À la conquête des électeurs de droite ! Attal, Philippe, Darmanin, Le Maire : le match des héritiers de la Macronie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Education Gabriel Attal et celui de l'Intérieur Gérald Darmanin.
Le ministre de l'Education Gabriel Attal et celui de l'Intérieur Gérald Darmanin.
©Raphael Lafargue / POOL / AFP

Course de fond

Trois d’entre eux sont venus de la droite, un de la gauche. Et si c’était ce dernier qui savait mieux y faire…?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Frédéric Micheau

Frédéric Micheau

Directeur général adjoint d'OpinionWay et enseignant à Sciences Po, Frédéric Micheau est spécialiste des études d'opinion. Il est l'auteur, au Cerf, de La Prophétie électorale.

 

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Atlantico : Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Édouard Philippe. Comment se positionnent ces personnalités (chacune à leur manière) pour séduire les électeurs de droite ?

Christophe Boutin : Quatre hommes, quatre styles. Commençons par Édouard Philippe, qui a le triple avantage de diriger une grande ville, et donc d’avoir des connaissances et des réseaux d’élu local, d’avoir été Premier ministre, même si le passage par Matignon n’a pas toujours été un gage de réussite pour l’Élysée, et de s’être distancé, volontairement ou pas, d’Emmanuel Macron, ce qui peut lui éviter de sombrer avec l’ensemble de la « macronie » si la situation de la France ne s’améliore pas dans les prochaines années. Il fait entendre depuis sa différence, a toujours rappelé qu’il reste « de droite », et dispose de sa propre formation politique, Horizons, ce qui est là aussi un avantage non négligeable. 

Les deux autres transfuges de la droite, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, ne bénéficient pas de ces deux avantages de disposer de leur propre formation politique, d’une part, et d’être éloignés des affaires pour prendre de la distance d’avec le pouvoir d’Emmanuel Macron d’autre part. Mais ils estiment, c’est un autre choix, que dans leurs deux fonctions respectives, ministre de l’Intérieur et Grand argentier, ils vont satisfaire le mieux possible non seulement la frange de droite de la majorité présidentielle, mais au-delà, et ce non pas par des actions partisanes à la Chambre, mais par la politique qu’ils auront menée au quotidien, l’un sur les taux d’intérêts, l’autre sur les taux de reconduite à la frontière. En ce sens, si Édouard Philippe bénéficie de l’avantage, en quelque sorte, de cette distance qui fait que l’on a un peu oublié ce qu’il a fait – ou pas - quand il était aux affaires, ce ne sera donc pas le cas de Gérald Darmanin et de Bruno Le Maire, qui pourraient bien être jugés sur pièces, sur leur bilan à ces deux postes clefs que sont le Budget et l’Intérieur et non pas uniquement sur leurs déclarations plus ou moins tonitruantes. 

Gabriel Attal enfin, venu lui de la gauche - si tant est qu’il ait des convictions politiques - entend bien lui aussi utiliser son poste de ministre chargé de l’Éducation nationale pour envoyer des signaux très clairs à une droite culturellement traumatisée par l’effondrement complet de ce domaine d’action de l’État, dont le dernier classement Pisa vient de nous apporter une nouvelle confirmation. Se positionnant sur le strict respect de la laïcité dans l’enceinte scolaire, envisageant l’uniforme à l’école, le redoublement, et peut-être, mais comme tant de ses prédécesseurs, le célèbre « retour aux fondamentaux », Gabriel Attal ne peut que séduire une frange de droite de l’électorat qui avait été moins sensible au passage de Pap Ndiaye au même ministère. 

Pour autant, là aussi, la question se posera nécessairement un jour des résultats effectifs de cette politique. Gabriel Attal, mais pas plus pas moins que Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, aura alors bien sûr toute faculté pour expliquer que Rome ne s’est pas faite en un jour, et que rétablir en France la sécurité, l’éducation ou les finances est un travail de Sisyphe. Mais il n’en reste pas moins que si les Français ont l’impression que, dans tous ces cas, il ne s’agissait en fait que de gesticulations médiatiques, et que les chiffres ne montrent aucune véritable évolution, cela ne sera pas sans poser un problème de crédibilité et donc de légitimité politique.

Frédéric Micheau : Tous ont droitisé leurs discours, comme l’atteste cette semaine encore l'exemple des annonces de Bruno Le Maire sur la dette. Les questions de dette, de déficit et de rigueur financière dans les comptes publics sont une attente forte de l'électorat de droite traditionnelle. Quand Édouard Philippe dit qu'il faudrait renégocier les accords avec l'Algérie de 1968, là aussi, c'est avec la volonté d'envoyer un signal à l'électorat de droite. Un signal de fermeté sur les questions migratoires. Gérald Darmanin, alors qu’il recherche un consensus autour de sa loi sur l'immigration, cherche à parler à la droite. Enfin, Gabriel Attal a compris que c'était sans doute auprès de cette partie de l'électorat plus qu'à gauche qu'il fallait être crédible. Mais la difficulté, c'est la pléthore de candidats en lutte pour tenter de séduire le même segment électoral et qui partagent peu ou prou la même stratégie : récupérer l’électorat de la majorité actuelle, qui est plutôt centre droit, et l'élargir vers la droite traditionnelle tout en repoussant la droite extrême.

Dans sa communication et les thèmes politiques qu'il met en avant, Gabriel Attal est-il très habile vis à vis de l'électorat de la droite républicaine ? Lui qui vient de la gauche, pourquoi cette opération séduction ? 

