25 ans après la chute de Ceausescu, ce qui reste de la Securitate dans la société roumaine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Nicolae Ceaușescu, dictateur roumain de 1965 à 1989.
Nicolae Ceaușescu, dictateur roumain de 1965 à 1989.
©Kightlinger

Vieux démons

Il y a 25 ans, le dictateur roumain et son épouse étaient exécutés en place publique, alors que de toutes parts le bloc soviétique s'effondrait. Ce que l'on sait moins, c'est que le service de police de l'époque était à la manœuvre, pour assurer sa propre survie. Et ça a marché.

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois est un historien et universitaire.

Il est directeur de recherche au CNRS (Université de Paris X), professeur à l'Institut Catholique d'Études Supérieures (ICES) de La Roche-sur-Yon, spécialiste de l'histoire des mouvances et des régimes communistes.

On lui doit notamment Le bolchevisme à la française (Fayard - 2010).

Voir la bio »

Atlantico : La Roumanie fête le 25ème anniversaire de la chute de Nicolae Ceaușescu ce lundi 22 décembre. Le démantèlement de la Securitate - la police d'Etat - , remplacée par le SRI, a-t-il posé problème ? La transition vers un Etat de droit a-t-elle posé problème ?

Stéphane Courtois : La Securitate était, durant le régime communiste de 1945 à 1989, le nom familier à tous les Roumains du Département de la Sécurité de l’Etat, la police politique qui était l’un des deux piliers de ce régime totalitaire, avec le parti unique. Elle fut créée dès 1944 et officialisée en 1948, par l’occupant soviétique et sur le modèle du KGB. Ses chefs étaient d’ailleurs des soviétiques "déguisés" en Roumains : le généralsoviétique Timofeï Bodnarenko dit Gheorghe Pintilie, et les officiers Boris Grünberg dit Alexandru Nicolschi – un Juif de Bessarabie – et Vladimir Mazurov dit Mazuru – un Ukrainien de Bessarabie.

Lire également : Esprit de la Stasi es-tu là ? Ce qui reste encore du système totalitaire est-allemand

Sous la férule soviétique et par le relais du Parti communiste roumain (PCR), la Securitate utilisait tous les moyens habituels du KGB : pressions, intimidations, chantage, arrestations arbitraires, saisie des biens, tortures, déportations de masse, exécutions, assassinats ciblés, espionnage, vente aux Occidentaux de citoyens roumains désireux de quitter ce régime, etc. Elle créa un système concentrationnaire sur le modèle du Goulag, symbolisé par le "canal de la mort", creusé entre le Danube et la mer Noire par près de 200 000 détenus. Autre spécialité de la Securitate, la tentative à la fin des années 1940 de transformer des étudiants nationalistes en cadres du PCR, en les soumettant, dans la prison de Pitesti, à des tortures psychologiques et physiques collectives. Dans ce pays de 18 millions d’habitants, on estime que près de 2 millions de personnes ont été victimes directes de cette terreur. Et la défection aux Etats-Unis du général de la Securitate, Ion Pacepa, en 1978, donna un important coup de projecteur sur la Securitate qui dès 1950 comptait plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires, sans parler des centaines de milliers de mouchards, à commencer par les membres du PCR tenus de dénoncer toute parole ou tout acte d’opposition au régime de Ceausescu. On comprend que sous une telle terreur, la dissidence fut très faible en Roumanie, limitée à quelques figures emblématiques comme l’écrivain Paul Goma, réfugié en France où, néanmoins la Securitate tenta de l’assassiner.

Que sont devenus les membres de la Securitate ? Certains de ses dirigeants ont-ils été confrontés à la justice ?

En réalité, la Securitate n’a subi aucun dommage lors de la chute du régime de Ceausescu. Mieux, c’est une fraction de la Securitate, en coopération étroite avec le KGB, qui a organisé la vraie-fausse révolution roumaine de décembre 1989. Profitant du mécontentement général et profond de la population, elle organisa des mouvements de foule destinés à déstabiliser le pouvoir en place et le remplacer par une nouvelle équipe favorables à Gorbatchev, tout en faisant croire à un mouvement démocratique, et tout en gardant la main-mise sur la police, l’armée, les médias et l’économie. L’opération a fort bien réussi : après la mise en scène d’un pseudo "génocide" à Timisoara puis d’une pseudo guerre civile à Bucarest et ailleurs – avec au total plus de 1100 morts et plus de 3300 blessés –, c’est la vieille équipe communiste prosoviétique de Ion Iliescu et Petre Roman qui s’est emparée du pouvoir, maintenant en place l’ensemble de la Securitate, prestement reconvertie en service de renseignement d’une république prétendument démocratique. La bataille contre la Securitate a alors été menée par des historiens démocrates, comme Ana Blandiana et Romulus Roman qui ont créé dans l’ancienne prison de Sighet un Mémorial des victimes du communisme devenu musée de la terreur communiste, et l’historien Marius Oprea qui mena, avec d’énormes difficultés et sous des menaces de mort, la bataille pour l’ouverture des archives. Ce qui n’empêche pas d’anciens de la Securitate de siéger au parlement.

Dans quelle mesure le sentiment de nostalgie en Roumanie à l'égard de la période communiste permet-il de l'expliquer ?

Durant la décennie qui a suivi 1989, on n’a perçu aucun sentiment de nostalgie, mais seulement la perpétuation du sentiment de peur qui avait prévalu pendant 45 ans. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la nouvelle génération a commencé à lever la chape de plomb, comme le montre la vitalité du jeune cinéma roumain, avec la palme d’or de Cristian Mungiu pour "4 mois, 3 semaines, 2 jours", à Cannes en 2007.

Quelles ont été les actions concrètes du président Basescu, élu en 2004 concernant l'accès aux dossiers confidentiels de la Securitate ?

Basescu a surtout eu le courage d’ordonner la publication d’un important rapport officiel sur le bilan de la terreur en Roumanie sous le communisme et a officiellement présenté des excuses publiques pour les victimes.

Ces dossiers confidentiels sont actuellement à la disposition des Roumains sur demande. Que représente cette possibilité pour l'avenir ? Peut-on espérer que les tabous de cette période communiste tombent, permettant ainsi de rétablir une vérité historique ?

La bataille pour l’histoire et la mémoire de la terreur communiste et du régime en général demeure très difficile. Aucune action judiciaire significative n’a été engagée contre des bourreaux bien connus qui ont profité du retour à la propriété privée pour s’enrichir. L’assassinat de Ceausescu et sa femme, organisé par la Securitate, a été un bon moyen pour elle de se blanchir.

Klaus Iohannis, représentant du courant libéral du paysage politique roumain, prend ses fonctions de président le 22 décembre. Que laisse présager son arrivée ?

Son élection a été une vraie surprise et démontre que la jeune génération, formée aux valeurs européennes et sachant utiliser internet, n’est pas disposée à se laisser duper par les vieux chevaux de retour du régime Ceausescu. Mais la bataille pour une Roumanie vraiment démocratique est loin d’être gagnée, surtout à la lumière de l’intervention russe en Ukraine, en Transnistrie et en Moldavie.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !