À la recherche des électeurs perdus : qui pourrait être le François Ruffin de la droite ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Interrogé sur les mesures sociétales, le député de la Somme a estimé que "le cœur du sujet c’est le travail, le partage des richesses. Il faut de l’apaisement, dans ce cadre-là il ne faudra pas faire tout ce qui nous passe par la tête”.
Interrogé sur les mesures sociétales, le député de la Somme a estimé que "le cœur du sujet c’est le travail, le partage des richesses. Il faut de l’apaisement, dans ce cadre-là il ne faudra pas faire tout ce qui nous passe par la tête”.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Stratégie payante ?

Au sein de la NUPES et de LFI, François Ruffin se démarque. Il l’a encore montré dans une interview à France info. Interrogé sur les mesures sociétales, le député de la Somme a estimé que "le cœur du sujet c’est le travail, le partage des richesses. Il faut de l’apaisement, dans ce cadre-là il ne faudra pas faire tout ce qui nous passe par la tête”.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Au sein de la NUPES et de LFI, François Ruffin se démarque. Il l’a encore montré dans une interview à France info. Interrogé sur les mesures sociétales, le député de la Somme a estimé que "le cœur du sujet c’est le travail, le partage des richesses. Il faut de l’apaisement, dans ce cadre-là il ne faudra pas faire tout ce qui nous passe par la tête”. Des propos qu'il a ensuite nuancés sur Twitter. Il a également déclaré : "La gauche doit rassurer, on doit parler à tout le pays et pas seulement à sa 'fanbase'. Il y a des gens qui ne votent pas pour vous mais ils ne doivent pas vous voir comme des adversaires".  Il a aussi récemment lancé une campagne de levée de fonds. Que cherche à faire François Ruffin ? Est-ce une bonne stratégie ?

Bruno Cautrès : François Ruffin, depuis plusieurs mois, cherche à incarner une solution à gauche. Si la NUPES est une alliance politique récente, elle réunit des formations politiques qui se pratiquent entre elles depuis très longtemps. Tous les partenaires de la NUPES connaissent donc à la fois les logiques d’union et de désunion à gauche. Or, des signes de désunion apparaissent, au-delà de la question des listes pour les élections européennes. En exprimant une volonté d’autonomie par rapport à la FI et à la NUPES, par la collecte de fonds et l’affirmation d’une ligne d’union de la gauche, François Ruffin entend prendre date. N’oublions pas que les électeurs et sympathisants de toute la gauche ont une profonde lassitude des désunions et sont très fortement en soutien des initiatives d’unité de la gauche : ainsi, lors de la présidentielle 2022, l’épisode « primaire populaire » et Christiane Taubira a bien montré cette demande d’unité. Par ses récentes déclarations, le message principal de François Ruffin c’était de dire : « arrêtons de regarder dans le rétroviseur les divisions du passé et retrouvons-nous autour de nos valeurs communes, celles qui unissent les gauches depuis toujours : justice sociale, lutte pour l’égalité, transformations sociales ». Il a cité Jaurès, Mitterrand (mais pas Hollande…). François Ruffin a sans doute compris que le discours politique autour de la dichotomie amis/ennemis est aujourd’hui en peine et que beaucoup d’électeurs ne se retrouvent plus dans l’idée qu’il y a la vérité d’un côté et l’erreur de l’autre, d’où l’idée de ne pas parler simplement à sa « fanbase ». A cet égard, il cultive un style différent, voire très différent, de celui de Jean-Luc Mélenchon dont l’image est beaucoup plus clivante. François Ruffin dispose d’une image assez positive dans l’opinion : sa communication est basée sur un modèle simple et efficace, le mélange de simplicité, sincérité et d’une sémantique faite de mots qui parlent au cœur. C’est un de ses meilleurs atouts.

Maxime Tandonnet : Il est difficile de savoir si c’est une bonne stratégie pour lui et son parti. Mais en tout cas, il a des mots justes, rares dans la classe politique française : apaisement, stabilité, passerelles, réconciliation. Des mots qu’on aimerait entendre plus souvent. Il prend acte de l’extrême fracturation de la politique française entre trois blocs grosso modo : Nupes à gauche, RN à droite et macronisme au milieu avec le concours sporadique de la droite LR. Plus la politique est impuissante à améliorer la vie des Français, plus elle se radicalise et sombre dans la haine. Sans se prononcer sur la sincérité des paroles de M. Ruffin, il est clair que les mots qu’il a utilisés sont de simple bon sens. Son appel à l’apaisement voire à la réconciliation des Français est particulièrement opportun. On peut imaginer que ces déclarations sont effectivement dictées par un calcul et une ambition personnelle, notamment présidentielle. Pour atteindre 50% des voix, il faut s’adresser à une large frange de l’opinion. Mais quoi qu’il en soit, ce sont des paroles rafraîchissantes par rapport au contexte de mépris et d’hystérie haineuse qui domine la vie publique française.

