A quoi ressemblerait une réforme des retraites (vraiment) de droite ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un montage des portraits d'Eric Ciotti, le nouveau dirigeant des Républicains, et de la Première ministre, Elisabeth Borne.
Un montage des portraits d'Eric Ciotti, le nouveau dirigeant des Républicains, et de la Première ministre, Elisabeth Borne.
©THOMAS COEX / AFP - EMMANUEL DUNAND / AFP

Efficace et juste

Le projet de réforme des retraites aurait pu insister davantage sur l’équité entre salariés, en allant beaucoup plus loin sur les régimes spéciaux. Un gouvernement de droite aurait dû défendre l’introduction d’une part de retraite par capitalisation.

Pierre Danon

Pierre Danon

Pierre Danon est un chef d’entreprise français qui a connu une activité internationale soutenue. En France, il a notamment exercé les fonctions suivantes : Directeur Général adjoint de Cap Gemini (2005), Président Directeur Général de Numericable-Completel (2008) et Président du Conseil d’administration de Solocal (2017). Aujourd’hui, il est l’un des principaux actionnaires et Président du Conseil d’administration de ProContact, Centre d’appel pour les PME françaises. Il a toujours été impliqué dans des entreprises à vocation sociale. A l’heure actuelle, il est actionnaire actif dans ProActive Academy, ESS qui a pour mission de rapprocher les jeunes sans emploi des entreprises. De 2014 à 2017, il a été Directeur adjoint de la campagne présidentielle de François Fillon.

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La réforme des retraites aujourd’hui en débat suscite une forte hostilité et une vraie incompréhension. En tout état de cause, elle arrive bien tard, et aurait été sûrement mieux acceptée et comprise si elle était intervenue plus tôt et avait planifié les ajustements nécessaires sur plusieurs décennies. Au lieu de ça, depuis 1993, la France aura dû corriger par décisions successives, partielles et à répétition quelque peu traumatique les dégâts de l’abaissement de la retraite à 60 ans en 1982. L’étape actuelle, quoique incomplète et perfectible, n’en est pas moins nécessaire. Mais quelle aurait été la réforme que la droite aurait pu porter si elle était aujourd’hui au pouvoir ?

La première des valeurs en jeu, avant même le sujet de l’équilibre financier des régimes de retraite, est celle du travail et de son encouragement. Il faut que le travail paie, et que travailler longtemps soit justement récompensé. La hausse du taux d’emploi dans le pays, et sa contribution au ratio cotisants / inactifs, est une exigence non seulement pour financer la retraite, mais aussi les autres régimes sociaux et plus globalement l’ensemble des dépenses publiques. Les prélèvements obligatoires directs – impôt sur le revenu, cotisations et contributions sociales, imposition du patrimoine… – pèsent en effet massivement sur les actifs : augmenter leur nombre, c’est renforcer les finances publiques toutes choses égales par ailleurs, en relevant le PIB/habitant. C’est enclencher un cycle vertueux qui permet de limiter l’endettement et de diminuer le poids des prélèvements par actif, donc de favoriser en retour la croissance. L’écart de plus de 10% du PIB/habitant qui s’est creusé entre l’Allemagne et la France depuis près de 20 ans s’explique par ce différentiel de temps travaillé dans l’ensemble de la population. Voilà le premier et le plus important dividende d’un âge moyen plus tardif de fin d’activité. A cet égard, la réforme aurait pu relever l’âge de départ à la retraite à 65 ans, le standard européen actuel, et prévoir des mécanismes de surcote renforcés, en particulier pour la part complémentaire de la retraite, déterminante pour les cadres.

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Une « réforme de droite » aurait pu également insister davantage sur l’équité entre salariés, en allant beaucoup plus loin sur les régimes spéciaux et leur alignement sur les conditions du régime général des salariés. En commençant par calculer le salaire de référence sur les 25 meilleures années, et non sur les six derniers mois de salaire comme cela prévaut encore dans la fonction publique. La réforme en cours d’examen ne supprime les régimes spéciaux que pour les nouveaux entrants, une « clause de grand-père » sans justification particulière. D’autre part, les catégories « actives » du secteur public continueront de disposer d’âge de départ très avantageux (de 54 à 59 ans), alors qu’il aurait été logique d’appliquer au secteur public la même approche de carrières longues et de critères de pénibilité qui régit l’ensemble des situations des salariés du privé. On est encore loin de l’équité entre salariés, et les avantages de certains continueront d’être financés de facto par la solidarité nationale. C’est double peine pour les salariés du privé qui ont ainsi des conditions de droits à la retraite moins favorables et dont les impôts contribuent à financer les avantages de ces régimes spéciaux.

Un gouvernement de droite aurait dû défendre aussi l’introduction d’une part de retraite en capitalisation. La retraite en capitalisation, avec l’individualisation de l’effort et des droits de chacun, incarne les principes de liberté et de responsabilité, là où la répartition les ignore largement et instille de nombreux transferts entre catégories. La capitalisation répond par ailleurs à la logique d’accumulation de l’épargne au cœur de la théorie classique de la croissance en économie de marché. Au lieu de flux instantanés de prélèvements sur les actifs redistribués aux retraités qui caractérisent la répartition, la capitalisation permet d’accroître considérablement le stock d’épargne dans l’économie, et ainsi de disposer de ressources financières domestiques bien plus importantes au service de l’investissement, par exemple pour alimenter un fonds souverain qui puisse investir dans notre industrie et sa décarbonation.

