300 000 soldats de l'Otan préparés pour une intervention dans les pays baltes : l'Occident face à la difficulté grandissante de se défendre sans alimenter la paranoïa des Russes<!-- --> | Atlantico.fr
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S'agissant de ces 300 000 hommes, cela correspond davantage à ce que représente la Force de réaction rapide de l'Otan, instrument que l'organisation a tenté de développer ces dix dernières années dans l'optique de pouvoir répondre rapidement à des défis.
S'agissant de ces 300 000 hommes, cela correspond davantage à ce que représente la Force de réaction rapide de l'Otan, instrument que l'organisation a tenté de développer ces dix dernières années dans l'optique de pouvoir répondre rapidement à des défis.
©Reuters

Dilemme

Dotée d'une Force de réaction rapide qu'elle tente de développer depuis plusieurs années pour répondre à ses défis, l'Otan envisage de réduire le délai de mobilisation de ces contingents nationaux de six à deux mois, en réponse aux diverses provocations russes qui ne laissent toutefois pas sérieusement penser que la Russie pourrait attaquer l'Occident.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico: Le chef de l'Otan, Jens Stoltenberg, souhaite placer en alerte 300 000 militaires pour faire face à une éventuelle attaque russe contre l'Occident. Est-ce véritablement proportionnel à la réalité de cette menace ? N'est-ce pas donner un argument supplémentaire à la paranoïa de Vladimir Poutine, persuadé que la Russie est menacée de toutes parts ?

Guillaume Lagane L'annonce de Stoltenberg s'inscrit dans tout un ensemble d'actions lancées depuis le sommet de Varsovie, qui visent à rassurer les pays d'Europe orientale sur l'application de l'article 5, qui prévoit qu'un pays de l'Otan attaqué recevra l'aide de l'ensemble des autres États. Les pays d'Europe centrale et orientale se demandent aujourd'hui si l'organisation est capable de mettre en œuvre cet article dans la mesure où la Russie a récemment multiplié les initiatives perçues comme menaçantes par ces États, qui sont également inquiets de la baisse des dépenses militaires en Europe occidentale et du retrait états-unien au profit de la politique du pivot asiatique.

Une telle annonce contribue à alimenter la paranoïa de Vladimir Poutine qui prend prétexte de toutes les actions et autres déclarations des Occidentaux pour percevoir une menace encore aggravée. Dans le même temps, si les pays occidentaux ne réagissaient pas, ils alimenteraient une autre perception développée en Russie : celle d'un Occident décadent face auquel il est envisageable de prendre toutes les initiatives possibles.

La nature des réponses occidentales est défensive, à l'instar de l'Otan qui, je le rappelle, est une organisation défensive et non pas offensive. La seule fois où l'article 5 a été activé, c'était en 2001 lors de la guerre en Afghanistan, suite aux attentats du 11 septembre perpétrés contre les États-Unis, pays membre de l'organisation.

Quand on regarde sur Internet, on se rend compte que cette déclaration de Stoltenberg a été essentiellement reprise par des médias développant cette propagande russe d'une menace de la part des Occidentaux. 

Sur le plan logistique, comment le déploiement de ces 300 000 militaires pourrait se dérouler ? Où seraient-ils positionnés ? 

A ce stade, la seule force que l'Otan a décidé de déployer, notamment dans les États baltes, est la Force d'intervention rapide "Fer de lance", forte de 4 000 à 5 000 soldats. Il s'agit de bataillons qui tournent, et non pas permanents, de manière à respecter l'esprit dans lequel l'élargissement de l'Otan a été réalisé en 1999 et 2004 : des garanties auraient été données à la Russie pour que l'organisation ne déploie pas, de façon permanente, des troupes dans les anciens pays membres du pacte de Varsovie.

S'agissant de ces 300 000 hommes, cela correspond davantage à ce que représente la Force de réaction rapide de l'Otan, instrument que l'organisation a tenté de développer ces dix dernières années dans l'optique de pouvoir répondre rapidement à des défis. Il ne s'agit pas de soldats qui seraient déployés dans les pays baltes ou en Pologne mais de contingents nationaux qui, en cas de crise, seraient rapidement mobilisables. L'annonce vise à rendre cette mobilisation plus rapide, la faisant passer de six mois à deux. 

Dans le cadre de ce nouvel affrontement entre la Russie et les pays occidentaux, quel est le positionnement des pays de l'Est anciennement communistes ? Quel impact ont les rivalités entre pro-occidentaux et pro-Russes dans ces pays ? En faveur de quel camp la situation est-elle la plus favorable ? 

Aujourd'hui, l'Europe orientale est en effet divisée. On retrouve dans certains États un anticommunisme doublé d'une hostilité historique à la Russie : c'est le cas en Pologne - la Russie ayant mis fin à l'existence du pays avec la Prusse et l'Empire austro-hongrois au XIXe siècle, sans oublier la guerre russo-polonaise de 1917-1921, ainsi que l'époque communiste à partir de 1945 - mais également dans les États baltes et en Roumanie, tous inquiets de l'évolution de la Russie.

