29 juillet, jour de libération fiscale : les Français en ont-ils pour l’argent de leurs impôts ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le poids de la dépense publique en France atteint aujourd'hui plus de 57% du PIB.
Le poids de la dépense publique en France atteint aujourd'hui plus de 57% du PIB.
©Reuters

Pour du beurre

La libération fiscale aura lieu mercredi 29 juillet, date à laquelle les Français travailleront pour eux un jour plus tard qu'en 2014. Reste à savoir si cela permettra aux assurances sociales à but redistributif de maintenir le même niveau d'efficacité.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico: Le poids de la dépense publique en France atteint aujourd'hui plus de 57% du PIB. Cette réalité va-t-elle de pair avec une meilleure prise en charge des besoins de la population?

Jacques Bichot : Le chiffre 57 % recouvre à la fois des choux, des carottes, des pommes et toutes sortes d’autres fruits et légumes. Il faut se méfier de ces agrégats fourre-tout : ils accréditent dans l’opinion publique différentes idées fausses, à commencer par l’assimilation des cotisations sociales aux impôts. Or la mauvaise situation française vient précisément pour une part importante de ce que les assurances sociales, qui sont intrinsèquement des services à la personne au même titre que les assurances auto ou responsabilité civile, ont été transformées en État providence. Nous avons effectivement besoin d’assurances sociales ; elles pourraient sans doute représenter 25 % du PIB plutôt que les 33 % actuels, mais nous en avons besoin. La démagogie et la malhonnêteté intellectuelle (ou la bêtise ?) de certaines officines qui s’efforcent de faire croire que l’ensemble des assurances sociales est fatalement une redistribution aveugle financée par des prélèvements assimilables à des impôts est très nuisible.

Il y a des besoins qui ne sont pas satisfaits comme il le faudrait. Par exemple, dans un monde de plus en plus dangereux, le besoin de Défense nationale est bien supérieur au budget alloué à nos forces armées. De même, le besoin de justice, avec une police judiciaire efficace en amont, et un système pénal intelligent en aval, a droit à une réponse très insuffisante.

La mauvaise prise en charge des besoins ne vient pas de l’insuffisance globale des budgets, mais de l’incurie de l’organisation étatique. Prenons les assurances sociales : 3 Md€ sont gaspillés chaque année à faire fonctionner 3 douzaines de  régimes de retraite par répartition, alors qu’un seul suffirait – ou plus exactement, constituerait une simplification très utile à tous les Français. De même, la stupide division des tâches entre assurance maladie de la sécu et assurances santé complémentaires, qui double les frais de fonctionnement tout en compliquant la vie des gens, gaspille 3 autres Md€. Le statut de fonctionnaires attribué aux personnels hospitaliers est une autre source de dépenses stériles. La déresponsabilisation des directeurs d’hôpitaux et des directeurs de caisses de sécurité sociale favorise la mauvaise gestion. Etc., etc. Bien des besoins sont mal satisfaits parce qu’une grande partie de ce que touche l’État est mal gérée. Or on sait que de grosses améliorations sont possibles : malgré un code des impôts complètement psychédélique, Bercy parvient à réaliser le recouvrement des impôts et taxes avec une productivité qui a beaucoup progressé. Mais dans beaucoup d’autres secteurs, la mauvaise maîtrise des outils numériques jointe à la complication dantesque des textes qu’il faut appliquer plombe la productivité des services publics.

Pierre-François Gouiffès : Les comptes 2014 des administrations publiques publiés par l’INSEE font apparaître des prélèvements obligatoires à 1 019 Md€ et 44,9 points de PIB (donc 18,8 Md€ et 0,2 points de PIB de plus qu’en 2013) et des dépenses publiques à 1 226,4 Md€ et 57,5 % (plus 19,3 Md€ et 0,5 point de PIB en un an), tout cela pour un déficit quasi stabilisé : 84,8 Md€ et 4 % du PIB en 2014 contre 86,4 Md€ et 4,1 % en 2013.

Si l’on regarde ensuite les données de dépenses publiques présentées par Eurostat pour la même année 2014, la France est désormais au second rang des pays de l’Union européenne à 57,2 % du PIB. Elle n’est précédée que par la Finlande (58,5 %) et est désormais devant le « bourdon » danois (57 %) et nettement devant la Belgique (54,3 %) et la Suède (53 %). Mais de ces cinq pays la France est celui qui a le déficit le plus élevé : elle est suivie par la Finlande et la Belgique (3,2 %), la Suède (1,9 %) tandis que le Danemark est en excédent budgétaire de 1,2 %.

Compte-tenu du niveau de développement et de service public dans les pays en question, il est loin d’être certain que la France soit marquée par une meilleure prise en charge de la population, ou pour être plus précis, soit plus efficace ou efficiente (relation entre le résultats et les objectifs ou les moyens).

Quels sont les domaines où la dépense publique française est réellement efficace ?

