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1981, le remake : faudra-t-il à nouveau 2 ans aux socialistes pour passer du dirigisme au réalisme en matière de politique industrielle ?
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Désindustrialisation française

Dossier consacré aux ravages causés par la désindustrialisation en France. Réalisé par le site Débat & Co, il est intitulé "Industrie : la France a-t-elle besoin d'un plan ?". Épisode 1/3 : retour historique sur les années 1980 et la politique économique du gouvernement Mauroy.

Odile Esposito

Odile Esposito

Odile Esposito est ingénieur de formation et passée par l'enseignement. Elle débute sa carrière de journaliste à l'Usine Nouvelle, dont elle finira par prendre la rédaction en chef, avant d'intégrer les Echos, où elle dirigera notamment la rédaction du site internet, puis la Tribune, au poste de rédactrice en chef Industrie et Services, puis Editos/Opinions. Désormais freelance, elle collabore à la rédaction de Débat&co.

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Cet article est publié en partenariat avec le site Débat&co qui consacre
un dossier au redressement productif

Lire aussi : Dans le vif : entre redressement de l'industrie française et préservation des rentiers de la fonction publique, le gouvernement devra trancher

L

orsque les socialistes arrivent au pouvoir en 1981, l’industrie nationale est en mauvais état. Depuis 1974, elle enregistre un « décrochage », notamment par rapport à sa rivale allemande, raconte l’économiste Elie Cohen dans son livre « l’Etat brancardier », paru en 1989. Victime, explique l’auteur, des limites d’un modèle reposant sur deux grandes caractéristiques : un rôle central de l’Etat, avec la culture des « grands projets » qui tendent à focaliser les efforts commerciaux des industriels vers l’Etat au détriment du marché ; et, en contrepartie, un « compromis social inflationniste » qui « manifeste le refus consensuel de l’Etat, des syndicats et des patrons de maîtriser les évolutions nominales des revenus et des prix ». La sidérurgie, par exemple, est sous perfusion totale de l’Etat et des banques qui ont englouti plusieurs dizaines de milliards de francs dans des plans de sauvetage. Une crise que le chercheur du CNRS Michel Freyssenet, dans son livre « La sidérurgie française 1945-1979 : l’histoire d’une faillite », attribue au fait que les groupes français se cantonnent alors aux « produits longs » (poutrelles, barres etc.), pour lesquels une modernisation immédiate des aciéries ne s’impose pas, alors que des industries clientes en plein essor, l’automobile notamment, sont contraintes d’importer des aciers plats de qualité. 

Une industrie sous perfusion

Dans ce contexte difficile, les socialistes commencent par appliquer le Programme commun sur lequel François Mitterrand a été élu. Le Premier ministre Pierre Mauroy décide un vaste plan de relance : embauche de 55 000 fonctionnaires, hausse de 10 % du Smic, relèvement des prestations familiales et sociales… près de 10 milliards de francs sont injectés dans l’économie. Puis, en 1982, suit la nationalisation promise de grands groupes industriels : CGE, Pechiney Ugine Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, Thomson-Brandt. A la fin 1982, 29 % du chiffre d’affaires de l’industrie nationale et 23 % de ses effectifs sont dans le giron de l’Etat. Au même moment, Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux États-Unis font eux, le mouvement exactement inverse… Ces grands groupes nationalisés sont notamment appelés à venir au secours des PME.

En parallèle, le gouvernement Mauroy multiplie les plans sectoriels pour soutenir des industries traditionnelles (textile, machine-outil, jouet), pour restructurer (chimie) ou pour développer des domaines nouveaux comme l’électronique. Il décide aussi une relance de l’exploitation charbonnière alors que tous les experts soulignent la trop faible rentabilité des mines françaises. Il se démène enfin pour tenter de sauver les entreprises en difficultés, à travers notamment le fameux CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle). Un organisme où règne, selon Elie Cohen, « l’absence de frontières entre le politique et l’administratif, le public et le privé, la norme et le choix discrétionnaire, le flou dans les finalités assignées... ».

Sortir de l'impasse

Mais cette tentative de relance échoue. Et dès 1984, s’opère un revirement spectaculaire. L’Etat décide une vaste restructuration des secteurs les plus en difficultés : constructions navales, charbonnage, sidérurgie et automobile. L’objectif est de pousser à la concentration pour éliminer les entreprises les moins performantes et de mettre un terme aux surproductions. Il est ainsi prévu de conserver quatre grands sites de construction navale (Dunkerque, La Ciotat, La Seyne et Saint-Nazaire), mais en réduisant leur capacité de 30 % en trois ans, au prix de 5 000 suppressions d’emplois sur un total de 18 000. Dans les Charbonnages, qui emploient encore 57 000 personnes, l’objectif est de réduire la production de 18 millions de tonnes à 11 millions de tonnes par an, ce qui nécessite de faire partir 6 000 salariés par an.


Dans la sidérurgie, le « plan acier » consiste à supprimer 25 000 emplois sur 90 000 en trois ans, avec fermeture de plusieurs sites (Gandrange et Rombas en Lorraine ainsi que Fos-sur-Mer)
. Dans l’automobile enfin, l’heure est à la robotisation généralisée avec disparition programmée de plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Ces annonces provoquent des réactions très vives, notamment parmi les sidérurgistes qui décident en avril 1984 une marche sur Paris, ainsi que la colère des communistes qui rompent leur accord de gouvernement.

Le symbole de cette conversion au réalisme sera, selon Elie Cohen, la faillite en juin 1984 de Creusot-Loire, un des fleurons pourtant de l’industrie nationale avec quelque 30 000 salariés. « L’Etat n’est pas une machine à éponger les erreurs de gestion », explique le ministre de l’industrie de l’époque, Laurent Fabius, promu peu après à Matignon. Cet épisode marque la fin du soutien inconditionnel de l’Etat aux canards boiteux, au nom de la défense de l’emploi.

Dans les années suivantes, la politique industrielle du gouvernement consistera plutôt à convaincre des entrepreneurs à reprendre les groupes en difficultés. Fin 1984, l’Etat aide ainsi financièrement un entrepreneur du Nord, Bernard Arnault, à reprendre le groupe textile Boussac, propriétaire notamment de la maison de couture Christian Dior, du Bon Marché, de l’enseigne Conforama ou des couches-culottes Peaudouce. Et ce, contre la promesse de conserver les 16 000 salariés du groupe. Trois ans plus tard, c’est un autre homme d’affaires, François Pinault, qui sera incité à reprendre La Chapelle d’Arblay, numéro un du papier journal en France. Les deux repreneurs se débarrasseront très vite de l’essentiel des actifs ainsi acquis, mais jetteront les bases de deux géants du CAC 40, LVMH et PPR.

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