6 ans de macronisme : quel bilan -et quel avenir- pour les entreprises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une visite dans une entreprise lors de la crise du Covid.
Emmanuel Macron lors d'une visite dans une entreprise lors de la crise du Covid.
©DAMIEN MEYER / POOL / AFP

Rentrée du Medef

Le président de la République s’est exprimé en visioconférence aux Rencontres des entrepreneurs de France (REF).

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Olivier Torrès

Spécialiste de l'économie des PME, Olivier Torrès est professeur à l'Université de Montpellier et président du conseil scientifique du LABEX Entreprendre. Il a fondé en 2009 AMAROK, le premier Observatoire sur la santé des entrepreneurs et dirigeants de PME.
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Atlantico : Patrick Martin, le nouveau président du Medef, a décidé de mettre la pression sur l’exécutif. Et pour cause ! De plus en plus de patrons ont fait part de leur mécontentement à l’égard de l’exécutif. En cause ? Le report de la suppression de la CVAE, l’un des impôts de production qui pèse le plus sur l’industrie. Quel bilan peut-on dresser, après six ans de macronisme, pour nos entreprises ?

Philippe Crevel : Les entreprises françaises ont bénéficié, d’une façon générale, de mesures plutôt favorables pendant le premier quinquennat. On peut ainsi citer la baisse de l’impôt sur les sociétés ou la transition au prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui a eu des effets positifs en matière de financement des entreprises comme de rémunération des dividendes. Il s’agit donc de mesures plutôt favorables aux chefs d’entreprises. N’oublions pas non plus, par ailleurs, qu’à l’occasion du “quoiqu’il en coûte” mis en œuvre pendant la crise sanitaire, les entreprises n’ont pas été oubliées par l’Etat. Celui-ci a mobilisé plus de 200 milliards d’euros d’aides et de prêts garantis par l’Etat. La guerre en Ukraine a aussi été l’occasion de boucliers tarifaires divers et d’amortisseurs des prix de l’énergie. On peut donc parler de politique protectrice des entreprises au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Dans le cadre des tentatives de relocalisation de l’industrie en France, le gouvernement a aussi octroyé des subventions pour l’installation d’entreprises ou d’usines sur le sol hexagonal. L’exécutif n’a pas hésité à faire appel à des techniques de type protectionniste que nous n’avions pas observé depuis une cinquantaine d’années environ. François Hollande avait commencé par une politique “à gauche toute” après son élection en 2012. Il a tourné les talons avec le pacte de responsabilité en 2014. Emmanuel Macron poursuit la démarche alors amorcé et l’a également amplifiée. Il a continué la deuxième partie du quinquennat Hollande, en somme.

Olivier Torrès :L’élection de Patrick MARTIN est une excellente nouvelle pour le MEDEF. Son parcours personnel, son assise régionale, son expérience au sein d’une entreprise familiale lui donne une double vision nécessaire pour représenter les deux mondes patronaux : celui de la PME/TPE patrimoniale, de loin le plus important en nombre d’entreprises et en termes d’emplois localisés. Et celui de la grande entreprise managériale qui a sa propre logique généralement tournée vers des problématiques de compétitivité et de mondialisation. Patrick Martin, à la tête d’une ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire) familiale, comme Pierre GATTAZ dans le passé, saura concilier ces deux mondes complémentaires mais distincts.

Il devra inscrire son action dans le long terme et ne pas seulement réagir aux évènements d’actualité.

Que dire du bilan d’Emmanuel Macron sur le plan fiscal ?

Philippe Crevel : Sur le plan fiscal, il faut évidemment évoquer la loi Travail, adoptée dès le début du quinquennat. Elle s’ancre dans la réforme du code du Travail et de l’assurance maladie et a permis la transformation du CICE en baisse de charges pérenne. C’est une mesure qui a été adoptée très rapidement en 2017, venant conforter la libéralisation du marché du travail entreprise sous le quinquennat de François Hollande.

Il faut aussi mentionner la loi sur l’apprentissage, qui a permis de faire passer le nombre d'apprentis à environ 1 million sur le sol français (contre 300 000 avant la réforme, environ).

