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2019, la communauté internationale échoue (encore une fois) à contrôler le réchauffement climatique
©OSCAR DEL POZO / AFP

Prévisions 2020

A l'occasion de la fin de l'année 2019, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de se pencher sur l'année à venir. Christophe Bouillaud s'intéresse à l'impuissance de la communauté internationale face au réchauffement climatique et à ses conséquences pour l'avenir après l'échec de la COP 25.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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L’évènement de 2019 le plus porteur d’avenir, ou plutôt d’absence d’avenir faudrait-il plutôt dire, n’est autre que l’échec de la COP 25 organisé à Madrid au mois de décembre. La décennie 2010 aura donc été un échec complet de ce point de vue. Il s’agissait, rappelons-le, de la 25ème conférence annuelle organisée pour permettre la mise en œuvre de la Convention-cadre des Nations-Unies sur le Changement climatique (CCNUCC). Cette dernière a été signée en 1992 par 154 Etats lors du « Sommet de Rio », aussi connu sous le nom de «Sommet de la Terre ». Elle prenait acte du consensus scientifique, déjà établi à l’époque, sur la nature anthropique du réchauffement climatique, et elle prétendait y faire obstacle. La plupart des Etats y adhérent désormais – même si les Etats-Unis de Donald Trump devraient s’en retirer dès la fin de l’année 2020 si ce dernier est réélu. Des « conférences des parties » (COP) pour sa mise en œuvre ont été régulièrement organisées chaque année depuis 1995 entre diplomates nationaux en présence d’organisations non-gouvernementales. En raison du caractère annoncé à l’avance des COP, les lieux où se déroulent les négociations intergouvernementales sur le climat sont le plus souvent cernées d’imposantes manifestations engageant les représentants des différents pays à prendre l’affaire au sérieux et à accélérer les décisions. La COP 25, présidée par le Chili, aurait dû être organisé dans ce pays, mais les mobilisations sociales dans ce pays d’Amérique Latine ont obligé à sa relocalisation à Madrid. Cette ville a donc vu converger de nombreux manifestants venus d’Europe entière, dont la désormais célèbre Greta Thunberg, personnalité de l’année 2019 aux yeux du magazine Time. La COP 25  était consacrée comme les trois précédentes COP (Marrakech 2016, Bonn 2017 et Katowice 2018) à la mise en œuvre de l’ « Accord de Paris » adopté en 2015 lors de COP 21 présidée par la France. Lors de cette dernière, les Etats signataires s’étaient engagés, sur la base du volontariat de chacun, à faire tous les efforts nécessaires de diminution de leurs émissions de gaz à effet de serre (essentiellement du CO2), pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, et, si possible, à moins de 1,5 degré. Ce dernier objectif, très ambitieux, tient compte du fait que les progrès des connaissances scientifiques, dans le cadre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui opère depuis 1988 sous l’égide des Nations-Unies, ont amené à comprendre au fil de ses rapports successifs que le seuil de 2 degrés, choisi un peu arbitrairement au départ des négociations climatiques, met déjà de nombreuses sociétés humaines en difficulté (montée des eaux, canicules, sécheresses, fonte des glaciers ou du permafrost, etc.) et en rend certaines non viables à moyen terme (cas des petites îles basses ou des polders par exemple). 

Lors de la COP 25, la procrastination l’a emporté encore une fois, rien d’important n’y a été acté : son slogan, « Time for Action », a abouti à la réalité d’un « Moment of Inaction » au grand dépit de tous les manifestants espérant faire pression hors des murs de la conférence. Les engagements volontaires des Etats en matière de réduction de leurs propres émissions de CO2 restent très en deçà de ce qu’il faudrait faire collectivement pour amener le climat planétaire à ne pas déraper complètement vers des augmentations de température moyenne dont les scientifiques ne cessent par ailleurs de souligner les dangers par une multiplication de manifestes, d’articles de synthèse et de rapports tous plus alarmants les uns que les autres, et dont les professionnels de différents secteurs (viticulture, foresterie, alpinisme, etc.) ne constatent déjà que trop les effets délétères. 