Jacques Bichot : La Défense ne se débrouille pas trop mal avec un budget en peau de chagrin. L’administration fiscale, je viens de le dire, fait partie des bons élèves. La justice se débrouille moins mal qu’on ne pourrait le craindre au vu de ses budgets exsangues et des règles de procédure totalement ubuesques qu’elle et la police et la gendarmerie doivent appliquer. Certains établissements scolaires ou d’enseignement supérieur échappent à la gabegie, notamment – mais pas uniquement – au sein du secteur privé sous contrat, dont le financement provient essentiellement du Trésor public. Il en va de même pour certains hôpitaux. Le malheur est que la façon de faire de ces organismes performants ne fait pas suffisamment tâche d’huile : les cancres, si j’ose dire, ne tirent aucun profit des performances des bons élèves. Détecter pourquoi les bonnes pratiques n’essaiment pas davantage serait très utile. 

Pierre-François Gouiffès : Dans la dépense publique française, il me semble qu’il faille au moins distinguer pour votre questions deux segments différents : d’une part la production par les administrations publics de biens collectifs (défense, sécurité, santé, éducation…) et d’autre part une fonction de redistribution puisque les prestations et transferts représentent dans la présentation des dépenses par nature près de 700 Md€ soit 57 % du total.

Du côté de la production des biens collectifs, votre question pose en outre le problème structurel français d’une grande réticence collective aux pratiques d’évaluation des politiques publiques qui sont monnaie courante dans une grande partie des pays de l’OCDE. En outre il y a un regard objectivement de plus en plus critique sur deux fonctions majeures considérés il y plusieurs décennies comme des grands atouts français, à savoir la santé et l’éducation.

La question de l’efficacité des prestations et transferts et notamment des prestations sociales – dont la France a le record mondial - ouvre une boite de Pandore car cette efficacité ne peut s’analyser qua par rapport aux objectifs assignés à ces prestations et l’on a les réponses les plus variées en fonction du positionnement politique (de la destruction de la compétitivité à la préservation de la croissance via la consommation ou de l’équité), des âges (enjeu de la solidarité intergénérationnelle qui est un vrai sujet) ou de la soutenabilité financière à terme d’un tel modèle, sachant que ces prestations sociales ont encore augmenté en 2014 à un rythme – plus de 2 % - très largement déconnecté de la croissance du PIB en 2014 (0,2 % en volume et 0,8 %en valeur).

Inversement, quelle part des dépenses peut être attribuée à une mauvaise gestion des deniers publics ? Quels sont les secteurs les plus touchés ?

Jacques Bichot : La mauvaise gestion des deniers publics est d’abord provoquée, il faut en avoir conscience, par l’inflation législative et réglementaire. Plus de la moitié de nos lois et règlements sont non seulement inutiles, mais nuisibles. Des services d’inspection perdent leur temps et font perdre leurs temps aux gestionnaires d’innombrables établissements publics et privés parce qu’ils ont mission de vérifier que des règles absurdes ont bien été respectées. Des milliers de fonctionnaires de rang A consacrent leurs journées à préparer des décrets, des arrêtés et des circulaires pour des dispositions qui ne font, comme disait Georges Pompidou, qu’emmerder les Français. La productivité de l’administration est sabotée, le mot n’est pas trop fort, par l’incompétence et la vanité du personnel politique qui se croit obligé de préparer un nouveau texte chaque fois que la Mère Michel crie qu’on lui a volé son chat.

Et puis il y a les marottes, notamment celles qui portent l’étiquette « écologie » : au nom de ce sésame-ouvre-toi tous les gaspillages sont permis, depuis les portiques pour poids lourds qu’il a fallu démanteler jusqu’à la mise à la charge du contribuable et d’EDF d’une production d’électricité soi-disant non productrice de CO2 qui va nous faire démanteler à grands frais de bonnes centrales nucléaires et construire des centrales thermiques. La politique étrangère s’en mêle aussi, en particulier s’agissant de la Russie que l’on prétend sanctionner en sacrifiant des pans de notre agriculture ou de la Grèce vis-à-vis de laquelle nous avons laissé les eurocrates faire n’importe quoi.

Pierre-François Gouiffès :  Sur les prestations sociales, il y a la question de l’existence même d’un déficit – notamment avec l’ingénierie de la CADES – constitutif d’une dette sociale qui est clairement reportée sur les générations futures. En toute équité on pourrait considérer – c’était le cas jusqu’au début des années 1990 – que les comptes sociaux doivent être équilibrés et ils ne le sont absolument plus, à l’image des soubresauts des négociations relatives aux régimes de retraite complémentaire.

Sur les biens collectifs, la France connait par exemple dans le champ de l’éducation une dégradation au moins relative de sa position dans le classement PISA de l’OCDE devenu très médiatique. Sur le plan de l’organisation administrative, la France est le pays du mille-feuille territorial qui a démontré au cours des dernières années une capacité à créer ou renforcer certains échelons administratifs (région, métropole-agglomération-intercommunalité) mais sans jamais remettre en cause les autres échelons (département & commune) : la destruction créative schumpétérienne ne peut apparemment pas s’appliquer à l’administration, à l’origine de coûts de coordination probablement massifs.