La droite LR gagnerait-elle à voir émerger une figure similaire capable notamment de se montrer transgressif par rapport à son parti et à chercher à (re)conquérir un électorat ainsi ?

Bruno Cautrès : Après le retrait d’Emmanuel Macron, en 2027, il ne faut pas croire que l’on reviendrait mécaniquement à la politique « à l’ancienne ». La trajectoire d’Emmanuel Macron, élu Président à l’âge de 39 ans et sans assise idéologique bien précise, laissera une marque dans notre vie politique qui ne pourra pas revenir au modèle d’avant comme cela, simplement par un effet de balancier. La question de la « transgressivité » est une question complexe car dans le « trangressisme » il y a potentiellement l’idée de la « triangulation », aller prendre des thèmes dans le répertoire du camp d’en face. Or, pour les LR la question fondamentale demeure celle se savoir qui est, aujourd’hui, leur camp d’en face : la NUPES et/ou le RN ? ou alors le macronisme ? C’est la question fondamentalement posée pour les LR et leur capacité à se transcender pour la présidentielle, c’est-à-dire aller chercher des électeurs au-delà du carré des fidèles mais qui est aujourd’hui une portion congrue de leur électorat passé.

Maxime Tandonnet : Bien sûr. Il est regrettable que la droite ne sache plus tenir ce genre de discours populaire de réconciliation des Français. Nous vivons une période dramatique où la fracture démocratique touche à son paroxysme. 80% des Français ont perdu confiance en la parole politique selon CEVIPOF. L’abstentionnisme a atteint 54% aux dernières législatives. La vie politique donne une image détestable entre d’une part les dirigeants au pouvoir qui incarnent l’arrogance intouchable et d’autre part les gesticulations désordonnées des oppositions à l’Assemblée nationale. La droite LR gagnerait à tenir un discours de dépassement des clivages et de réconciliation. Ces derniers temps, elle a fait tout le contraire. Par son soutien au report de l’âge du départ à la retraite à 64 ans, elle a donné le sentiment de choisir le camp du président Macron contre la Nation profondément hostile à une réforme considérée comme inutile et injuste. Elle a cautionné une accumulation vertigineuse de manœuvres pour imposer cette réforme au pays, sans débat ni vote démocratique. Elle a ainsi tourné le dos au peuple.

Qui pourrait être le François Ruffin de la droite ? Y a-t-il actuellement au sein de LR des figures susceptibles d’incarner ce rôle ?

Bruno Cautrès : La comparaison est audacieuse… le « Ruffin de la droite » ….En tout cas, cela pourrait être reformulé comme la question de savoir qui, aujourd’hui, à droite pourrait prendre la parole pour abattre ses cartes, proposer un grande alliance des droites comme F. Ruffin vient de le faire pour la gauche. Il y a une différence importante entre les deux démarches : d’une part, l’union des gauches comprend des formations politiques qui ont déjà gouverné ensemble (PS,PC, écologistes) ou qui siègent déjà ensemble dans des assemblées locales, municipales notamment (PS,PC, écologistes, Insoumis) ; d’autre part, ces formations politiques sont déjà dans une alliance, la NUPES, après d’autres expériences historiques d’union de la gauche. Or, rien de tel à droite : les dernières alliances de la droite ne concernaient que les « néo-gaullistes » du RPR puis UMP et les « libéraux-centristes » de l’UDF et de ses alliés. Ces alliances ne comprenaient pas le RN et elles ont existé dans le monde d’avant le macronisme. C’est là le tour de la force de la NUPES, en tout cas pour le moment : être parvenu à recréer un espace politique qui permet de renouer les liens à gauche pendant le macronisme et de se projeter dans l’après. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions « centrifuges » bien entendu et l’on sait que la gouvernance de la NUPES et les rapports entre FI et ses partenaires ne sont pas toujours simples. Mais pour la droite c’est le problème inverse, il lui faut trouver le projet « centripète », l’énergie qui ramène vers les différentes forces vers l’unité. Et là se pose la question de la direction idéologique de ce mouvement « centripète » : à droite toute ? au centre ?  Ce qui est sûr c’est que la droite devrait davantage mettre sur la table son socle programmatique au plan économique et au plan des valeurs, sans surinvestir les questions de tactique politique et électorale.