Cet échec de la communauté internationale correspond à deux réalités, l’une ancienne, l’une plus nouvelle. 

D’une part, tout le processus de maîtrise du réchauffement climatique a été calqué sur celui ayant permis de maîtriser le danger représenté par les gaz chlorofluorocarbones (CFC) pour la couche d’ozone. La Convention de Vienne de 1985 et le Protocole de Montréal de 1987, signés et appliqués par la plupart des pays producteurs et consommateurs de ces gaz servant surtout à la réfrigération, ont permis en les éliminant  de préserver la couche d’ozone. Cette réussite est due à l’existence de solutions techniques de substitution à ces gaz et au caractère très sectoriel des activités humaines en cause. Or, dans le cas des émissions de gaz à effet de serre (le CO2 et aussi le méthane), c’est l’ensemble des activités économiques (agriculture, énergie, industrie, services) qui se trouve concerné. Il faut donc tout changer, et surtout la source principale d’émission de CO2 tient en deux mots qui forment la base de nos société développées depuis deux siècles : énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole). C’est une infinité d’habitudes, de commodités, et surtout une multitude de groupes d’intérêt qu’il faut donc contrarier, dont bien sûr tous les producteurs d’énergie fossile, du plus mineur australien, polonais ou chinois à l’actionnaire d’Exxon, de Gazprom ou d’Aramco. C’est vraiment une autre économie qu’il faudrait inventer, comme lorsqu’on passe d’une économie de paix à une économie de guerre. Il n’est pas alors étonnant face à un tel défi que rien ne change. Les émissions de CO2 augmentent imperturbablement depuis 1992 avec le développement économique à l’échelle planétaire, et tout se passe comme si la CCNUCC, les COP et toutes les mobilisations pour le climat n’existaient pas. L’humanité fonce donc droit vers une « Terre invivable », pour reprendre le titre d’un essai récent, de mieux en mieux décrite par la science et subie désormais par divers pays ou secteurs professionnels, et ce ne décélérant même pas.

D’autre part, à cette sous-estimation initiale du problème, s’ajoute désormais la préparation par les grands Etats, le plus souvent grands émetteurs eux-mêmes de gaz à effets de serre, à un monde où les effets du réchauffement climatique vont jouer pleinement. Le raisonnement des Trump, Poutine, Bolsonaro, Modi et autres aspirants despotes plus ou moins éclairés semble être de plus en plus de préparer leur propre pays, et uniquement lui, à  la catastrophe qui vient. Or quel meilleur moyen de se préparer au pire des mondes possibles que d’être le pays plus riche, le pays plus puissamment armé, et celui ayant à sa disposition le plus d’énergie fossile possible ?  C’est là l’équivalent à l’échelle géopolitique de l’attitude de tout un chacun qui, face à l’inévitable multiplication des canicules dans sa propre ville, choisit de faire installer la meilleure climatisation possible chez lui, améliorant certes ainsi son propre sort, au moins à court terme, mais détériorant inévitablement le sort collectif. 

Cette anticipation par les dirigeants des grands Etats – qui se croient en mesure de s’en sortir seul - de l’impossibilité collective d’éviter les scénarios catastrophes du GIEC, dits « business as usual », qui nous mènent à 4 degrés en 2100, voire à 6 degrés de plus par rapport à l’ère préindustrielle,  apparaitra sans doute comme la tragique nouveauté de la fin de ces années 2010. Ce sauve-qui-peut général, derrière les apparences de conférences onusiennes qui promettent toujours de ne pas aller au pire et en dépit des mobilisations populaires, ressemble de plus en plus à la faillite de la SDN (Société des Nations) avant 1939. Beaucoup ayant désormais compris que la catastrophe climatique est inévitable, avec son lot de conflits et de souffrances humaines, chacun commence à prendre des garanties pour lui-même en aggravant ainsi le problème. Il ne me reste plus qu’à souhaiter, pour ne pas désespérer en ce début d’année le lecteur du présent texte, que des dirigeants conscients de cette impasse fassent des années 2020 celles d’un vrai tournant, ce qui n’ira pas sans une très politique montée aux extrêmes.  

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