Évoquons aussi, en plus de la baisse de l’impôt sur les sociétés, la suppression de l’ISF (qui a ensuite été remplacé par l’IFI) et la transition vers le PFU.

Que dire du bilan d’Emmanuel Macron sur le plan industriel ?

Philippe Crevel : Le bilan industriel d’Emmanuel Macron n’est pas bon. Durant son premier mandat, l’empoint industriel de la France à considérablement baissé, avant de finalement se stabiliser en fin de quinquennat. Cela signifie que le processus de destruction d’emploi dans l’industrie s’est arrêté et que la reprise de la création a débuté dans les premiers mois de son second mandat (cela résulte des politiques de localisation engagées et, surtout, une plus forte croissance économique en sortie de covid.)

Il est encore trop tôt pour en tirer des leçons précises, mais force est de constater qu’il n’y a pas eu de politique de relocalisation puissante en France ces dernières années. Il n’y a eu que l’arrêt de la désindustrialisation très forte de ces 20 dernières années.

Olivier Torrès :Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a surtout mis en œuvre des mesures très générales qui ont bénéficié à l’économie entière, tous secteurs confondus (droit du travail et de la formation professionnelle, fiscalité de l’ISF remaniée…). Ces mesures ont produit des effets notables sur l’industrie. Mais là aussi, il y a l’avant et l’après COVID. La question de la souveraineté industrielle est apparue comme une évidence après la crise COVID où la France a pris conscience de ces lacunes industrielles. Mais la réindustrialisation ne se décrète pas. Une industrie durable est le fruit d’un ensemble de facteurs aussi divers que les compétences techniques, un tissu de sous-traitants qualifiés, des capitaux parfois massifs, une règlementation fluide et non contraignante et de l’énergie entrepreneuriale pour mettre tout cela en ordre de marche. Emmanuel Macron a compris l’intérêt de séduire des investisseurs étrangers en France. Il a raison. Mais la politique d’attractivité internationale – Choose France - ne saurait se substituer à une politique nationale de compétitivité dont les effets sont plus lents mais plus souhaitables en termes de souveraineté.

Que dire du bilan d’Emmanuel Macron sur le plan des services & entrepreneurial ?

Philippe Crevel : La France est, évidemment, un pays tertiaire. Plus des trois-quarts de nos emplois émanent du secteur des services… et une majorité d’entre eux proviennent d’emplois de services domestiques, à faible valeur ajoutée donc. Souvent, on parle d’emploi en lien avec des plateformes internet ou d’emplois logistiques. Ce sont des métiers réels, bien sûr, mais qui ne constituent pas des sources d’enrichissement pour les personnes qui les occupent… Pas plus qu’elles ne profitent à l’économie du pays.

Olivier Torrès : On doit ici rendre hommage aux gouvernements successifs qui ont su donner à la présidence Macron une coloration PMiste qui avait manqué à la présidence Hollande. Cela tient au fort nombre de députés macronistes issus du monde de l’entrepreneuriat et des professions libérales. Ainsi, on a vu toutes une série de mesures, qui sont généralement passées sous silence qui mais qui au final inscrivent la politique actuelle dans un esprit entrepreneurial. Par exemple, la DGE, avec le Portail du rebond a initié un numéro vert en faveur des entrepreneurs en difficultés. C’est la première fois dans notre pays que des mesures sont prises en faveur du rebond entrepreneurial.

De même, Olivia GREGOIRE, actuelle ministre des PME souhaite développer les dispositifs de santé au travail en faveur des entrepreneurs et des travailleurs non salarié, ce qui a été initié par la Loi LECOCQ-GRANDJEAN. Là aussi, ce sont des faits qui ont été peu relayés dans la presse mais qui sont des éléments positifs en faveur du monde entrepreneurial.

Que dire du bilan d’Emmanuel Macron sur le plan de l’emploi et du pouvoir d’achat ?

Philippe Crevel : Parce que la France est, nous l’avons dit, un pays d’emplois de services à faible valeur ajoutée, cela limite la rémunération et la possibilité d’évolution des travailleurs. C’est un point important, mais il faut aussi noter la baisse du chômage… quand bien même la nature des emplois pose problème.

