3 raisons pour lesquelles le chiffre du déficit public français ne veut pas dire grand chose<!-- --> | Atlantico.fr
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Le déficit n'est pas toujours très pertinent
Le déficit n'est pas toujours très pertinent
©Reuters

Trop facile

L'Insee a avancé un déficit de "4% du PIB pour la France". Une donnée brute qui ne veut rien dire sans un minimum de recul sur la manière dont est conçue cette estimation macroéconomique mal calculée, mal estimée, voire mal pensée. Les manières de ne pas comprendre la réalité du chiffre sont multiples.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Ce jeudi 26 mars, l’INSEE dévoilait les chiffres du déficit public de la France, soit 4% du produit intérieur brut, c’est-à-dire 84,8 milliards d’euros. Un déficit "meilleur"  que prévu, puisque les anticipations faisaient état d’un chiffre de 4,4%.  Malheureusement, le traitement brut de ce chiffre ne signifie pas grand-chose. D’une part, il est nécessaire d’ouvrir le capot afin de mettre en évidence les  dynamiques sous-jacentes à la formation de ce déficit. D’autre part, seul un regard qualitatif sur la nature des dépenses publiques permet de juger de la pertinence du déficit en question. Enfin, et plus subtilement au fil des années, l’enjeu politique que recouvre la publication des déficits publics a sans doute été à la source d’une certaine insincérité.

1 - L'insincérité du budget

Jean-Michel Rocchi :Les gouvernements choisissent en toute connaissance de cause de délivrer un budget insincère. La meilleure preuve en est une expression qui est une ritournelle du verbiage technocratico-politique : "un budget volontariste". Le synonyme, en langage courant, c’est un budget insincère. Le budget repose sur des hypothèses macroéconomiques qui seront réalisées si et seulement si survient la "blue fairy". La fée bleue, c’est ce personnage qui dans le conte de Pinocchio survient de manière impromptue pour changer un pantin de bois en enfant de chair et d'os. Dans ce qui nous intéresse, la fée bleue c’est la croissance économiqueOn lui confère un rôle et une influence encore plus improbable : procurer le niveau de recettes fiscales de nos rêves, ce qui permettrait de ne faire aucun effort sur les dépenses.

Dans la mesure où les dépenses doivent être votées elles ne peuvent pas être la variable d'ajustement, il suffit d'avoir des hypothèses macroéconomiques optimistes pour parvenir à avoir des recettes fiscales élevées car certains impôts sont très corrélés à l'activité économique (TVA, IS, TIPP) et d'autres moins (IRPP...), le déficit annoncé sera alors plus acceptable. Bien évidemment, les recettes ne seront pas au rendez-vous cela permet tout à la fois d'accuser la mauvaise conjoncture et de faire passer des hausse d'impôts dans un collectif budgétaire. La ficelle est grosse, la recette éculée et pourtant les hommes politiques nous refont le coup presque chaque année. 

La surévaluation des recettes est en théorie impossible en raison de l’existence de la Commission Economique de la Nation (28 membres en théorie indépendants). En l’absence d’indépendance réelle, son rôle semble formel car si elle auditionne, au final le gouvernement impose ses vues et ses chiffres (optimistes bien évidemment pour surévaluer les recettes).

Jean-Luc Bœuf :Il faudrait prendre l'image d'un serpent qui se faufile à l'intérieur du tunnel pour donner une image équivalente. Le budget est représenté par le serpent. Quant au tunnel, il représente les limites hautes et basses de la croissance, de l'inflation et des taux d'intérêt. Si les prévisions sont manifestement irréalistes, la sanction va venir des marchés financiers qui, encore plus aujourd'hui en raison de la charge de la dette, ne sauraient accepter des chiffres fantaisistes. Donc, les prévisions de chaque gouvernement sont plausibles. Elles sont possibles mais s'agissant de prévisions, elles ne sont pas exactes. De plus, chaque gouvernement, quelle que soit son orientation politique, a tendance à minorer (légèrement) les dépenses et à majorer (légèrement) les recettes. La variation de chaque dixième de point d'inflation, de chaque dollar de baril de pétrole et de chaque point de taux d'intérêt a des conséquences à chaque fois, en centaines de millions d'euros. Ce qui joue dans le sens négatif joue dans l'autre sens. C'est ainsi qu'une décrue du prix du baril de pétrole engendre immédiatement des conséquences vertueuses.

Si l'Etat ne peut faire l'impasse sur une dépense ou une charge, il peut en décaler le moment où il s'en libérera – mais cela ne peut durer éternellement.Cette notion de décalage est d'ailleurs celle qui est le plus fréquemment utilisée, notamment pour les dépenses d'investissement. Par exemple, en 1998, l'Etat avait annoncé l'allongement d'un an de la durée des contrats de plan Etat-régions qui devaient durer de 1994 à 1998. En faisant une courte opération qu'un enfant de Cours moyen ferait aisément, si vous divisez par six au lieu de diviser par cinq, vous étalez la dépense. Et le même élève vous dira, quelques années plus tard, que le "gain" annuel en pourcentage est égal à près de 20 %. Mais il ne s'agit pas d'un gain absolu puisqu'il faudra payer la dépense ! Il s'agit simplement d'un décalage dans le temps. L'Etat pratique encore cette méthode aujourd'hui, par exemple lorsqu'il signe des contrats, à l'issue d'une procédure longue et archi-contrôlée, lorsqu'il décide de reporter de plusieurs mois l'exécution dudit contrat. Et ce sont les entreprises qui se retrouvent pénalisées.

