et aux États-Unis, soient devenus des foyers épidémiques de la Covid19 ? 

Jean-Louis Lambert : Comparativement à des ateliers de textiles ou autres, où il y a les mêmes problèmes de proximité entre les salariés en raison du travail à la chaîne, les abattoirs sont effectivement bien plus touchés. L’atmosphère froide et humide favorise sûrement le développement du virus. C’est notamment le cas pour les salles de découpes. Ces emplois demandent un effort physique non négligeable et nous savons qu’avec les efforts physiques les taux de respiration augmentent et les postillons sont évacués en plus grand nombre. De plus, ces abattoirs sont appelés ainsi depuis qu’on ne les appelles plus « tueries » afin de cacher le fait que l’on tue des animaux et que cela évoque plutôt l’abattage d’arbres. Pour des raisons d’hygiène, mais pas que, ils ont été établis en dehors des villes dans des endroits peu visibles, loin des yeux de la société moderne. À chaque fois qu’il y a des problèmes divers dans ces abattoirs, la population se rappelle au bon souvenir de ces animaux. Lorsqu’il y a eu les problèmes avec la fièvre aphteuse ou autre et que l’on montrait les cadavres cela rappelait encore à la population ce qu’il se passait derrière ces murs. Ces évènements vont possiblement provoquer une baisse de la consommation de viande. Nous savons tellement peu de choses sur ce virus que cela pourrait créer un mouvement de panique. Mais en réalité, le problème n’est pas tant sur le plan sanitaire de la viande car ce sont les salariés qui sont concernés. Leurs conditions de travail ont été dénoncées car elles ne sont pas optimales et favorisent la propagation des maladies entre humains. Lorsque l’on compare la France à d’autres pays nous avons les normes industrielles sanitaires parmi les plus élevées, les vétérinaires sont très présents dans les abattoirs. Le problème vient donc du modèle de production qui ne permet pas aux salariés de respecter les mesures nécessaires à la non-propagation de virus comme celui qui nous préoccupe actuellement. 

Émilie Jeannin : Je ne peux pas dire que je sois surprise. Lorsque l’on concentre beaucoup de travailleurs et beaucoup d’animaux, que l’on fait travailler les employés à un rythme si élevé que certaines étapes en sont supprimées ou baclées, forcément il est permis de douter sur la réalisation des gestes barrières. Est-ce qu'ils avaient à disposition des masques ou des gants ? Du gel hydroalcoolique ? Il est difficile d’en être certain. Malheureusement dans ces abattoirs, personne n’est respecté, les hommes comme les animaux. Lorsque l’on concentre autant de gens dans des usines aussi grandes, avec un rythme de travail effréné, possiblement sans matériel… La question de la formation se pose également. Ce sont des métiers que peu de gens veulent exercer donc ce sont souvent des travailleurs intérimaires qui sont sollicités. Personne ne connait dans son entourage quelqu’un qui travaille dans un abattoir et pour cause, ce sont souvent de la main d’oeuvre étrangère, originaire des pays de l’Est. Ont-ils eu les aménagements nécessaires pour prendre le temps de mettre en place les mesures de protection obligatoires par ces temps de crise ? Pour cela il faudrait au minimum ralentir la cadence… Les gestes sanitaires lorsque l’on tue six bovins par heure, ce qui est le cas dans les petits abattoirs, les gestes nécessaires sont systématiquement pratiqués : le lavage de main entre chaque animal, désinfecter le couteau entre chaque opération, changer ses gants et les mettre correctement, mettre un masque (dans le cas de la Covid-19), mesurer ses gestes y compris les gestes barrières et organiser son travail pour prendre toutes les protections obligatoires. Lorsque l’on tue 80 animaux par heure, forcément toutes ces choses ne peuvent pas être faites. 

Les problèmes aux États-Unis ou en Allemagne relèvent de la même idée. C’est à chaque fois dans ces modèles intensifs là que l’on se retrouve avec des scandales sanitaires. Il y a eu des contaminations sur des steaks hachés avec la Escherichia coli qui ont fait des morts. Lorsque l’on demande à un homme de faire quelque chose qui est matériellement impossible avec sa force physique, il est poussé dans ses retranchements. Les conditions d’hygiène et sanitaires de bases ne peuvent donc pas être réalisées ! Lorsque l’on court un sprint on ne peut pas faire attention à où l’on va poser le pied pour éviter un caillou ! C’est le modèle qui ne va pas. De grosses installations tels que les abattoirs industriels ne peuvent garantir la sécurité sanitaire surtout en temps d’épidémie. Le problème de l’Escherichia coli c’est simplement et uniquement une question de lavage de mains ou de couteau, après avoir touché un élément extérieur comme une bouse par exemple. C’est comme ça que se font les contaminations.

Pourquoi les abattoirs industriels sont-ils si souvent sujet aux scandales sanitaires ? 

Émilie Jeannin : Le phénomène des abattoirs industriels est apparu après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque l’on a voulu devenir une puissance alimentaire et agricole. Le rapport à la productivité est alors devenu très important. Cela ne s’est pas fait tout de suite mais à partir des années 1970, les abattages industriels se sont vraiment intensifiés. Avant, il existait des « tueries » où les bouchers avaient, dans chaque bourgade ou presque, leur salle où ils tuaient les animaux avant de vendre les viandes. Il existait aussi des abattoirs municipaux et tout cela a disparu au fil des années. L’empire Bigard s’est construit là-dessus par exemple, en rachetant à bas coût ces abattoirs municipaux. Les abattoirs industriels posent plusieurs problèmes à nous, les éleveurs. Le premier concerne le doute sur la prise en compte du respect de l’animal lors de sa mise à mort, nous ne sommes jamais totalement sûrs de la manière dont les bêtes vont être traitées. Le deuxième est la traçabilité de la viande une fois sortie des abattoirs, ce sont des lieux plutôt fermés auxquels nous avons relativement peu accès. Enfin, le fait que plus les abattoirs industriels sont importants en taille, plus cela engendre des fautes sanitaires. Cela peut s’entendre dans la mesure où on leur demande de tuer 80 animaux par heure, moins d’une minute par bête, et forcément cela engendre des erreurs, des gestes qui ne sont pas fait correctement. Ce n’est pas qu’ils font mal leur travail mais les conditions dans lesquelles on leur demande de le faire ne permettent pas un travail bien fait. Ces enchaînements sont nocifs autant pour les salariés que pour les animaux et la qualité de la viande. 

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