On constate toutefois une nouveauté dans les pays de cette région européenne : dans ceux où des majorités nouvelles ont vu le jour, marquées à droite ou à l'extrême-droite, on remarque une inclination à un rapprochement avec la Russie, à la fois pour des raisons de réalisme économique - la plupart de ces pays étant dépendants du gaz russe - mais également par sympathie idéologique, Poutine étant considéré comme un rempart à des valeurs occidentales jugées décadentes. Dans ce cas-là, on retrouve la Hongrie de Viktor Orban, mais également la Slovaquie et la République tchèque. Cette situation nouvelle a été accélérée par la crise des migrants qui a donné le sentiment que l'Europe ne protégeait plus les valeurs, ni l'identité culturelle. Du fait de leur histoire, la peur de l'ensevelissement culturel est plus forte dans ces pays qu'ailleurs.

S'agissant du rapport de force, le camp anti-communiste a tout de même le dessus en Europe centrale et orientale, du fait de l'importance démographique, militaire et économique de la Pologne. 

Le week-end dernier, des officiers militaires du renseignement britannique ont alerté sur le fait que les Russes avaient mis au point un super tank, le New Armata, dépassant en termes d'efficacité et de technologie ceux dont dispose actuellement l'Otan (les tanks britanniques Challenger II, notamment). Quel est le rapport de force actuel, sur le plan militaire, entre les forces occidentales et les forces russes ? Les Occidentaux pourraient-ils revoir leur politique de baisse des dépenses militaires initiée après la chute du bloc soviétique ? 

Le nouveau char russe Armata a fait couler beaucoup d'encre. C'est la première fois que les Russes mettent sur pied une innovation dans le domaine des blindés. Jusqu'ici, le char soviétique traditionnel, le T-72, avait fait l'affaire tout en étant modernisé. Jusqu'à présent, la Russie considérait que le plus important consistait à avoir du matériel rustique, mobile, et en très grande nombre. Ce nouvel équipement est caractérisé par une plus grande technicité, avec des tourelles de tir automatique et des blindages beaucoup plus importants, qui devraient mieux protéger les soldats russes. Cette évolution stratégique peut s'expliquer par la volonté de moderniser l'armée russe - dont le budget a augmenté de plus de 50% depuis les années 2000 - mais aussi par celle de protéger davantage les soldats russes dans la mesure où la Russie ne dispose plus d'un vivier de population important du fait de son déclin démographique.

S'agissant de savoir si cet armement permettrait à la Russie de dominer les armées occidentales, il y a deux écoles qui prévalent. Pour les uns, la Russie a fait un tel effort qu'elle est aujourd'hui capable de vaincre, dans un combat classique, les armées de l'Otan. En termes de capacité à se déployer, à utiliser les moyens de communication, mais aussi de soldats, les chiffres de la Russie sont assez impressionnants. Pour les autres, ces chiffres ne font pas tout, d'autant plus que la Russie n'a pas le niveau technologique, en comparaison essentiellement avec les États-Unis qui disposent notamment des avions furtifs, des drones armés, etc. Cette supériorité technologique permettrait d'endiguer une attaque russe selon eux.

Ce qui est certain, c'est que la situation militaire russe suscite des discussions en Occident sur le niveau des dépenses militaires. On peut d'ailleurs remarquer à cet égard qu'à l'occasion de la primaire de la droite, il est question, pour la première fois en France depuis 1990, de revoir à la hausse le budget de la Défense. La raison officielle avancée est celle de la lutte contre le terrorisme, perçue dans l'opinion publique comme la première menace ; mais dans les sphères stratégiques, c'est le retour de la Russie qui inquiète et face auquel il convient de répondre. 

Déploiement de missiles Iskander à Kaliningrad, arrivée du porte-avions russe en Méditerranée, lancement prochain d'un sous-marin en Mer Noire... Malgré ces actions, Vladimir Poutine continue d'affirmer que "la Russie n'a pas l'intention d'attaquer qui que se soit". Comment expliquer ce paradoxe entre les actions russes et les déclarations du président ?

Il faut se souvenir que Vladimir Poutine est un ancien agent du KGB ; c'est un homo sovieticus. Pour quelqu'un qui a grandi en URSS, il y a la maîtrise de tout ce que George Orwell appelait la "novlangue soviétique", cette capacité à décrire la réalité de façon totalement délirante. Dans 1984, le slogan du régime est précisément "La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, et l'ignorance c'est la force". Ainsi, Vladimir Poutine peut multiplier les actions agressives et militaires tout en proclamant son désir de paix.

Sur le fond, la Russie n'a effectivement pas l'intention d'attaquer. Elle est davantage dans une position d'influence et d'occupation du terrain du fait de la politique isolationniste d'Obama. Le pouvoir russe - quand même rationnel - sait bien qu'il n'aurait pas les moyens de mener un véritable conflit classique contre l'Occident. La Russie reste une puissance moyenne - son PIB est similaire à celui de l'Italie - et malgré son côté militariste, elle aurait quand même des difficultés à mener une guerre victorieuse contre un Occident encore dominant.

Propos recueillis par Thomas Sila

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