Comparativement aux autres pays de l'UE, qu'est ce qui explique l'important poids de la pression fiscale en France?  Quels enseignements en tirer ?

Jacques Bichot: Bien des facteurs entrent en ligne de compte. Parmi eux l’incapacité de la classe politique française à concevoir des réformes simplificatrices. Les hommes politiques français sont absorbés par la conquête ou la conservation du pouvoir ; ils n’ont pour la plupart pas de goût pour la gestion, et pas davantage de compétence en la matière. La première caractéristique a pour conséquence l’impossibilité de mener des projets à long terme, par-delà les changements de majorité. Prenons l’exemple de la réforme des retraites : en Suède, une commission composée par moitié de sociaux-démocrates et par moitié de libéraux et conservateurs a continué à fonctionner malgré 2 alternances, et elle a ainsi accouché d’une loi cadre que le Parlement a voté à une majorité de 80 %. En Allemagne, le chancelier Kohl (Chrétien-Démocrate) a commencé à mettre en place une grande réforme, et c’est son successeur le chancelier Schröder (Social-Démocrate) qui a terminé le travail. En France, cette continuité de l’action des pouvoirs publics est hors de portée, et la très nocive réduction du mandat présidentiel de 7 ans à 5 ans réalisée par un Président-fainéant prive le pays de réaliser sous une seule mandature une œuvre de longue haleine.

Pierre-François Gouiffès : La faible croissance du PIB français depuis la crise de 2008 n’aide clairement pas. Il faut par exemple avoir à l’esprit que la Suède a fortement baissé sa part des dépenses publiques dans le PIB depuis les années 1990 grâce à une croissance souvent significative ce qui a la vertu d’augmenter le dénominateur et donc de baisser tous les ratios rapportés aux PIB.

Concernant les dépenses, les deux points majeurs d’écart par rapport à nos partenaires sont les prestations sociales (la première d’entre elles, les retraites, explique à elle seule la moitié de l’écart de dépenses publiques avec la zone euro) et les dépenses de personnel (pensons aux recrutements massifs sur trois décennies dans la fonction publique territoriale).

D'autres pays, comme les États-Unis, dépensent également une large part de leur PIB en prestations sociales mais en s'appuyant sur le secteur privé. Quels sont les avantages et les inconvénients d'une telle approche ?

Jacques Bichot : Il y a beaucoup moins de prestations sociales aux États-Unis qu’en France, même si certaines, en particulier les retraites par répartition et l’assurance maladie (pour les retraités et les pauvres), sont plus importantes que les commentateurs ne le disent généralement aux Français. La réforme de l’assurance maladie voulue par les Démocrates peine à se mettre en place. Le système de soins américain est un bon exemple de ce qui coûte trop cher aux États-Unis en comparaison des services rendus à la population (17 % du PIB contre 12 % en France) : les hommes de loi et les assurances privées se font rémunérer des services pas toujours utiles. Le juridisme excessif qui sévit aux États-Unis, en particulier dans le domaine médical, est un exemple à ne pas suivre. Et le secteur privé dont on a besoin dans les domaines médicaux, sociaux et scolaires n’est pas le système durement capitaliste qui est dominant dans ce pays : il y a place pour des organismes privés pour qui le profit compte, sans être pour autant l’alpha et l’oméga. C’est d’ailleurs ce qui se passe en partie en Amérique avec le rôle important joué par des associations religieuses ou caritatives – des organismes privés sans but lucratif. Dans le domaine social, en France comme aux États-Unis, cette formule peut être la plus adaptée pour concilier l’intérêt général et le professionnalisme de la gestion.   

Pierre-François Gouiffès :  Effectivement il faut pour des raisons d’honnêteté intellectuelle évidentes faire la distinction par exemple dans l’OCDE entre les pays qui ont décidé de confier un nombre massif de fonctions sociétales aux administrations publiques (Scandinavie, France, Belgique) et d’autres pays, notamment anglo-saxons, où ses fonctions sont confiées à d’autres institutions, notamment aux entreprises et aux administrations. C’est notamment le cas des fonctions retraite (fonds de pension aux USA et au Royaume-Uni) et santé. Ainsi les Etats-Unis passent d’une dépense sociale publique de 19,2 % à une dépense sociale totale de 28,8 % doit près de dix points de PIB de plus… sachant que la France conserve nettement son fameux leadership sur la dépense sociale totale à plus de 31 % du PIB.

Les avantages et inconvénients d’une telle approche relèvent de la liberté des entreprises et des individus et renvoient donc également à des considérations de philosophie politique. En tout état de cause, la « privatisation » de telles dépenses n’est pas à tout coup garante d’efficacité, à l’instar des critiques récurrentes concernant le système de santé américain de très loin le plus cher du monde. En face d’autres mettent en avant les avantages des fonds de pension et des régimes de retraite par capitalisation dans le financement de l’économie et la préservation du contrôle des grandes entreprises… Vaste débat !!!

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