Olivier Torrès :Un fait est objectif : le niveau d’emploi n’a jamais été aussi élevé en France sur les dernières décennies. Et la réforme des retraites courageuse. Quant au pouvoir d’achat, les aides de l’Etat donnent le sentiment qu’il existe une réserve d’argent magique illimitée. Le désendettement de notre pays devrait être une priorité politique.

En matière de prise en charge de l’épidémie de covid ?

Olivier Torrès :Le PGE, le fonds de solidarité, les dispositifs de chômage partiels…autant de mesures qui ont permis à l’économie française de mieux amortir les effets de la crise COVID.

On a constaté sur le terrain le rôle déterminant du monde consulaire. Les CCI, les CMA (Chambres des Métiers et de l’Artisanat) et les chambres d’agriculture ont été des relais d’informations incontournables pendant la crise COVID. Joel FOURNY, président de CMA France, indiquait pendant la crise que le réseau des CMA avaient appelé 925 000 fois les artisans de France. Aucune administration ne pourrait aujourd’hui fournir autant d’efforts en si peu de temps.

C’est ici que des progrès doivent être faits. Le président Macron a intérêt à muscler ses relations avec les corps intermédiaires qui ont été précieux pendant la crise. Sous les présidences Sarkozy et Hollande, les mondes consulaires ont été spoliés d’une grande partie de leurs ressources. La tentation est de poursuivre dans cette voie au nom d’économie mais ce serait à mes yeux d’économiste des PME une grave erreur. Le monde consulaire est encore capable d’informer, de former, de mobiliser le monde hétérogène des PME/TPE. C’est une ressource à consolider.

Dans les faits, les raisons de cette “grogne patronale” ne se limitent pas au seul cas CVAE. La conjoncture, jugée moins porteuse, fait naître des incertitudes chez les chefs d’entreprises, qui ralentissent d’ailleurs leurs recrutements. Faut-il s’inquiéter, selon vous ?

Philippe Crevel : Il est vrai que la grogne patronale ne trouve pas racine que dans le report de la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée, un impôt de production appliqué à toutes les entreprises qui réalisent plus de 500 000 euros de chiffre d’affaires et qu’il faut payer indépendamment des résultats de la société). La situation des finances publiques est, tout le monde le sait, particulièrement dégradée. La France, face à la nécessité d’assainir ses comptes publics, a décidé de reporter la suppression de cet impôt sur la valeur ajoutée, ce qui est une déception parce que le président de la République s’y était engagé. Rappelons qu’il s’agit d’un impôt particulièrement mal vécu par les entreprises, qui est venu remplacer la taxe professionnelle, supprimée à l’époque par Nicolas Sarkozy. Depuis, le Medef combat contre la CVAE. Je doute, cependant, que ce seul impôt (qui peut nuire à la compétitivité des entreprises, il est vrai, particulièrement du côté de l’exportation industrielle) puisse remettre en cause les résultats de nos sociétés. Avec la CSS, la CVAE constitue l’un des principaux impôts de production en France.

Pour l’heure, les résultats de nos entreprises demeurent plutôt bons et les taux de marge ont augmenté ces derniers mois. Les entreprises peuvent rembourser leurs prêts garantis par l’Etat. Bien sûr, le contexte est moins porteur qu’il n’a pu l’être en sortie de crise sanitaire, mais c’est assez normal. En somme, me semble-t-il, la situation actuelle est assez typique : Patrick Martin a besoin d’assurer sa légitimité en tant que nouveau président du Medef et cela se construit contre le gouvernement, en général. C’est un exercice convenu, bien plus qu’une grogne pérenne.

Olivier Torrès : Un entrepreneur doit toujours s’inquiéter de l’avenir de son entreprise. Les patrons patrimoniaux ont un rapport existentialiste à leur entreprise. Tout ce qui peut altérer leur chance de survie est générateur d’angoisse existentielle. Mais ce que nous avons pu constater lors de la crise COVID, autrement plus anxiogène que la conjoncture actuelle, c’est que les entrepreneurs ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Face aux ordonnances de l’Etat, ils ont adopté ‘le décret de la volonté’.

