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Valéry Giscard d'Estaing
Valéry Giscard d'Estaing
©Reuters

Quarantième anniversaire de son élection

Quarante ans après son élection, retour sur les années VGE avec ce qu’il a réussi à faire et pas seulement dans le domaine sociétal, où l'ancien président (1974-1981) a marqué son empreinte. Tour d'horizon des travers dont il n'a pas eu la peau et ceux auxquels il a donné naissance.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Majorité à 18 ans, réforme du divorce, dépénalisation de l'avortement, on retient surtout de Valéry Giscard d'Estaing ses réformes sociétales. Plus globalement, quelles sont les mesures importantes, et dont on profite encore aujourd'hui, prises durant son septennat ?

Philippe Crevel : Il est vrai qu’il a surtout laissé sa trace sur des réformes sociétales. Mais il a aussi eu un rôle au niveau européen, avec le souhait d’arrimer la France à l’Allemagne, ce qui s’est matérialisé par une amitié forte avec Helmut Schmidt.

Jean Garrigues : Valéry Giscard d'Estaing tire la leçon de ce qu'il s'est passé au point de vue sociétal quelques années avant. On peut dire qu'il fait passer la France dans une nouvelle époque et l'histoire le réhabilitera par rapport à ça. On profite encore aujourd'hui des mesures sociétales. La majorité à 18 ans transorme les choses, c'est un regard neuf, c'est quelque chose qui transfère l'axe de l'électorat plutôt vers la gauche avec une dose d'idéalisme nouveau dans la vie politique. Le secrétariat d'Etat à la Condition féminine est aussi très important, c'est pour la première fois la prise en charge politique de ce sujet. C'est un combat intellectuel qui a une concrétisation politique : depuis nous ne sommes plus revenus sur l'existence de ce secrétariat. Autre mesure notable, l'extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel qui étend le champ du contrôle démocratique. Il y a par ailleurs une modernisation sur le plan de la communication politique. C'est toute la communication présidentielle qui se transforme, se rajeunit et s'américanise. Il est incontestablement l'inspirateur de Nicolas Sarkozy et même de François Hollande par-dessus les deux présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Valéry Giscard d'Estaing anticipe ce que sera le style présidentiel du 21 ème siècle et en cela il est quelqu'un d'innovant, notamment quand il marche à pied, quand il conduit sa voiture, quand il ralentit le tempo de la Marseillaise, quand il se rapproche des gens notamment en se faisant inviter à déjeuner... Plusieurs choses qui humanisent et transforment la fonction présidentielle pour le meilleur ou pour le pire.

Valéry Giscard d'Estaing a essuyé le premier choc pétrolier de 1973. Que retenir de sa manière de répondre à la crise ? Au plan économique, que lui doit-on ?

Philippe Crevel : Il a même connu les deux chocs pétroliers : celui de 1973 avant son arrivée au pouvoir, et celui de 1980 avec la crise en Iran.

Le premier choc pétrolier en France est intervenu à la fin du mandat de Pompidou et a donc été un peu occulté par sa maladie, puis par la campagne électorale. Or, toute campagne ne prédispose pas à prendre des mesures difficiles. Il est donc vrai que la France a un petit peu nié l’impact du premier choc pétrolier, et le pouvoir a mis un peu de temps à réagir.

Un plan de relance a été engagé à partir de 1975. De facture assez keynésienne, il a porté ses effets car la reprise a été assez forte en 1975-1976, au point de générer une surchauffe économique et de l’inflation, qui a entraîné à la fois une rupture entre Chirac et Giscard – il y avait à la fois un problème politique et une vision économique différente – et l’arrivée de Raymond Barre en 1976, avec une politique plus de rigueur, d’assainissement budgétaire, sauf que le déficit budgétaire n’était pas celui d’aujourd’hui et la dette était inférieure à 25% du PIB.

