2013, année de la vraie fin de la crise pour Wall Street, 2014, année d'un méga boom économique pour les Etats-Unis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La croissance mondiale doit passer de 2,9% en 2013 à 3,6% en 2014.
La croissance mondiale doit passer de 2,9% en 2013 à 3,6% en 2014.
©Reuters

Money money money !

A en croire l'agence de notation Moody's, les Etats-Unis seraient à la veille d'une très grande phase de croissance. Une vision crédible mais qui est néanmoins sujette à caution.

Atlantico : Selon les prévisions du Fond monétaire international, la croissance mondiale doit passer de 2,9% en 2013 à 3,6% en 2014. Que penser de ces prévisions ? Sont-elles crédibles ?

Alexandre Baradez : Oui, ces prévisions sont tout à fait crédibles dans la mesure où les États-Unis devraient conserver ce rythme de croissance soutenue, que le Japon a mis en place une série de mesures de relance budgétaire et monétaire (les Abenomics) et que l’Europe poursuit son intégration et le rythme de ses réformes structurelles tout en assouplissant, certes modestement, certaines mesures d’austérité (renégociation des dettes sur durée plus longue et date ultérieure pour atteindre objectif de déficit public). 

Nous pourrions également assister à un rebond des pays émergents dans le cadre d’un possible rebond des matières premières dont les prix ont été tirés à la baisse depuis plusieurs années et ce, en raison d’un tassement de la demande mondiale impactée par les crises successives des subprimes aux États-Unis et de la dette en Europe. L’abondance des liquidités présentes dans le marché pourrait également favoriser ce mouvement de hausse. Des doutes persistent toutefois sur le niveau de croissance de la Chine qui s’est lancée dans un vaste chantier à long terme de réformes structurelles et dont le secteur financier connait, depuis quelques mois, certaines tensions sur le marché interbancaire notamment (juin dernier et récemment au mois de décembre).

Xavier Timbeau : Ces prévisions sont crédibles. L'ambiance est évidemment morose, 2012 et 2013 ont été des années de ralentissement de la croissance mondiale, voire de récession en Europe. Les économies développées ont lourdement subi les effets de la crise mais elles bénéficient aujourd'hui d'un effet de rebond qui est très important même si celui-ci reste insuffisant pour retrouver notre niveau économique d'avant 2008.

D'après Mark Zandi, chef économiste de Moody's, les États-Unis devraient grandement profiter de cette accélération. Les États-Unis sont-ils vraiment à la veille d'une très grande phase de croissance ?

Alexandre Baradez :  Sans aller jusqu’à une "très grande" phase de croissance, il semble acquis que la croissance américaine sera soutenue en 2014 sachant que le chiffre définitif du PIB au 3ème trimestre vient d’être annoncé : 4.1% alors que les estimations précédente faisaient état de "seulement" 3.6%.

Même si la croissance du PIB américain du 3ème trimestre a bénéficié d’un fort effet de reconstitution des stocks (1.7%), elle reste tout de même soutenue sans tenir compte de cet effet ponctuel. Il est intéressant de constater que ce bon chiffre de la croissance du PIB a été tiré par un renforcement de la demande intérieure (consommation) et lorsqu’on observe le niveau des indices mesurant le sentiment de confiance des consommateurs (notamment celui mesuré par l’université du Michigan), ils sont également bons. Petit bémol toutefois sur le front de la consommation avec une très faible progression du revenu des ménages au cours des derniers mois qui pourrait impacter négativement la consommation si on n’observait par rapidement une accélération à la hausse de ces revenus.

Xavier Timbeau :Les États-Unis sont dans une position favorable à certains points de vue : la situation des banques s'est améliorée depuis 2008, leur assainissement a été douloureux mais il a été fait. En outre, les entreprises ne sont pas dans une mauvaise situation. En cas de ré-accélération de la de la croissance mondiale, le système financier américain sera à même de toucher de nouvelles gammes de marché.

Il ne faut pas non plus oublier que les États-Unis sont dans une situation de coût favorable en matière d'énergie grâce aux gaz de schiste. Enfin, le mouvement de réindustrialisation entamé en 2008 avec par exemple la restructuration du secteur automobile, ouvre de nouvelles perspectives économiques, notamment en matière d'exportation.

Mais il y a des facteurs moins positifs notamment en matière budgétaire. Le congrès peut très bien enclencher des restrictions budgétaires brutales à même de perturber l'économie américaine. La stratégie d'assainissement budgétaire aux États-Unis ne passe pas par des augmentations d'impôts mais par des baisses de dépenses. Cela pourrait couter cher en croissance aux États-Unis.

Le dernier point est la situation financière des ménages. Les choses ne sont pas claires sur ce sujet car il y a eu depuis des années une très grande montées des inégalités. Le sujet est socialement très sensible comme l'a illustré le mouvement Occupy Wall Street à l'automne 2011. En prévoyant une grande phase de croissance pour les États-Unis, Moody's néglige un peu la dimension inégalitaire États-Unis, qui est pourtant devenue centrale dans le débat.

