4 Rafales en Pologne et des navires de la marine française en mer Noire : quelle idée l’Otan (et la France) a-t-elle derrière la tête ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un Rafale.
Un Rafale.
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Manœuvres militaires

La France a répondu à l'appel de l'Otan pour renforcer la présence occidentale dans les pays de l'est de l'Europe membres de l'Alliance. Elle a ainsi accordé le déploiement de chasseurs et d'une centaine d'hommes à Malbork, dans le nord de la Pologne. L'armée de l'air française va participer à l'entraînement des aviateurs polonais et assurera à la demande de l'Otan des missions de police du ciel au-dessus de la mer Baltique.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : La France a confirmé ce dimanche l'envoi de quatre Rafales sur la base de Malbrok en Pologne tandis que des navires français patrouilleraient actuellement en mer Noire. Peut-on faire aujourd'hui une estimation des différents moyens militaires français aux portes de l'Ukraine ?

François Géré : Le général (français) ancien CEMAA qui depuis un an dirige la planification des opérations NATO à Norfolk a indiqué il y a une semaine que l’OTAN prendrait toutes les mesures nécessaires afin de manifester sa détermination à garantir la sécurité des Etats membres. Il s’agit donc de manœuvres de réassurance destinées aux alliés les plus exposés. C’est aussi un avertissement clair à l’égard de l’aventurisme hostile d’où qu’il vienne.

Ceci posé la présence ne signifie pas la mise en capacité opérationnelle immédiate.

On imagine mal l'Otan engager d'ici demain des frappes contre les pro-russes de l'Est ukrainien, voire contre les troupes du Kremlin. Quelle interprétation peut-on faire de ces manoeuvres ?

Le fait que Monsieur Poutine comme l’appelle maintenant  le Président Obama ne soit pas en mesure de contrôler les "pro russes" en Ukraine orientale relève de la plus grossière désinformation. Sans l’appui logistique et surtout politique de Moscou, ces "milices" dirigées par des gangsters s’effondreraient d’elles-mêmes, en raison de l’horreur qu’elles inspirent à la population.

Les manœuvres russes constituent des opérations d’intimidation de leurs adversaires et de soutien à leurs partisans en Ukraine. La présence des forces russes constitue un appui militaire direct. Elles sont aussi destinées à angoisser les Etats européens qui ne veulent à aucun prix envisager la guerre. Oui c’est du bluff. Mais cela réussit. Les sanctions économiques ne mettront pas la Russie à genoux dans un mois.

Par ailleurs, la France et la Grande-Bretagne ont annoncé qu'elles meneraient des patrouilles d'interception en Baltique, zone pourtant relativement éloignée du conflit. Faut-il y voir une prise de position stratégique ou une simple intimidation ?

Les Baltes se gardent de sombrer dans la panique. Conservant un sang froid géopolitique remarquable ils ne peuvent que s’inquiéter, ayant connu un demi-siècle d’occupation soviétique. Quel sort leur réserve -t-on ? Quelle est la valeur des engagements à leur égard ? Ils conservent une amère mémoire de l’abandon. La France a conclu des accords de défense avec certains de ces pays. Elle les honore, ce qui est bien. Ce qui serait encore mieux serait de dénoncer ne fut-ce que provisoirement les livraisons de navires de guerre de haute technologie à la Russie.

La France se doit aujourd’hui de faire preuve de cohérence en s’imposant à elle-même des choix, sans doute pénibles en temps de crise économique et sociale. Toute cette zone de l’Europe réclame et attend cela. Les Baltes sont certes satisfaits d’un soutien aérien mais cela ne suffit pas.

En conséquence, jusqu'où une éventuelle escalade pourrait aller ?

On parle de seconde guerre froide. Regrettablement le gouvernement de Kiev qui s’abandonne à la surenchère verbale, a évoqué le risque d’une troisième guerre mondiale. Comparaison n’est pas raison. Il s’agit bien de la crise la plus grave qu’ait connu l’Europe depuis la crise des Euromissiles de 1982. Cela dit aujourd’hui il n’est question ni de missiles balistiques ni d’armes nucléaires. La carte de l’Europe s’est totalement transformée. Le Pacte de Varsovie…est un (mauvais) souvenir. La Pologne est dans l’OTAN comme bien d’autres.

Nul n’a encore agité la menace nucléaire, à commencer par les russes qui ont placé les missiles nucléaires Iskander à Kaliningrad. La crise est supposée se dérouler en "infra nucléaire" même si chacun est bien conscient qu’elle pourrait escalader jusqu’à ce niveau, en raison d’une défaillance de gestion politique. Toutefois, profitant de l’affaiblissement des Etats européens qui, bien à tort, liquident financièrement leurs moyens de défense, Vladimir Poutine exploite le vide de sécurité qui s’est développé durant ces quinze dernières années afin de développer son grand dessein de restauration de la puissance russe au centre du continent eurasiatique. Un esprit de revanche existe sans aucun doute et ce serait une erreur de le tenir pour légitime.

Poutine craint encore l’OTAN à cause des Etats-Unis. Quand ceux-ci déclarent un peu à l’étourdie que désormais leur priorité de défense se situe en Asie, le chef russe saisit l’occasion pour remplir le vide. C’est bêtement arithmétique.

La crise ukrainienne a permis de saisir la Crimée revendiquée depuis vingt ans. Ensuite, mais un peu plus tard viendra le sort de l’Ukraine toute-entière. En ce moment, par l’intimidation, V Poutine prend des options sur l’avenir de l’Ukraine, de préférence dans son intégralité mais pas forcément. Ceci vaut pour le long terme.

Aujourd’hui dans l’immédiateté de l’affrontement il ne faut écarter aucune option. Mr Fabius a bien tort de dire qu’une guerre contre la Russie est impensable. Il conforte Mr Poutine dans l’espérance d’aller un peu plus loin sans pour autant envahir l’Ukraine. Les dirigeants russes sont ainsi confortés dans leur sentiment d’une action libre sur le terrain. Qu’importent les sanctions ! En sorte que la crise  ukrainienne connait disons sa première « saison ». Nous devons nous attendre et surtout nous préparer aux "saisons 2 et 3" qui inexorablement vont suivre d’ici à 2017.

Enfin constatons que comme à l’ordinaire, toute crise constitue un révélateur des relations entre alliés. La Turquie représente un remarquable exemple. Nous la voyons reprendre ses liens de solidarité avec ses partenaires de l’OTAN ; nous la voyons coopérer avec la France pour la surveillance aérienne. Laissera-t-elle des navires français passer le Bosphore pour opérer en Mer Noire, cela relève encore de l’hypothèse.

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