Avec l’arrivée de Raymond Barre s’ouvre une nouvelle période, de libération de l’économie. Avant, on était sur une économie dirigée, avec un encadrement du crédit, un contrôle des prix quasi-permanent, avec d’autre part un Etat planificateur. Sous Giscard-d’Estaing, on commence à desserrer l’étreinte. Raymond Barre va engager la libéralisation des prix, qui sera arrêtée en 1981 et reprise 1986.

De même, en matière financière, il avait commencé à desserrer le carcan gaulliste. Par ailleurs, sur la planification, on est passé d’une planification dirigiste à une planification plus "libérale", dans le sens où il ne s’agissait plus d’objectifs quantitatifs mais d’objectifs qualitatifs.

Jean Garrigues : Il a pris des mesures de réactions, non pas dans un premier temps mais ensuite avec le plan de rigueur et les allègements des charges aux entreprises. Ce que met en place Raymond Barre en 1976 est dans l'esprit assez proche que ce qui est fait aujourd'hui, même si l'un des fondements de la politique barriste est l'alourdissement fiscal.

Que lui doit la construction européenne ?

Philippe Crevel : Il a eu un rôle important au niveau européen, avec la préparation de ce qui allait devenir la monnaie unique, avec le Système monétaire européen en particulier, et l’acte unique. Ce dernier sera la grande œuvre de Delors et Mitterrand mais avait été préparé en amont par la France et l’Allemagne, par Helmut Schmidt et Valérie Giscard-d’Estaing.

Jean Garrigues : Valéry Giscard d'Estaing a lancé le couple franco-allemand comme moteur de la construction européenne. Ce couple est constitué avec le social-démocrate allemand Helmut Schmidt. La complicité entre les deux personnages donne une sorte de reconnaissance presque familière à ce couple. La construction européenne est un enjeu majeur qui a été le fil conducteur de la carrière de VGE. L'esprit de la construction européenne est incarné à travers ce duo. Le SME (système monétaire européen) créé en 1979 est aussi un élément marquant.

En quoi le septennat Giscard a-t-il marqué une rupture historique, notamment au système instauré par de Gaulle ? Est-il cependant parvenu à venir à bout de ses effets pervers ?

Jean Garrigues : C'est l'homme qui a mis fin à la république gaullienne, à une époque politique marquée par un Etat gaullien, par des pratiques de centralisation politique du gouvernement et la main mise d'un parti sur la vie politique française. Avec Valéry Giscard d'Estaing, on se retrouve dans une structure politique différente de part de la coalition centriste qu'il dirige et de l'alliance nouée avec les chiraquiens et les gaullistes. C'est la seule expérience du centrisme au pouvoir dans la Ve République et ceci va ensuite nourrir des expériences politiques comme celle de François Bayrou. Il y a pour la première fois une interruption dans l'alternance gauche-droite. Dans les années 70 apparaissent toutes les histoires de financements illicites de partis politiques, notamment l'affaire Urba au PS, mais aussi au centre et à droite. Il y a ensuite eu pendant un moment un Etat socialiste mais il y a quand même eu une vigilance par rapport à un Etat-parti.

Quels sont les plus grands échecs de VGE ? Et les plus grands vides dans sa politique ?

Philippe Crevel : D’abord, mettons en avant en point positif le fait qu’il n’y a pas eu d’envolée de la dette ni de déficit excessif.

Dans les points négatifs, il y a plusieurs choses. Tout d’abord, l’inflation était assez forte dans ces années-là : elle flirtait avec les 10%, ce qui obligeait de temps en temps à bloquer certains prix. Il y avait aussi un déficit commercial – certes inférieur au niveau actuel – persistant et récurrent, qui obligeait à des dépréciations du franc.

Autre aspect, lié à la conjoncture : la progression du chômage, ce qui lui a été reproché au moment de l’élection de 1981. Quand il arrive au pouvoir, il y a 3,4% de chômeurs, et il y en a 6,3 quand il part. Cela veut dire qu’au regard des chiffres actuels, on pouvait considérer qu’il y avait un plein-emploi quand il est parti, mais cette progression lui a été reprochée.

