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2018 le mauvais cru économique
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Bilan

L’année 2018 avait commencé sur de bonnes bases en France. Une certaine euphorie économique gagnait les responsables privés comme publics.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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En effet, toutes les zones économiques étaient en croissance. La Russie et le Brésil étaient sortis de la récession. Les inquiétudes sur les États-Unis étaient en partie reportées du fait de l’adoption de la réforme fiscale de Donald Trump. Le prix du pétrole autour de 50/60 dollars le baril satisfaisait tout à la fois les producteurs et les consommateurs. L’économie chinoise continuait cahin-caha à croître de plus de 6 % par an permettant de satisfaire les attentes du pouvoir et de générer un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie mondiale. Enfin, sans que les problèmes soient totalement réglés, la situation apparaissait relativement sous contrôle en Syrie et en Irak. L’Iran après des années d’embargo constituait une aubaine pour de nombreuses entreprises qui entrevoyaient des possibilités de développement dans un pays de plus de 81 millions d’habitants.

En 2017, le PIB en France s’était accru de 2,2 %, le déficit public revenant, de son côté, en-dessous de 3 %. De tels résultats n’avaient pas été enregistrés depuis 2007. Les indices de confiance, en particulier des entreprises, avaient atteint des sommets inconnus depuis dix ans. Même l’indice de confiance des ménages était au-dessus de sa moyenne de longue période.

Après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, les prévisionnistes s’étaient inquiétés d’une possible contagion populiste en Europe continentale. Or, que ce soit aux Pays-Bas ou en France, les élections se révélèrent plus favorables que prévu aux candidats pro-européens. Seule et contrairement à tous les pronostics, l’Allemagne, en fin d’année, se singularisa avec une progression de l’extrême droite et une fragilisation de la chancelière, Angela Merkel.

Après les très bons résultats du dernier trimestre 2017, les instituts de conjoncture, l’OCDE, le FMI, l’Union Européenne, les différents instituts économiques nationaux ont révisé à la hausse leurs prévisions de croissance. Pour la France, l’espoir était même de rééditer une croissance de 2 % et de poursuivre la réduction du taux de chômage qui, à la surprise générale, était passé en-dessous des 9 % en fin d’année. En 2017, selon l’INSEE, plus de 341 000 emplois avaient été créés.

Très rapidement, les nuages ont obscurci le ciel de 2018. Certes, nul n’imaginait, au mois de janvier, qu’ils seraient si nombreux et si sombres. Nul n’avait prévu que la France, au cours des mois de novembre et décembre, connaîtrait une des plus dures crises sociales de ces cinquante dernières années. Certes, plusieurs études dont celles sur l’épargne et la retraite du Cercle de l’Épargne soulignaient alors que les Français étaient très inquiets sur l’évolution du niveau de vie en particulier à la retraite. La hausse de la CSG intervenue au premier janvier 2018 a été, dès le départ, très mal perçue par l’opinion publique et tout particulièrement les retraités. De même, après s’être redressé au cours des deuxième et troisième trimestre, l’indice de confiance a ensuite connu une chute graduelle. L’indice mesurant le climat des affaires a également enregistré une dégradation surtout à partir de septembre.

L’augmentation du prix du pétrole a mis le feu aux poudres. En dix mois, le baril est passé de 60 à plus de 80 dollars. Cette augmentation a été d’autant plus durement ressentie en France qu’elle s’est accompagnée d’un relèvement de la taxe sur la consommation des produits énergétiques. Ce relèvement avait notamment comme objectif l’alignement de la fiscalité du gazole sur celle de l’essence sans plomb. 70 % du parc automobile étant constitué de véhicules diesel, la majoration a touché tout particulièrement ceux qui utilisent leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail ou qui habitent loin des agglomérations. Cette augmentation du prix du carburant a eu comme conséquence de faire disparaître les gains de pouvoir d’achat générés par la chute du cours du baril entre 2014 et 2016. À l’époque, les ménages français avaient bénéficié d’une réduction de leur facture énergétique de près de 1 000 euros sur deux ans. La remontée du cours du pétrole a provoqué une reprise de l’inflation, dépassant les 2 %, pour la première fois depuis 2011. Cette légère résurgence de l’inflation a eu comme conséquence une diminution du pouvoir d’achat au cours de l’année 2018. La hausse du pétrole a pesé sur la demande intérieure. La consommation des ménages a été décevante durant tout le premier semestre. Depuis le pétrole est en forte baisse en lien avec le ralentissement de la croissance, l’augmentation de la production américaine et la fin des anticipations négatives sur l’embargo iranien. Le baril de Brent était ainsi en-dessous des 55 dollars le baril le 21 décembre 2018. Cette chute du prix du pétrole a commencé à avoir des effets sur l’indice des prix qui en France pourrait assez rapidement se rapprocher d’un pour cent.

