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2018 : année molle
©LUDOVIC MARIN / AFP

Vivement 2019...

L'année 2018 aura été insaisissable.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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En politique internationale, les temps sont à l'accoutumance, y compris face aux surprises.
On a vu s'initier un rapprochement entre deux Corées - qui finiront par se réunifier. 
Les interventions russes un peu partout par l'intermédiaire de leurs agents secrets ou de leurs hackers ne surprennent plus  – on s'y est habitué aussi.
Les Castro de Cuba sont partis sans que personne s'en aperçoive
Les élections en Hongrie et surtout en Italie ont confirmé la poussée populiste partout en Europe, déjà visible lors des élections de l'automne 2017 en Autriche.
L'Espagne continue de se désagréger en douceur. Des gouvernements sans majorité ne réagissent pas face au forcing de l'indépendantisme catalan qui occulte la montée d'un double voire triple populisme, celui de Podemos, celui de Ciudadanos et maintenant celui du parti d'extrême droite Vox.
La victoire française à la coupe du monde de Football n'a pas suscité l'enthousiasme vibrant de 1998. L'illusion lyrique black-blanc-beur a perdu sa composante beur au profit de l'inflation des transactions.
L’État islamique a continué à perdre du terrain en Syrie et en Irak mais sans disparaître : il est toujours là, dormant. Le problème kurde reste entier et la « question d'Orient », lancinante depuis la fin du XVIIIème siècle au moins, reste en l'état avec pour protagonistes la Russie, la Turquie renouant avec les rêves d'empire ottoman et l'Iran héritier de l'empire perse. 
Partout et tout au long de l'année les USA ont imposé leur loi : leur loi économique dans la guerre commerciale, leur Real Politik isolationniste et cynique qui se cache à peine derrière les rodomontades de Trump.
Bref impérialisme économique, réalisme cynique et populisme se sont imposés sans que ça inquiète quiconque.
Dans le même temps, l'Union européenne est en voie de dissolution, pas seulement à cause du Brexit, pas seulement à cause de la fracture entre ex-pays soviétisés et pays de l'Ouest, mais plus encore en raison de l'impéritie d'une oligarchie de Bruxelles qui veut surtout ne rien voir des menaces et continue à pondre impavidement ses directives.
Nous nous sommes habitués/résignés aussi à la pression migratoire constante, au business des passeurs - humanitaires ou mafieux - et aux attentats terroristes ubérisés.
On a une étrange impression d'anesthésie devant les changements. Faute d'événements majeurs, on fait comme si tout allait bien. De ce point de vue 2018 fut sans drame...

En politique intérieure française les réformes annoncées par le président Macron ont commencé sans trop d'encombre : réforme du baccalauréat, des programmes scolaires, des procédures d'admission à l'université, loi travail, formation professionnelle et apprentissage, prélèvement à la source, réforme SNCF.
Ces réformes ont semblé bien accueillies, dans un mélange de résignation et de conscience de leur nécessité. 
Sauf que ce calme s'est révélé trompeur.
L'effet des mesures fiscales (bascule cotisations salariales - CSG, projet de taxation écologique) conjugué au ralentissement économique et à des mesures apparemment bien intentionnées mais financièrement pénalisantes (radars, limitation de vitesse, contrôle technique renforcé des véhicules), assorti d'une absence stupéfiante d'explication sur la cohérence de la politique suivie a débouché sur la crise des Gilets jaunes – ni plus ni moins qu'une révolte de la classe moyenne, une sorte d'Intifada des modestes.
L'atmosphère molle et insaisissable est devenue soudain violente et explosive.
A l'évidence, le pouvoir n'a pas vu venir la menace, il n'a pas été capable d'en mesurer la gravité et il n'a pas non plus su trouver la réponse - sinon en lâchant brusquement mais trop tard du lest sonnant et trébuchant dans la panique. Encore faudra-t-il attendre la fin du mois de janvier 2019 pour mesurer l'impact du prélèvement à la source de l'impôt. 
Ajoutons que certaines questions cruciales comme celles du contrôle du fondamentalisme musulman, de la pression migratoire, de la montée des communautarismes anti-républicains, qui sont au cœur de la révolte des Gilets jaunes, n'ont pas été abordées par le pouvoir qui, tout simplement, n'osait pas avoir de doctrine sur elles – et continue à ne pas vouloir en avoir.

Bref, on a le sentiment d'une sorte de calme bonace alors que des changements considérables se déroulent sans que nous puissions ou voulions en prendre la mesure.

Au niveau de la planète, du global comme on dit, 2018 aura montré que trois facteurs pèsent de manière décisive sur nos vies et sur la politique sans que nous ayons prise sur eux : le changement climatique, le capitalisme financier à travers la politique des banques et notamment la création irresponsable de monnaie, les intérêts géo-stratégiques des grandes puissances. De ce point de vue, le président Macron se sera (et nous aura) payé d'illusions en croyant qu'il était prioritaire de faire de nouveau de la France un acteur majeur. Il eût mieux fait de prendre la température de son pays plutôt que de jouer au bras de fer comme un gamin avec Trump ou Poutine.
Dans le domaine national français, indissociable de son contexte européen, les prétendues « élites » de gouvernement, en fait les oligarchies et bureaucraties politico-économiques qui se gargarisent des mots start-up, mutation, vie éternelle, flexibilité, agilité et enchères record ont brusquement été forcées de découvrir l'existence d'un animal souvent docile mais qui finit parfois par faire des révolutions : le peuple – ce démos dont les Grecs avaient bien compris qu'il forme la partie majoritaire et la plus modeste de la cité. 
Et donc beaucoup de choses, presque tout, sont entièrement à refaire. 

Ce n'est pas parce qu'une situation est molle qu'elle ne peut pas se durcir.

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