La division au sein de la majorité de l’époque, entre une aile libérale et une aile gaulliste plus dirigiste et conservatrice, freinait les réformes. Valéry Giscard d’Estaing aurait été plus favorables à des privatisations, qu’il n’a pas réalisées, et il était favorable à une libéralisation du crédit, qui a été faite de manière modérée.

Jean Garrigues : C'est la croissance qui a manqué. Il a été confronté d'emblée à une période de récession économique et il ne trouve pas les clefs pour sortir durablement de ça. Les pistes expérimentées comme la chasse aux gaspillages ne réussissent pas à endiguer le chômage. L'échec majeur de VGE est de ne pas avoir réussi ce que dans les années 80 vont réussir à faire Ronald Reagan et Margaret Thatcher en radicalisant les méthodes de l'orthodoxie libérale. Eux vont réussir à retrouver la croissance avec un coût social très fort. VGE a été coincé par l'Etat-providence français, notamment à cause d'une politique de demi-mesure mais il n'avait pas un soutien absolu du patronat. En réalité, ce n'est pas 7 ans de pouvoir qu'il a eu mais 2 ans : à partir du moment où Jacques Chirac entre dans l'opposition, sa marge de manoeuvre est beaucoup plus étroite.

C'est sous VGE que le dernier budget excédentaire a été présenté. A-t-il mis le ver dans le fruit ? La mauvaise gestion des finances publiques a-t-elle commencé sous Valéry Giscard d'Estaing ?

Philippe Crevel : Il est vrai qu’on peut dire que le déficit a commencé à progresser à son époque. Ce n’est pas faux. En revanche, on était sur des niveaux très faibles, entre 0 et 1-1,8% de déficit. En 1975, il y a eu un fort (2,8%) déficit dû au plan de relance. Ensuite, on est aux alentours de 1%, puis quand Raymond Barre arrive, il repasse sous 1%. Ca a d’ailleurs été reproché à Giscard, à qui on a dit que Raymond Barre avait eu une politique trop rigoureuse. Le déficit moyen de Giscard entre 1974 et 1981 est de 1,5%, rien d’horrible !

Ce qui lui a été aussi reproché, c’est l’augmentation des prélèvements obligatoires qui, sous son septennat, sont passés de 35-36% du PIB à plus de 40%. A l’époque, il avait dit que si les prélèvements obligatoires passaient les 40%, on serait dans un Etat socialiste. Comme il les a atteints, certains ironisaient un peu sur sa formule…

Jean Garrigues : Ce serait trop sévère de dire ça. Si on regarde les taux d'endettement et de chômage ce n'est pas forcément à son époque qu'ils étaient les plus importants. C'est le fruit du contexte économique de l'époque même si on peut lui reprocher de ne pas avoir été assez radical dans ses mesures. La société française n'était pas prête car elle ne mesurait pas les efforts à faire.

Peut-on considérer que VGE a fait plus à lui seul que tous ses successeurs réunis ?

Philippe Crevel : Son bilan a été longtemps sous-estimé, et en particulier au niveau économique. Il a pâti de sa défaite en 1981 et du fait qu’il était encore dans le circuit politique. L’attaque contre lui était permanente, et on lui ressortait ses éventuels échecs. Ca a empêché d’avoir une vision objective de son septennat. Or, non seulement il a arrimé la France à l’Europe, mais on faisait mieux à l’époque en termes de croissance que la moyenne des pays européens, et on faisait une croissance globalement comparable voire supérieure à l’Allemagne. Il n’y avait pas d’erreurs monstrueuses de faites.  Il avait plutôt socialement accompagné la crise à travers la protection sociale. On aurait pu critiquer sa prudence dans l’assainissement des comptes publics ou la libéralisation, mais elle était liée également à des problèmes politiques internes.

Jean Garrigues : Non car il y a eu ensuite l'ampleur des réformes du début du septennat de François Mitterrand avec la peine de mort, le doublement du budget culturel puis les 39 heures. Au cours des premiers mois de la présidence giscardienne et de la présidence mitterrandienne, il y a une densité réformatrice qu’on n’a pas retrouvée ensuite.

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