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A la Trump : et si Mélenchon ou Le Pen étaient élus tout en se comportant comme le président des Etats-Unis, à quoi ressembleraient leurs premiers 100 jours ?
©Capture d'écran / Direct 8

Surprise

Si Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen venaient à créer la surprise en gagnant l'élection présidentielle, il y a fort à parier que les mesures phares de leurs programmes ne s'appliquent pas comme prévu à la manière d'un Donald Trump.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Si les Français venaient à élire un "candidat" surprise comme le fut Donald Trump à l'élection présidentielle, devraient-ils s'attendre à un début de présidence similaire ? Pour rappel, Trump est revenu sur ses positions sur la Syrie, sur la Fed, sur l'Otan, sur la Russie, sur la Chine, sur la Banque d'Import-Export ou encore la CIA. Pourquoi est-ce que Mélenchon ou Le Pen risquent de connaître des sorts similaires s'ils viennent à être élus ?

Jean Petaux : 

Si l'on se penche sur le cas de Jean-Luc Mélenchon, faut-il s'attendre à ce que ces mesures survivent à ces 100 jours ?

- La «refondation démocratique» des traités européens

Jean PetauxCette expression est le type-même de l’argutie rhétorique. Elle n’a aucune espèce de fondement pratique et juridique. Soit la France décide, seule et unilatéralement, de revenir sur l’application des traités qu’elle a signés et ratifiés dans le passé et, dans ce cas, elle s’expose à des sanctions émises par la Commission de Bruxelles (par exemple sur l’application des « règles de modération budgétaire ») soit Jean-Luc Mélenchon remet tout cela dans sa poche et se couche. La « refondation démocratique » aura vécu ce que vivent les roses dans la poésie française. Le poète-candidat littérateur Mélenchon n’aura plus qu’à nous lire du Malherbe dans sa célèbre « Consolation à M. Du Périer » écrite pour le décès de sa fille : « Mais elle était du monde, où les plus belles choses / Ont le pire destin ; / Et rose elle a vécu ce que vivent les roses / L'espace d'un matin ». En l’occurrence, Mélenchon n’ayant pas un amour immodéré pour les « roses » (socialistes) son chagrin sera de courte durée. Il aura enfumé les électeurs et sa refondation démocratique et le « tournant du réalisme » ramènera tout le monde sur terre.

- La formation d'une Assemblée Constituante

Rien dans le texte constitutionnel actuel ne prévoit les conditions de formation d’une nouvelle Assemblée constituante. Pour toute réforme constitutionnelle la règle est très précise. Premier étage de la fusée : vote en termes identiques, à la virgule près, du texte modifiant la constitution par chacune des deux chambres (article 89 de la Constitution), l’Assemblée nationale et le Sénat. Second étage : soit le texte est adopté par référendum soit il est adopté à la majorité des 3/5ème du Congrès (les deux chambres réunies à Versailles. Pour avoir voulu faire passer au forceps sa réforme sur l’élection du président de la République au suffrage universel en octobre 1962 le général de Gaulle contourna le strict article 89 et utilisa l’article 11 portant sur l’organisation des pouvoirs publics et permettant l’usage direct du référendum. Le Conseil constitutionnel (qui n’avait que 4 ans d’âge) se « coucha » alors. Tout porte à croire que dans le contexte politique qui serait de la victoire de Jean-Luc Mélenchon le CC n’accepterait jamais de transgresser d’une telle manière le fonctionnement de notre Constitution. Donc la « Nouvelle Assemblée Constituante », si tant est qu’elle puisse être proposée « au peuple » (le « truc chéri de Mélenchon ») rien n’indique que ses travaux et sa « copie » seraient, in fine, entériné par la « vox populi ». Faut-il rappeler qu’un premier projet de Constitution de la IVème République a été ainsi rejeté par référendum le 5 mai 1946 par 53% des votants alors que la première assemblée constituante, très « à gauche », l’avait adopté le 19 avril 1946 ? Un second texte, présenté par la seconde Assemblée constituante où le MRP était devenu le premier parti fut adopté, quant à lui, 13 octobre suivant. Ce fut le texte de la Constitution de la IVème République.