Christophe Boutin : Mais parce que Gabriel Attal est avant tout un communiquant. Il a été à l’École alsacienne un passionné de théâtre - comme d’ailleurs son maître, Emmanuel Macron, l’a été lui aussi en son temps, avec une excellente professeure en la matière. Attal bénéficie d’un physique de jeune premier, semble porté par une dynamique dont les médias se plaisent à rendre compte, ne fait pas ou peu de fautes de communication, évite les polémiques qui ne lui rapportent pas directement des voix, et sait qu’il aura besoin de celles d’une partie de la droite s’il veut accéder aux honneurs. Il utilise donc pour forger son image toutes les armes que lui offre l’actualité, réagissant à la fois rapidement, clairement et de manière symboliquement forte – piochant d’ailleurs sans vergogne dans ce qu’avait pu proposer en son temps Jean-Michel Blanquer.

La vraie question est celle du passage des déclarations aux réalisations. Produit de l’entre-soi d’une école privée élitiste – et pour cela de grande qualité - Gabriel Attal n’a sans doute pas tout à fait les codes pour comprendre le fonctionnement ou l’ambiance d’une partie des établissements scolaires français actuels, et cela peut se retourner contre lui. Imaginons en effet qu’une forte opposition se manifeste contre ses mesures, non pas tant d’ailleurs au niveau des syndicats enseignants, quoique, mais aussi des élèves, au quotidien : on voit mal comment il pourrait y répondre. Imposer le port de l’uniforme à l’École alsacienne ne pose sans doute pas de problèmes, mais au lycée Salvador Allende ou Rosa Parks, cela risque d’être plus sportif – quand c’est pourtant là qu’il serait utile. 

Frédéric Micheau : Il faut d'abord noter une prise de poste ministérielle qui a été très favorablement vue par l'opinion. Gabriel Attal a sans doute aussi bénéficié du contraste avec son prédécesseur qui était l'incarnation d'une figure repoussoir pour les sympathisants de droite : Pap N’Diaye était perçue par eux comme un ardent promoteur du wokisme, ce qui est évidemment aux antipodes de ses valeurs. Le fait simplement d'avoir un ministre qui est sur une ligne différente et plus traditionnelle favorise mécaniquement une approbation, une écoute plus large de la part de l'électorat de droite. Les positions qui ont été prises par le nouveau ministre, les décisions qui ont été annoncées rencontrent plutôt l'assentiment de la droite. Normalement, cela devrait se traduire au moins par une appréciation de son image auprès de ces électeurs. Est- ce que ce sera suffisant pour bâtir une éventuelle candidature de Gabriel Attal en 2027 ? Il est encore trop tôt pour le dire. Lui aussi, il devra expliquer son itinéraire politique. Venir de la gauche, avoir été conseiller ministérielle sous François Hollande puis secrétaire d'État et ministre sous le quinquennat d'Emmanuel Macron suscitera a minima une forme de doute ou d'interrogation pour les électeurs de droite. Même si son discours et ses propositions peuvent leur plaire par ailleurs.

Il aura un bilan lui aussi ?

Frédéric Micheau : Tous vont être comptables du bilan des deux quinquennats puisque tous sont ou ont été associés d'une manière ou d'une autre à Emmanuel Macron. Attal, Darmanin, Le Maire, Philippe : ce sont eux qui ont fait élire Macron. Édouard Philippe a été Premier ministre. Il n'a pas pris que des bonnes décisions. Même s'il est sorti du gouvernement avec une popularité très élevée en raison de sa gestion du Covid, on oublie un peu vite qu'il est à l'origine de la crise des gilets jaunes. Gérald Darmanin est une figure qui est clivante. Gabriel Attal émerge seulement dans l'opinion publique. C’est une figure de premier plan, mais depuis quelques mois seulement. Ils seront tous, à un moment donné, amenés à justifier ce qu'ils ont fait au pouvoir.

Le Maire, Philippe, Darmanin ont quitté les rangs des Républicains en 2017 pour rejoindre Emmanuel Macron lors de sa conquête de l'Élysée. Gabriel Attal peut-il en profiter ? Les électeurs de la droite républicaine peuvent-ils leur pardonner ? 

Frédéric Micheau : Aujourd'hui, non. Cette partie de l'électorat de droite reste fidèle aux Républicains. Il y a un attachement qui s’est créée après le traumatisme de l’élection présidentielle de 2017 et la catastrophe électorale de ne pas passer la barre des 5 % en 2022. Cet attachement est l'inverse des défections qui ont été effectuées par Le Maire, Philippe et Darmanin. Les électeurs des Républicains ne sont pas encore prêts à pardonner. Ces défections, vécues comme des trahisons, constituent même un point de contentieux très vif. A droite, la fidélité aux idées est très profonde. Un retournement d’image pour ces trois personnalités n’est cependant pas impossible. L’exemple le plus éclatant dans l’histoire de la droite, c’est celui de Nicolas Sarkozy : considéré comme un traître balladurien par tous les chiraquiens après l’élection présidentielle de 1995, il va connaître une traversée du désert au cours de laquelle il a su se réinventer pour devenir le champion de la droite. 

Christophe Boutin : À partir du moment où les électeurs de droite, ou certains d’entre eux, ont visiblement pardonné à Nicolas Sarkozy - pour n’évoquer que pour mémoire le cas de Jacques Chirac -, il est permis de penser qu’ils ne sont pas à une couleuvre près, et que la traîtrise n’est pas quelque chose qui leur semble totalement rédhibitoire quand ils font un choix politique. Par ailleurs, ils auront sans doute plus tendance, comme nous le disions, à juger Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire sur leurs résultats que sur le fait qu’ils aient à un moment ou un ou à autre, de plus en plus lointain d’ailleurs, quitté les Républicains… dont le nombre d’électeurs s’est réduit comme une peau de chagrin au fil des dernières élections. Bruno Lemaire, Édouard Philippe ou Gérald Darmanin auront besoin de bien d’autres appuis pour parvenir au pouvoir.

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