La croissance s’est donc ralentie au cours du premier semestre. Elle n’a été que de 0,2 % pour chacun des deux premiers trimestres. L’activité a été pénalisée par les grèves dans les transports au printemps. Une légère accélération a été constatée au cours du troisième trimestre avec un taux de 0,3 % (révisé en baisse le 21 décembre), accélération décevante car un rebond plus important était attendu. Enfin, le dernier trimestre devrait être entaché par les conséquences des manifestations des gilets jaunes. Le PIB n’est désormais prévu en hausse que de 0,2 % en lieu et place de 0,4 point initialement attendu. Pour l’ensemble de l’année 2018, le taux de croissance devrait être de 1,5 %, soit 0,7 point en-dessous de 2017.

Contrairement aux attentes, le marché de l’emploi s’est légèrement grippé dès le premier trimestre. Les créations d’emploi se sont ralenties et le nombre de demandeurs d’emploi a cessé de diminuer. Pour certains, cette déception était à mettre au compte de la trop belle fin d’année. Après un moment d’emballement, l’économie se calmait mais cela était censé n’être que temporaire. Le léger recul de l’investissement des entreprises et des ménages symbolisait alors ce retour à la normale. Pour d’autres, plus pessimistes, ce retournement était imputable aux goulots d’étranglement de l’économie française. Le sous-investissement de ces dernières années pèse sur les capacités de production. Le manque de personnel formé aux nouvelles techniques freine les créations d’emploi. En 2018, le nombre de créations nettes d’emploi devrait atteindre 107 000, soit trois fois moins qu’en 2017.

En termes de pouvoir d’achat, entre le ressenti et les chiffres de l’INSEE, l’écart est important. En effet, selon l’étude de conjoncture du mois de décembre, le revenu disponible des ménages augmenterait de 3,1 % en 2018 faisant suite à une hausse de 2,7 % en 2017. Après prise en compte de l’augmentation des prix, le pouvoir d’achat serait en progression de 1,4 %, soit le même taux qu’en 2017. Ces chiffres ne sont que des moyennes et ne permettent pas d’apprécier des situations particulières liées aux coûts du logement ou des transports.

Les entre-deux économiques sont toujours les plus dangereux pour les gouvernements. Après plusieurs années difficiles, à l’annonce de résultats meilleurs, la population espère une amélioration immédiate de sa situation. Il y a alors un écart important entre les résultats économiques et le ressenti. Cet écart crée de la frustration et des revendications. À une autre époque, Lionel Jospin lors de la reprise de la croissance en 1999 en avait fait les frais avec le fameux débat sur la cagnotte fiscale. Le train de réforme et surtout la multiplication des annonces gouvernementale ont désarçonné une partie de la population. Le sentiment que seuls certains Français étaient bénéficiaires tant de la reprise économique que des réformes a conduit à une montée du mécontentement. La soif d’équité qui s’était manifestée lors de l’élection présidentielle de 2017 est resté depuis très forte. L’idée que les impôts et les charges ne soient pas répartis de manière égalitaire traverse l’ensemble de la société française. Les lignes de fracture qui s’étaient manifestées, au cours de la campagne présidentielle, sont demeurées béantes. L’opinion publique est de plus en plus segmentée. À la division des catégories sociales s’est ajoutée celle des territoires avec, d’un côté, le cœur des métropoles et, de l’autre, le milieu rural et les périphéries des grandes villes. La réduction du nombre de régions a été durement ressentie par les habitants des anciennes préfectures régionales comme Poitiers, Limoges, Metz ou Châlons-en-Champagne. L’hostilité à l’égard de Paris, la capitale, qui est largement partagée au sein de la population en province s’est accentuée. La désindustrialisation a fortement frappé les villes de taille moyenne de province donnant l’impression que la capitale aspirait toute la création de richesse. Comme Londres, Barcelone, New York, etc., l’économie de la région capitale obéît de plus en plus à des considérations d’ordre mondial.

Comme ses partenaires économiques, la France est également confrontée aux évolutions de la conjoncture mondiale. Le contexte favorable de la fin de l’année 2017 s’est dégradé. La croissance chinoise est également atteinte par le ralentissement du commerce international. Elle l’est également par les déséquilibres économiques qui se font jour. L’endettement des entreprises et des collectivités locales augmente rapidement tout comme les capacités de production excédentaires. De nombreux centres commerciaux ne sont que des rues désertes. Les autorités tentent pour des raisons politiques de maintenir le taux de croissance au-dessus de 6 % mais le pays tourne un peu à vide. Les autorités pratiquent de plus en plus le stop and go, alternant entre relance et refroidissement. Elles ont recours aux instruments de la politique monétaire non conventionnelle, le rachat d’obligations et le maintien de taux bas. Des projets d’investissement sont engagés afin de moderniser l’intérieur de la Chine mais le retour sur investissement est long et incertain. Les conséquences de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sont difficiles à apprécier. En effet, le commerce international devrait enregistrer, en 2018, une forte croissance, de près de 5,5 %. Une partie de cette progression est imputable à des achats réalisés en anticipation des majorations de droits décidées par l’administration américaine. Malgré tout, la volonté des États-Unis de revoir les règles du commerce international en récusant le multilatéral au profit d’accords bilatéraux n’est guère propice à terme à la poursuite de son expansion. L’INSEE estime que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne risque également de peser sur les échanges internationaux. Il prévoit que la croissance du commerce international reviendrait de 1 % par trimestre à 0,6 % ou 0,8 % par trimestre durant la première moitié de 2019.