C’est le propre de l’économie d’être évolutive et d’être soumise à des cycles. Et le propre de l’entrepreneuriat d’être soumis à de l’incertitude. Rien de nouveau.

En tout et pour tout, neuf ministres sont attendus à la REF 2023. D’autres, comme Roland Lescure (ministre délégué à l’Industrie), ne seront pas présents. Qu’est-ce que cela dit des relations que l’exécutif entretient avec le patronat ? 

Philippe Crevel : D’une façon générale, les relations entre l’exécutif et le patronat sont complexes. Le gouvernement préfère que les entreprises le soutiennent, c’est une évidence, mais il ne faut pas qu’il le fasse avec trop d’insistance car un affichage patronal est assez mal perçu par l’opinion publique. Il en va de même pour le patronat qui a besoin de se construire une image en opposition avec l'exécutif. Il est donc de bon ton, pour des raisons plus politiques qu'économiques, de ne pas afficher de très bonnes relations de parts et d’autres.

Ceci étant dit, force est de constater qu’Elisabeth Borne est moins appréciée que ne pouvait l’être Jean Castex. Elle émane de la gauche de la macronie et affiche un style plus rigide que son prédécesseur. Cela conduit mécaniquement à quelques tensions, mais là encore l’exercice est convenu. La Première ministre cherche à soigner ses relations avec l’aile gauche de sa majorité tandis que Bruno Le Maire est chargé de charmer les grands patrons. Emmanuel Macron, lui, fait du en même temps.

Olivier Torrès :Cette question est typiquement franco-française. Comme si l’action politique dépendait d’une métrique ministérielle. Ce dont souffre souvent les chefs d’entreprises – et j’en ai un aperçu quotidiennement avec Amarok, l’Observatoire de la santé des entrepreneurs - ce sont les règlementations complexes et les législations changeantes qui perturbent en permanence la planification stratégique des entreprises. L’entrepreneuriat français a besoin de stabilité et de lisibilité. Peu importe le nombre de ministres présents, même si pour les organisateurs, c’est un plaisir de montrer sa puissance et son entregent. Mais au final, ce sont les actes qui comptent.

Au-delà du seul bilan qu’il est possible de dresser de l’action d’Emmanuel Macron et de ses ministres, que faut-il attendre de l’avenir pour nos entreprises ?

Philippe Crevel : En l’état actuel, la France se caractérise par un certain nombre de secteurs assez dynamiques, comme celui du luxe ou du tourisme. Le transport est également concerné et il ne faut pas oublier les relocalisations en cours, du côté de la production de batteries ou de microprocesseurs, par exemple.

Ceci étant dit, il ne faut pas se voiler sur nos faiblesses : le poids de l’industrie demeure très faible en France. Il n’excède pas 9% de la valeur ajoutée. Les créations d’emploi, particulièrement dans l’industrie, restent très faibles… Mais au moins peut-on compter sur l’absence de retournement complet en l’espace de deux quinquennats.

Quel commentaire peut-on dresser de l’intervention d’Emmanuel Macron devant la REF 2023 ?

Philippe Crevel : Le président s’est montré très dans son rôle, devant les participants de la REF 2023. Il est resté sur des thématiques très traditionnelles et a fait le choix de défendre son bilan ; rappelant les baisses d’impôts qu’il a décidées pour les entreprises françaises. Ceci étant dit, Emmanuel Macron n’a probablement pas rassuré les chefs d’entreprises, puisqu’il n’a pas annoncé la moindre mesure de plus pour les soutenir. En somme, une intervention sans réelle surprise.

Olivier Torrès :Certes les mots ont leur importance. Le « j’ai besoin de vous » d’Emmanuel MACRON à la REF 2023 est la copie conforme de « la France a besoin de vous (…) moi, j’aime l’entreprise » de Manuel Valls en 2014. Mais les chefs d’entreprises sont des gens pragmatiques. Ce qui compte, ce sont les faits, plus que les dires.

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