70ème anniversaire de la mort de Roosevelt : petit rappel à ceux qui croient que c’est le New Deal qui a sauvé l’économie américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain Francklin Roosevelt.
L'ancien président américain Francklin Roosevelt.
©DR

Flashback

Le quadruple président des Etats-Unis, Franklin Roosevelt, est mort le 12 avril 1945 à l'âge de 63 ans d'une hémorragie cérébrale. Au cours des années 1930, il a engagé le spectaculaire redressement économique de son pays.

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : 70 ans après la mort du 32ème président des Etats-Unis Franklin Roosevelt, on retient principalement de son héritage le New Deal, cette grande campagne d'investissement public et de modernisation industrielle qu'il a lancée en 1933. Quelle part de la reprise économique américaine peut-on lui attribuer? Quels en ont été les effets ?

Jean-Marc Daniel : La politique menée par Roosevelt avait plusieurs axes : un volet agricole dont l’objectif était d’éviter la poursuite de la chute des prix dans un pays dont un tiers des emplois était encore des emplois agricoles ; un volet monétaire qui reposait sur la dévaluation du dollar par rapport à l’or, dont l’objectif était plus d’augmenter la masse monétaire que de trouver des débouchés à l’exportation ; un volet bancaire dont le « Glass/Steagall act » est devenu l’élément le plus célèbre ; et un plan de grands travaux financés par déficit budgétaire. On parlait déjà à cette époque « d’investissements d’avenir »

Sur cette dimension de l’action de Roosevelt, le bilan le plus sûr est probablement celui-ci fait par son secrétaire au Trésor et ami de longue date, Henry Morgenthau.  Celui-ci s’est  vite persuadé que le déficit budgétaire conduisait à ce que les économistes appellent un "effet d'éviction", c'est-à-dire à une hausse des taux d'intérêt qui pénalise l'investissement privé. On parle d’ailleurs à l’époque à la gauche du parti démocrate de « grève du capital » pour dénoncer la baisse des investissements privés sans voir que cette baisse  est liée à l’augmentation des dépenses publiques.

Après la réélection de Roosevelt en 1936, Morgenthau propose de revenir à l'équilibre budgétaire. Il argumente en mettant en avant un taux d'endettement public de 40 % du produit intérieur brut (PIB) et le fait que, réélu, le président doit désormais mener sa politique en songeant aux générations futures. Dans un discours célèbre, prononcé le 10 novembre 1937 devant l'Academy of Political Science, il déclare notamment: « Nous avons essayé de dépenser le plus d'argent possible pour lutter contre la crise. Résultat, aujourd'hui, nous avons le même taux de chômage qu'au moment de notre arrivée au pouvoir, mais avec une énorme dette en plus » !!

La dépression de 1937 n'a-t-elle pas montré ses limites ?

Quand Morgenthau tient ses propos, la situation est en effet en train de se détériorer à nouveau. Keynes écrit d’ailleurs début 1938 à Roosevelt pour qu’il augmente les dépenses publiques et poursuive la politique de relance. Mais Roosevelt s’y refuse, ayant des doutes certains sur la pertinence des remèdes que Keynes propose. A la même époque, le directeur du Trésor anglais, un économiste très célèbre qui s’appelle Ralph Hawtrey, ironise sur les politiques de grands travaux en disant que tous les chômeurs n’ont pas une formation de maçons ou d’ouvriers du BTP. Pour lui, la relance viendra de l’investissement privé et il considère qu’au lieu de chercher à contrarier l’activité bancaire, l’administration Roosevelt aurait dû tout faire pour relancer le crédit privé.

Pour autant, l'impact de la guerre n'a-t-il pas été encore plus important dans la relance de l'industrie du pays ?

La guerre a favorisé à court terme les industries d’armement, et à moyen terme fait disparaître les principaux concurrents des Etats-Unis (Allemagne, Japon et d’une certaine façon Royaume-Uni). En outre, elle a augmenté les effectifs de l’armée, ce qui s’est traduit par une baisse du chômage par créations d’emplois publics. Mais elle a eu des conséquences négatives énormes (inflation, perte de débouchés à l’export avec la ruine de l’Europe, pertes humaines…). La sortie de crise pacifique de la fin du XIXe siècle (la « Belle époque ») après le krach financier de 1873 s’était faite sur l’arrivée de nouvelles innovations comme l’automobile et l’électricité ; et elle a été plus favorable que la guerre de 1941/1945 pour les Etats-Unis (comme évidemment pour l’Europe)

Quels bénéfices le tissu économique américain a-t-il pu tirer de l'engagement des Etats-Unis dans la guerre ?

A mon avis, le seul bénéfice durable a été une accélération de la pression à l’innovation pour prendre les devants par rapport à l’ennemi. On le voit dans l’industrie chimique avec par exemple l’invention du nylon qui sert au départ à la fabrication des parachutes ou dans le développement de l’énergie nucléaire. Mais il ne faut pas croire que le progrès économique est associé principalement à la guerre. Eisenhower a dénoncé en 1961 quand il quitte la présidence des Etats-Unis ce qu’il a appelé le « complexe militaro-industriel », expression devenue depuis célèbre. Pour lui, ce « complexe » qui permet à des entreprises de vivre et d’innover grâce à l’argent des budgets militaires donnait à l’économie un côté artificiel qui nuisait à la croissance de long terme.

Pourquoi avons-nous toujours aujourd'hui cette vision biaisée de l'impact de New Deal sur l'économie américaine ? A qui cela profite-t-il idéologiquement ?

Les défenseurs du dirigisme ont fait de l’Etat et de son contrôle de l’économie non plus le moyen d’améliorer le sort des populations mais un but en soi. En fait je pense que c’est parce que l’Etat est le meilleur garant de leur confort matériel, ce que j’appelle leur rente. Il leur faut se référer à des expériences concrètes pour pouvoir soutenir l’affirmation des bienfaits de l’étatisme. Ils ne peuvent se contenter de dire que cela les protège. Or, il faut voir que peu d’exemples historiques peuvent légitimer les théories étatistes/dirigistes : le communisme s’est terminé dans un fiasco moral et économique complet ; ses avatars modernes comme le « bolivarisme » vénézuélien ou le « social-volontarisme » de Syriza en Grèce ruinent les populations ; tout le monde a oublié le travaillisme anglais keynésien des années 50/60 probablement parce que celui-ci a conduit le pays à se trouver en tutelle du FMI. Reste le new deal qui est inattaquable eu égard au rôle éminemment positif des Etats-Unis durant la Deuxième guerre mondiale. Pourtant, l’anniversaire de la  mort de Roosevelt est aussi celui de l’accession au pouvoir de Truman. Et celui-ci a tout de suite affirmé que son but était de passer du « new deal » étatiste de son prédécesseur à un « fair deal » plus libéral et plus respectueux  de l’esprit d’initiative traditionnel des Américains.

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