Par ailleurs, il n’y a pas vraiment de transfert des déficits de l’Etat sur les collectivités locales. Il y a une espèce de jeu de mistigri à trois entre l’Etat, les collectivités locales et le contribuable local. Ce qui coûte de l’argent, c’est le fait que l’Etat prend en charge des dépenses pour les collectivités locales et dans le même temps, il leur demande de réaliser des actions qu’il réalisait la veille pour elles. Mais il n’y a pas de transfert des déficits, car les collectivités locales sont obligées de voter leur budget à l’équilibre. On peut parler de transfert de dépenses de l’Etat aux collectivités, mais pas des déficits. Mais ces transferts sont compensés par des dotations supplémentaires, ce qui finit par peser sur les dépenses de l’Etat.

2 - L'aveuglement de mesurer le déficit par rapport au PIB

Nicolas Goetzmann : Le traitement habituel, consistant à indiquer qu’un déficit de 2,9% est "super" alors qu’un déficit supérieur à 3% est "un scandale" n’apporte pas grand-chose au débat. Car le déficit d’un pays est le produit de trois dynamiques différentes, les recettes publiques, les dépenses publiques, et la croissance du PIB. 

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En premier lieu, l’observation du graphique ci-dessus permet de mettre en évidence une forte corrélation entre le niveau des recettes publiques et l’évolution du PIB, entre 1997 et 2011. La logique est claire; les recettes fiscales progressent de concert avec l’évolution de l’activité économique. Et l’accélération du niveau des recettes par rapport au PIB qui se constate depuis 2011 est le résultat de l’augmentation de la pression fiscale. Les pouvoirs publics pressent un peu plus la richesse nationale pour obtenir plus de recettes. Une action qui d’ailleurs été à l’origine de l’affaiblissement de la croissance du PIB depuis 2011, visible également à l’œil nu.

En second lieu, la progression des dépenses publiques qui semble imperturbable. La trajectoire est un rail que même la crise n’est pas parvenue à faire dévier. Et pour cause. Dès lors que l’on cherche à faire baisser les dépenses publiques alors que la croissance est atone, le résultat habituel est d’obtenir un Pib encore plus bas. Et de faire chou blanc pour l’objectif recherché, à savoir, la baisse des dépenses par rapport au PIB.

La réalité est que de ces 3 "leviers", le seul qui a le mérite de pouvoir être actionné efficacement est celui de la croissance. Lorsque celle-ci progresse plus rapidement, les recettes fiscales suivent le même rythme, ce qui permet en conséquence de couvrir les dépenses sans avoir besoin de recourir aux déficits. Par contre, sans action sur ce levier de la  croissance, les deux autres leviers deviennent dangereux. La réduction des dépenses aura pour effet de réduire le PIB, et l’augmentation des recettes impactera également la progression du PIB. Le jeu fiscal devient une partie de billard à multiples bandes. Pour un résultat optimal, la recette idéale est de contenir la dépense tout en soutenant la croissance. Ce qui ne peut être réalisé que par l’action commune d’un resserrement budgétaire jumelé à une relance monétaire.

Lire aussi : Quelques éléments de réponse à Patrick Artus, l’homme qui voyait des keynésiens partout en Europe

3 - Tous les déficits ne sont pas de même nature 

Nicolas Goetzmann : Lorsqu’un Etat évoque un déficit de X%, le chiffre ne nous apprend rien sur la nature des dépenses réalisées. Si le déficit est la conséquence d’une hausse des dépenses, c’est la nature de ces dépenses qui va déterminer le caractère "bon" ou "mauvais" du déficit. Parce qu’investir dans des équipements ou des infrastructures, peut avoir un effet réellement bénéfique pour l’ensemble du pays. De plus, la situation actuelle de taux d’intérêts très faible permet d’envisager de réaliser des dépenses d’investissement à un coût très faible, qui peut même offrir l’avantage de l’autofinancement. Comme peut l’indiquer le FMI : "le moment est propice à une relance de l’infrastructure"

"L’étude constate que la hausse des investissements publics d’infrastructure accroît la production à court terme, en stimulant la demande globale, et à long terme, en augmentant la capacité productive de l’économie. Sur un échantillon de pays avancés, une hausse d’un point du PIB des dépenses d’investissement augmente d’environ 0,4 % le niveau de la production la même année, et de 1,5 % quatre ans après. Par ailleurs, le surcroît d’investissement public dans l’infrastructure donne au PIB une impulsion qui compense l’augmentation de la dette, de sorte que le ratio dette publique/PIB ne progresse pas Autrement dit, l’investissement public dans l’infrastructure peut s’autofinancer s’il est correctement effectué."

Il est à noter que l’annonce d’un déficit à 4% au lieu de 4,4% pour l’année 2014 a été possible grâce au recul des investissements. L’exécutif a donc choisi de couper dans le futur, au profit de l’existant. Ce qui revient à tailler dans le potentiel à venir du pays pour éviter de remettre en cause certaines situations.

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