Quels sont les éléments qui pourraient permettre aux États-Unis de retrouver une grande phase de croissance ? Un renouveau du marché immobilier, la réduction de l'injection de liquidités par la Fed ou d'autres éléments encore ?

Alexandre Baradez :Un pilier historique et culturel reste celui de la demande intérieure. Cette dernière participe de manière récurrente à la croissance du PIB. Un autre facteur pouvant tirer la croissance à la hausse est, paradoxalement, le ralentissement du QE3. En effet, une bonne partie de la liquidité générée par ce plan de relance monétaire s’est retrouvée investie sur des actifs en dehors des États-Unis. Un rapatriement de ces actifs peut soutenir la croissance à court et moyen terme puisqu’il est de nature à stimuler les investissements sur le territoire fédéral. Nous avions déjà pu constater le retour partiel du "reshoring" face à la montée des coûts de productions en Asie mais également dans un souhait de conserver certaines activités stratégiques à forte valeur ajoutée et de mieux en contrôler la qualité et les délais. L’investissement aux Etats-Unis constitue donc un formidable levier de croissance pour les années à venir.

Il  ne faut pas non plus occulter le fait que les États-Unis ont accru leur indépendance énergétique au cours de ces dernières années et parviennent donc à s’approvisionner en matières premières énergétiques à coût raisonnable ce qui constitue un avantage compétitif supplémentaire. Cette tendance devrait encore se poursuivre quelques années.

Il semble assez peu probable que le secteur immobilier participe à ce dynamisme global dans la mesure où nous devrions assister à une remontée des taux américain dans les mois qui viennent, due au ralentissement de l’accompagnement monétaire et à une croissance qui repart. Cette hausse des taux pourrait, à terme, renchérir le coût du crédit surtout si la FED décide de relever progressivement ses taux directeurs. Ce n’est pas dans ses projets pour l’instant mais face à une croissance soutenue et face au risque potentiel de voir émerger de nouvelles bulles, elle ne prendra pas le risque d’une crise similaire à celle de 2007/2008 et sera contrainte d’augmenter ses taux.

Le faible niveau d’inflation écarte ce scénario à court terme mais un rebond en 2014/2015 du prix des matières premières, qui ont fortement chuté depuis 2 à 3 ans, pourrait le rendre plus crédible.

L'Europe, et donc la France, va-t-elle bénéficier de cette phase de croissance américaine ? Peut-on imaginer que l'Europe soit, elle-aussi, à la veille d'une grande phase de croissance ?

Xavier Timbeau : L'Europe est dans la même situation que les États-Unis à certains points de vue, notamment concernant le potentiel de rebond même si on est encore loin de pouvoir retrouver le niveau de 2008.

Mais il y a aussi de grandes différences : l'Europe a fait le choix de l'austérité et cela a pesé sur la croissance. Au niveau du système bancaire, la situation est beaucoup moins assainie et dans ce moment où il devrait y avoir une reprise, cette situation pèse sur la capacité de rebond de l'Europe, quand bien même il y aurait un retour de la croissance.

Alexandre Baradez :Je ne pense pas que l’Europe puisse retrouver rapidement une phase de croissance rapide mais en revanche la situation macroéconomique s’améliore progressivement. La croissance restera freinée par le taux de chômage très élevé en zone euro (près de 12% de la population active) qui pèse sur la demande intérieure. Difficile d’imaginer un regain de consommation dans ces conditions-là.

Autre facteur qui freine la croissance en Europe, l’absence de dynamisme du crédit, aussi bien côté offre que demande. C’est tout le problème actuel de la BCE de ne pas voir l’effet de ses mesures non conventionnelles avoir un impact sur le financement des PME-PMI. Les LTRO mis en place il y a quelques temps maintenant ont surtout bénéficié à la détente des taux d’emprunt des pays fragiles de la zone euro mais les banques n’ont pas utilisé ces liquidités pour les réinjecter dans l’économie, faute de visibilité.

En revanche, cette détente des taux a permis à de nombreux Etats de gagner du temps et de mettre en place un certain nombre de réformes structurelles les rendant plus compétitifs. Et aujourd’hui de nombreux États périphériques et du sud de l’Europe dégagent un excédent primaire (hors charge de la dette) et voient leurs exportations s’accroître. Il faudra encore du temps avant que leur situation budgétaire s’améliore mais cette compétitivité partiellement retrouvée participe à la reprise de la croissance en Europe et favorise l’investissement.

De manière globale le fort niveau d’endettement persistant continue de freiner la croissance mais la "convergence" progressive des économies et le rééquilibrage des balances commerciales devrait accélérer cette tendance de reprise. Sachant que la BCE pourrait intervenir de nouveau en 2014 par le biais de mesures conventionnelles et non conventionnelles accélérant ainsi la baisse de l’euro, facteur de compétitivité pour plusieurs pays de la zone euro. Sans oublier la mise en place d’un accord de libre-échange Europe/Etats-Unis qui pourrait stimuler la croissance européenne et notamment la croissance française.

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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