- L'instauration de la «règle verte»

Aucun problème. Ce genre de pétition de principe ne « mange pas de pain »… S’il existe une majorité parlementaire pour voter ce type de règle, une seule « loi simple » suffit. « Le green washing » est déjà pratiqué par toutes les grandes entreprises les plus cyniques qui existent… La « règle verte » pourra être instaurée de manière très solennelle et en grande « pompe » (à condition qu’elle ne soit pas « à essence » ou « diesel »). Les écologistes essuieront une larme de bonheur furtive. Il s’en trouvera bien une bonne part pour estimer que tout cela n’aura été que « cosmétique ». Ils auront bien raison. Et attendront le prochain coup pour une nouvelle surenchère…

- Le droit de révoquer des élus

 Il n’est pas du tout certain que le Conseil constitutionnel n’annule pas en tout ou partie une loi simple qui prévoirait ce mécanisme. Au motif que seule une élection peut défaire ce qu’une précédente élection a produit comme résultat. En l’espèce c’est la nature-même du régime de la démocratie représentative qui se trouverait changée avec un tel dispositif. L’article 25 de la Constitution de 1958 prévoit, dans son alinéa 1 : « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ». Or l’article 46 de la Constitution qui précise ce qu’il faut entendre par « loi organique » montre bien qu’une telle loi est compliquée dans son adoption. Avec, au passage, une mention spéciale pour les lois organiques portant sur le Sénat qui doivent être adoptées d’abord au Sénat… Une loi qui introduirait le « droit de révocation » des Sénateurs devrait donc être, en première lecture, soumise au Sénat. Faut-il rappeler, là encore, que M. Mélenchon n’aura pas la majorité au Sénat ?... Pour de tels textes le contrôle du Conseil Constitutionnel est strict.. Autrement dit les verrous existent très clairement…

- La séparation des banques

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de « liberté économique » et de « liberté entrepreneuriale » s’est considérablement renforcée depuis 1981 datent des dernières grandes lois de transformation économique qui ont été celles des nationalisations. On peut donc s’attendre à ce que le CC soit très vigilant sur la conformité des lois économiques visant à réglementer ou à interdire l’intervention de tel ou tel type de banques (banques de dépôts ou banque d’affaire) dans telle ou telle activité économique ou financière. Sans parler du « suivi » européen qui ne manquera pas de s’exercer au niveau de la Cour de Justice européenne de Luxembourg sur les principes de l’UE à savoir la libre entreprise, la libre circulation des biens et des capitaux entre les Etats-membres évidemment mais aussi au sein-même des Etats.

Si l'on se penche sur le cas de Marine Le Pen, faut-il s'attendre à ce que ces mesures survivent à ces 100 jours ?

- Suspension des accords de Schengen et un rétablissement du contrôle aux frontières

La France peut, unilatéralement, suspendre l’application d’un accord international et rétablir le contrôle aux frontières. De l’avis unanime des spécialistes des questions migratoires non seulement ce genre de mesures n’a aucun effet durable et véritable mais, c’est évidemment lié, est d’une très grande complexité matérielle à mettre en œuvre dans un délai court. Tout simplement parce que, de facto, les « frontières » n’existent plus par exemple entre la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne pour ne citer que ces trois Etats européens voisins de la France. Mais, une fois encore, Marine Le Pen fera de la mousse avec une mesure symbolique qui aura un double effet : 1°) faire hurler les associations de gauche qui crieront, d’une seule voix, au crime contre l’humanité et 2°) montrer à ses supporters, champions toutes catégories de l’ignorance et de la bêtise crasse que leur championne dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit… Même si cela ne sert à rien…

- Expulsion de tous les fichés S étrangers et la mise en oeuvre de l'article 411-4 du code pénal pour déchoir de nationalité et interdire de territoire les binationaux convaincus de liens avec le jihadisme