Maxime Tandonnet : Quelques rares personnalités de droite ou du centre ont compris que la priorité absolue de la France actuelle (à l’image des propos de M. Ruffin), était de chercher la voie d’une réconciliation des Français et d’un retour à la confiance dans un contexte d’impuissance des politiques et de radicalisation des passions. Nous avons un président et une équipe au pouvoir et ses alliés qui ne cessent de jeter de l’huile sur le feu. Songeons aux provocations, « qu’ils viennent me chercher », « ceux qui ne sont rien », ou « j’ai très envie d’emmerder les non vaccinés ». L’adoption au forceps de cette réforme absurde des 64 ans est aussi une manifestation presque caricaturale du principe d’arrogance. A l’opposé, M. Charles de Courson (sans être LR) a voulu incarner avec son groupe Liot et quelques frondeurs de LR, une sensibilité populaire ou sociale et une voie de réconciliation. Le déchaînement de moqueries et d’insultes dont il fait l’objet de la part de la classe politique bien-pensante pour avoir été le porte-parole d’une sensibilité populaire, donne le vertige.

Quand on regarde les prises de positions de François-Xavier Bellamy sur l’Europe, de David Lisnard sur le libéralisme ou d’Aurélien Pradié sur le social, cela pourrait-il être une ébauche ?

Bruno Cautrès : Tout dépend quel est l’objectif : fédérer les droites et leur redonner de l’unité ou gagner la prochaine présidentielle ? Pour le premier objectif, on voit que les positions exprimées par ces différentes sensibilités de droite convergent pas mal : sur la question de l’immigration, la politique migratoire européenne que ses personnalités politiques veulent redéfinir quitte à un bras de fer avec l’Allemagne, mais aussi sur la question des dépenses publiques, des impôts, du périmètre de l’Etat et de la nouvelle gouvernance Etat-collectivités territoriales. David Lisnard est très en pointe sur cette dernière question et c’est un peu sa marque de fabrique. François-Xavier Bellamy a marqué par son débat vigoureux récent avec le chancelier allemand. Aurélien Pradié a maintenu sa balise « néo-gaulliste » sur son opposition à la réforme des retraites. La combinatoire des trois approches peut plaire à des sympathisants de droite, c’est certain. Mais cela permettra t’il de rattraper les électeurs de centre-droit qui ont adopté le macronisme ?

Pour le second objectif, c’est là que cela se complique… Vouloir convaincre une majorité d’électrices et d’électeurs que l’Etat doit se concentrer sur le régalien, c’est aller vite en besogne. N’est-ce pas ignorer une particularité française fondamentale ? : le régalien, pour les Français, ce n’est pas seulement la sécurité, la justice ou les institutions, c’est aussi l’action publique au sens large du terme, y compris dans ses dimensions d’Etat-protecteur social. Une autre particularité française est notre attachement à l’unicité de l’Etat, notamment dans sa dimension territoriale. Avec les questions climatiques, l’épineuse questions de l’eau, les questions énergétiques, les défis mondiaux qui vont arriver dans un monde de plus en plus concurrentiel avec les nouvelles puissances, l’Etat devra faire face à des crises majeures dans les décennies qui arrivent. Pour le moment, on ne constate pas dans l’opinion, une profonde aspiration à voir l’Etat protecteur (y compris au sens social) réduire la voilure. Même parmi les « libéraux », on reconnait que sans la puissance budgétaire de l’Etat, davantage d’emplois auraient été supprimés et davantage d’entreprises fermées pendant et après le Covid. C’est en fait davantage la question de l’efficacité de l’action publique qui est l’enjeu aujourd’hui. Des entrepreneurs ont été sauvés en recevant très vite les aides, par contre il y a eu des victimes parmi ceux qui n’étaient pas éligibles ou ceux qui ont pris de plein fouet le choc énergétique et n’ont pas été rapidement aidés.

Maxime Tandonnet : Il faut distinguer deux choses. D’une part, la pratique du buzz fait partie des outils politiques modernes. Elle consiste à lancer une petite phrase explosive contre son camp pour faire parler de soi dans les médias. Emmanuel Macron fut un champion dans cet exercice quand il critiquait par exemple les 35 heures, vache sacrée du parti socialiste, en 2015. L’idée est de choquer pour forcer l’attention. M. Ciotti (LR) s’y est essayé récemment en voulant « placardiser » le nom des personnes interpellées pour trafic de drogue.  La limite de cet exercice tient dans sa banalisation : les coups de communication sont tellement nombreux qu’ils finissent par ne plus leurrer personne. D’autre part, la volonté d’explorer de nouveaux projets, de nouvelles idées en profondeur est une issue évidente à la crise du politique. Les trois personnes que vous venez de citer correspondent en effet à cette démarche de transgression. (M. David Lisnard ferait mieux de parler de liberté plutôt que de libéralisme – un mot mal connoté en France). Mais il me semble qu’il leur manque à tous les trois encore quelque chose : ils ne me paraissent pas avoir encore trouvé les paroles de l’apaisement, de la réconciliation de de la main tendue au peuple dans son ensemble, du retour à la crédibilité, à la confiance en la démocratie par-delà les clivages. 

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