Le climat au sein de l’Union européenne s’est également tendu tout le long de l’année. Tous les grands pays de l’Union européenne doivent faire face à des situations inédites. L’Espagne essaie de soigner tant bien que mal la tentative ratée d’irrédentisme de la Catalogne, l’Italie expérimente une coalition constituée des partis extrémistes, l’Allemagne vit la fin de l’ère Merkel et la France doit faire face à un malaise social inédit. À cela, il convient d’ajouter la longue négociation du Brexit. De ce fait, l’Europe ressort affaiblie de cette année qui a vu le duopole Chine/États-Unis s’affirmer à travers la conclusion d’un moratoire au sujet de la guerre commerciale au mois de décembre lors du G20 à Buenos Aires. L’Europe est confrontée sur son flanc Est à la montée en puissance du nationalisme russe et plus globalement à la problématique des migrations. Les États membres de l’Union européenne éprouvent les pires difficultés à dégager des consensus, que ce soit sur l’évolution de la zone euro, sur la fiscalité des GAFA ou sur les flux migratoires. La négociation avec le Royaume-Uni pour fixer les conditions de son départ ne semble pas, en revanche, avoir donné lieu à des divergences de position entre les États membres. Le couple franco-allemand après avoir été réamorcé, est à la peine. Il convient de s’interroger sur la pérennité du concept au sein d’une Europe à 27 dans laquelle certains États ne supportent guère les injonctions en provenance de Paris ou de Berlin. La Pologne, l’Italie, l’Espagne, la Suède ou la République tchèque entendent être également parties prenantes des évolutions de l’Union. La croissance de la zone euro après un léger mieux au quatrième trimestre, +0,4 %, stagnerait à +0,3 % au premier et au deuxième trimestre 2019. Elle serait alors assez proche du taux de la croissance potentielle. L’Allemagne qui a été handicapée par les nouvelles normes anti-pollution depuis le mois de septembre 2018, devrait connaître un rebond au dernier trimestre avec un taux de croissance de +0,5 %. Pour le premier semestre 2019, notre voisin outre-Rhin évoluerait au même rythme que l’ensemble de la zone euro.

La France devrait réaliser une contreperformance pour le quatrième trimestre avec un taux de croissance évalué tant par l’INSEE que par la Banque de France à +0,2 % permettant un taux de croissance annuelle de 1,5 %. Un léger rebond est espéré au premier trimestre 2019, +0,4 %, qui serait suivi d’un léger tassement avec un gain de +0,3 % pour le deuxième trimestre. L’INSEE prévoit une très légère amélioration pour l’industrie au cours du premier semestre et une dégradation pour la construction en lien avec le recul de l’investissement des ménages. Seul le secteur des services marchands échapperait à la morosité. Le taux de chômage devrait rester stable à 9,1 % dans un contexte de faibles créations d’emploi. Du fait des mesures annoncées au mois de décembre, l’acquis de pouvoir d’achat à mi-année 2019 serait de 2 %. L’institut statistique prévoit une légère reprise de la consommation au cours du premier semestre.

Un ralentissement économique est attendu aux États-Unis du fait de la fin des effets du programme fiscal adopté en 2017. Au premier semestre 2019, la croissance de la consommation serait divisée par deux par rapport au rythme actuel. L’investissement des particuliers serait également en recul en raison de la hausse des taux d’intérêt.

Le Japon après la contraction de son PIB au troisième trimestre renouerait avec la croissance au quatrième (+0,4 %), mais celle-ci s’affaiblirait à nouveau au cours du premier semestre 2019 (+0,2 % au premier trimestre et +0,3 % au deuxième).

Au Moyen Orient, la situation demeure d’une rare complexité. Les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite demeurent vives et s’illustrent par la poursuite du conflit au Yémen. La décision de Donald Trump de remettre en cause l’accord avec l’Iran a conforté la position de l’Arabie saoudite.

A la fin de l’année 2018, l’idée que l’économie mondiale arrive au terme d’un cycle de croissance est de plus en plus partagée par les investisseurs, ce qui se traduit notamment par une forte baisse des cours boursiers. La fin des politiques monétaires non conventionnelles et la hausse des taux qui en résulte n’est pas sans conséquence sur les flux de liquidités et sur leur allocation. Les tensions commerciales et sociales pourraient s’accroître en 2019 surtout en cas de confirmation du ralentissement de la croissance. La bonne nouvelle serait néanmoins le maintien du baril de pétrole en-dessous de 70 dollars qui permettra de peser sur l’inflation et garantir des gains de pouvoir d’achat. Le retour de la croissance reste conditionné par l’obtention de gains de productivité. Or, ces derniers sont plus faibles dans des économies tertiaires que dans des économies industrielles. La désindustrialisation de l’occident qui concerne tous les secteurs traditionnels comme de pointe n’est pas sans incidence sur le niveau de la croissance des prochaines années.

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