Tous les recours juridiques aussi bien la saisine du Conseil Constitutionnel par 60 parlementaires ou les recours auprès des tribunaux administratives pour excès de pouvoir trouveront matière à s’exercer ici. La question n’est pas, là non plus, l’efficacité de ce type de mesures (elle est nulle bien évidemment face à la volonté de « se faire sauter » propre à tout kamikaze djihadiste), elle est celle de la faisabilité juridique de telles dispositions. Une des règles internationales qui s’imposent à la France est celle qui concerne tous les Etats membres de l’ONU : l’interdiction de créer des apatrides. Cette obligation a été posée postérieurement à la Seconde guerre mondiale. La déchéance de nationalité ne peut donc être adoptée que dans le cadre d’une révision constitutionnelle (on a vu ce qu’il en a été en décembre 2015-janvier 2016 : impossibilité formelle au Parlement) et encore faudra-t-il que cette disposition n’entre pas en conflit avec les engagements internationaux de la France. Même si Marine Le Pen dispose d’une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale en cas de victoire, pour elle, à la présidentielle, elle n’aura pas la majorité sénatoriale ce qui bloquera le texte au niveau du premier étage de la révision. Et il y a fort parier que même élue à l’Elysée elle n’aura pas, non plus, de majorité parlementaire à l’Assemblée…

- Supprimer le droit du sol

Cette disposition n’est pas constitutionnelle. Elle peut donc s’appliquer par une réforme législative du Code de la nationalité. A condition d’avoir la majorité parlementaire adéquate

- Référendum sur la peine de mort

La France en ratifiant la Convention Européenne des Droits de l’Homme abolissant la peine de mort  a signé un traité international. Ce traite s’impose au corps de normes juridiques nationales. Depuis le début des années 2000 l’abolition (ou l’application d’un moratoire suspendant la pratique des exécutions : cas de la Russie) est une condition sine qua non pour adhérer au Conseil de l’Europe. L’adhésion à l’UE se fait aussi à condition de renoncer à la peine de mort. La proposition de Marine Le Pen n’a donc absolument aucun sens  car elle reviendrait à « sortir » la France des deux organisations européennes qu’elle a contribué à fonder : le Conseil de l’Europe par le traité de Londres du 5 mai 1949 et l’Union Européenne par le traité de Rome le 25 mars 1957, prolongée évidemment par les traités successifs : Maastricht 1992 et Lisbonne en 2009…

- Organisation d'un référendum sur une grande réforme institutionnelle pour introduire, entre autres, la proportionnelle, le référendum d'initiative populaire, la priorité nationale, "la défense de notre identité de peuple et de notre patrimoine historique et culturel" et la baisse du nombre de députés et sénateurs

La constitution de 1958, même modifiée pour l’extension de la procédure référendaire (révision de l’article 11) ne prévoit pas que ce genre de réforme institutionnelle (celle dont Marine Le Pen a l’ambition) soit tranchée par la voie référendaire. Il faudra donc passer obligatoirement par l’article 89 portant sur les conditions de révision de la Constitution du 4 octobre 1958. On peut faire confiance au Conseil Constitutionnel pour être particulièrement sourcilleux sur les fondements juridiques et constitutionnels des premiers actes de Madame Le Pen, nouvelle présidente de la République. On peut aussi imaginer que cette dernière « joue le peuple contre le droit ». Ce qui lui ressemblerait bien. Et qu’elle tente le « passage en force » par un référendum imposé, « limite » d’un strict point de vue constitutionnel. Le risque politique serait grand alors pour elle que le « non » l’emporte et qu’elle réifie ainsi le fait que son élection  n’aura tenu qu’à une seule raison : l’incapacité de son adversaire du second tour (je ne me risquerai pas à imaginer son identité) à rassembler sur son propre nom les voix « anti-Le Pen ». Minoritaire (au regard du corps électoral car l’abstention et surtout les bulletins blancs et nuls atteindront un niveau considérable) elle aura alors été élue à l’Elysée, minoritaire elle ressortira ensuite d’un référendum qui se caractérisera par l’opportunité de voter « anti-Le Pen » lors d’un « troisième tour ». D’autant que celles et ceux qui auront manqué la sanction du second tour de la présidentielle, le 7 mai, auront droit à une « session de rattrapage ».  

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