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Hélas, la France se caractérise par des systèmes de retraite basés en quasi-totalité sur la répartition, l’opposition idéologique à la capitalisation ayant conduit à repousser toute approche d’hybridation des deux mécanismes, qui aurait dû être mise en œuvre dès 1945 pour s’avérer indolore et efficace. Seules, la création du fonds de réserve des retraites et les facultés de retraite par capitalisation des fonctionnaires et des libéraux sur une partie de leurs revenus non soumis à cotisations retraite, ont retenu cette logique d’accumulation, mais pour des montants globalement très faibles en comparaison des quelque 350 milliards de flux annuels des systèmes par répartition. Pour les salariés du privé, il est aujourd’hui très difficile de faire place à la capitalisation compte tenu de la ponction considérable des régimes par répartition sur leurs revenus – autour de 27% des salaires bruts (parts patronale et salariale) … jusqu’à 350 000 euros de revenu annuel ! Or, substituer la capitalisation à la répartition est très complexe en régime de croisière, car il faut continuer de financer les droits acquis au titre de la répartition dans le passé tout en épargnant pour le futur. Cela suppose un cumul de prélèvements sur les revenus inenvisageable compte tenu du taux d’effort déjà demandé au titre de la répartition en France, ou bien un financement par la dette des droits passés, là aussi inimaginable pour de tels montants et compte tenu de la situation des finances publiques du pays. Même s’il est transitoire, ce coût de basculement de la répartition à la capitalisation est un obstacle difficilement surmontable en équité.

La seule voie de passage envisageable dans le contexte français pour tout de même développer la capitalisation, autant que faire se peut, passe par l’abaissement des cotisations AgircArrco. Contrairement aux cotisations aux régimes de base, celles-ci sont purement contributives, dans la même logique que la capitalisation, chaque cotisant se créant un compte individuel de points proportionnel au montant cotisé, et qui sera ensuite valorisé à son seul profit à la retraite. Il n’y a donc pas de mécanisme de transfert vertical dans ces cotisations. Et ce régime, s’il est bien intégré en comptabilité nationale au périmètre du déficit et de la dette des administrations publiques, est en fait totalement étanche des comptes de l’Etat et de la sécurité sociale, et non fongible avec eux. Il dispose aujourd’hui de réserves conséquentes (70 milliards d’euros) et se trouve en situation d’excédents structurels pour les prochaines années, ce que le passage de l’âge légal de départ à 64 ans va encore renforcer. Il aurait donc les moyens de supporter une baisse des cotisations grâce à ses ressources propres, sans accroître d’un seul euro le programme d’endettement des administrations publiques. A titre d’exemple, il pourrait être proposé de réduire d’environ 10% les cotisations à ce régime, soit une baisse comprise entre 1 et 2,5 points de prélèvements sur les salaires bruts de tous les salariés du secteur privé. Cela représenterait une perte brute d’environ 8 milliards d’euros par an pour le régime AgircArrco en première année – une perte transitoire se réduisant au fil du temps, car les droits futurs à payer diminueront également.  Ce montant du salaire brut ainsi libéré pourrait être dédié à la retraite par capitalisation, potentiellement obligatoire pour partie jusqu’à un plafond, afin de faire bénéficier le plus grand nombre d’un compte en capitalisation individuel, mais librement géré par chacun avec le prestataire de son choix et les outils existants, les différentes formes de PER. Ce serait un grand pas en faveur du développement de l’esprit de liberté et de responsabilité en matière de retraite, et conduirait les Français à mieux s’approprier les fruits du développement de leurs entreprises (plus-values et dividendes) auxquels ils seraient désormais largement associés.

Enfin, l’Etat pourrait tirer profit de sa capacité à s’endetter à un taux moyen inférieur au niveau de rendement global des actifs financiers en capitalisant les droits à la retraite de ses nouvelles recrues. Ainsi, il abonderait chaque année une structure dédiée – par exemple le fonds de réserve pour les retraites – du montant des droits futurs créés dans l’année pour ces nouveaux fonctionnaires, et financerait par l’emprunt le même montant destiné à payer les pensions d’aujourd’hui. Le mécanisme pèserait sur le déficit et l’endettement, là aussi de manière transitoire, mais aurait pour contrepartie un montant identique à l’actif de l’Etat, et devant dégager à terme – soit à la liquidation des droits à la retraite – un excédent lié au différentiel de rendement entre le placement de ces sommes et le coût de la dette. Surtout, ce mécanisme permettrait d’accroître considérablement la taille du fonds de réserve pour les retraites, et ainsi de disposer d’un « fonds souverain » français de grande ampleur.

On le voit, si la réforme d’aujourd’hui est nécessaire, il y a une marge de manœuvre importante pour la transformer en vraie réforme de droite aux conséquences structurelles majeures au service de notre développement économique.

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