18e sommet franco-allemand : l'Europe face au dilemme de la bicyclette, si on n'avance pas on tombe mais Paris et Berlin ont-ils encore envie de pédaler où que ce soit ensemble ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Europe est face au "dilemme de la bicyclette".
L'Europe est face au "dilemme de la bicyclette".
©Späth Chr. / Flickr

François et Angela sur un vélo

Jeudi 7 avril, les deux pays vont tenter de trouver une position commune pour une meilleure intégration européenne, centrée sur les pays de la zone euro. Pourtant, les soubresauts vécus par l'Union européenne depuis 2015 rendent les chances d'y parvenir (et de le faire accepter par les autres pays) plus que difficiles.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : jeudi 7 avril se tiendra le sommet franco-allemand à Metz pour le 18ème conseil des ministres franco-allemand. Les deux pays espèrent trouver une position commune sur l'approfondissement de la zone euro d'ici à la fin de l'année. Le grand "bond en avant" dans l'intégration que représenterait par exemple la mise en place d'un Parlement de la zone euro est-il réalisable dans un contexte politique où l'UE vacille ?  François Hollande dispose t il du capital politique suffisant pour permettre une réelle avancée sur le terrain franco -allemand  ?

Christophe Bouillaud : On peut avoir quelques doutes sur la capacité des dirigeants français et allemand actuels à faire avancer vraiment une telle évolution institutionnelle. En effet, de deux choses l’une, soit on continue à bricoler à traités constants comme on le fait depuis 2010 ou en proposant un autre traité "technique" comme le TSCG de 2011-13, et, dans ce cas, c’est alors un abus de langage de parler d’un "grand bond en avant", soit on se décide enfin à doter la zone Euro des institutions politiques au sens fort que cette monnaie commune appelle, c’est-à-dire d’un pouvoir fédéral et démocratique, qui puisse définir par exemple une taxation européenne, mais, dans ce cas-là, on se heurtera immédiatement à l’obstacle référendaire. Certes, en France, il est presque certain que LR et le PS auront toujours à eux deux une majorité pour ratifier un nouveau traité européen sans consulter la population. Par contre, en Allemagne, la Cour constitutionnelle a bien précisé dans son jugement de 2009 sur le Traité de Lisbonne que, si l’intégration européenne devait aller substantiellement plus loin, il faudrait consulter directement le peuple allemand. La création d’un Parlement de la zone euro avec des compétences fiscales typiques d’un Parlement depuis que la notion même de "parlement" existe serait d’évidence un abandon très substantiel de souveraineté pour l’Allemagne qui devrait logiquement amener le gouvernement allemand à consulter le peuple outre-Rhin. Du coup, puisque les Allemands pourraient voter sur ce traité,  il serait difficile de ne pas consulter aussi les Français, et sans doute aussi les autres peuples des pays de la zone Euro. Dans l’état actuel de l’économie et de la politique dans la zone Euro, avec une économie en difficulté et des partis extrémistes en pleine expansion, c’est en fait le désastre assuré. Il faudrait en effet un miracle pour avoir le vote positif de tous les peuples concernés. C’est pour cela que tout le monde en haut lieu préférerait l’option d’un renforcement de la zone Euro à traités constants ou éventuellement avec un autre "traité technique", mais, malgré les solutions ingénieuses proposées par certains économistes, il reste que l’élément politique, fédéral et démocratique, manquera alors. En effet, la création de cet élément ne peut passer que par l’acquiescement des peuples européens aux réformes proposées. Au XXIème siècle, je vois mal comment donner le pouvoir de taxation à une entité fédérale pourrait se passer d’un tel aval.  Il parait donc urgent de procrastiner – ou d’inventer une autre belle usine à gaz la plus illisible possible par les simples citoyens qui rassurera au moins les financiers sur la pérennité de la zone Euro.

En tout cas, un François Hollande qui navigue dans les très basses eaux de l’insatisfaction populaire ne peut rien proposer de bien remarquable aux Français – à part son départ… On remarquera d’ailleurs qu’il s’est bien gardé de faire appel au peuple pour faire passer la réforme constitutionnelle qui vient d’échouer à obtenir le consensus des deux chambres. 

Henri de Bresson : Devant la  menace des guerres du Proche-orient, du terrorisme, de la déstabilisation de l’Afrique, face auxquels les pays européens  donnent un sentiment d’impuissance, on pourrait imaginer que la solidarité s’impose. Mais le réflexe de se refermer derrière ses frontières pour exorciser le diable a la vie dure. L’afflux des réfugiés ont vu l’Allemagne et la France incapables de coordonner leurs politiques d’accueil, leurs recherches de solutions. Accusée pendant la crise de l’euro de manquer de solidarité à l’égard des pays du sud, en premier lieu la Grèce, Angela Merkel s’est vue reprocher cette fois par le Premier ministre français Manuel Valls de déstabiliser ses partenaires en ouvrant trop généreusement ses frontières aux centaines de milliers de réfugiés syriens et autres qui appellent les Européens au secours.   

Le  Conseil des ministres franco-allemand, qui se tient à Metz, doit impérativement mettre fin à cette cacophonie. Même s’ils sont dans des situations économiques et politiques très différentes, Angela Merkel et François Hollande portent une lourde responsabilité dans l’état de déstabilisation où se trouve l’Europe. S’ils ne donnent pas le sentiment que leurs deux pays défendront contre vents et marées avec leurs partenaires les plus proches la construction européenne, alors celle-ci sera véritablement en danger. Que l’un et l’autre ne soit pas dans la situation idéale à un an de leurs échéances électorales qui ne seront faciles ni pour l’une ni pour l’autre, ne change rien à l’affaire. 

La consolidation de la zone euro apparaît à beaucoup comme la réponse évidente, avec l’avantage de confirmer l’émergence de ce noyau dur européen qui a si souvent fait peur mais qui dans la situation actuelle, à quelques semaines du référendum britannique, paraît inévitable. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, ce que démontrent les difficultés actuelles de François Hollande à faire accepter sa réforme du code du travail. L’intégration de la zone euro suppose d’accepter qu’un jour les politiques économiques et sociales des pays membres seront dans leurs grandes lignes débattues et décidées par une instance fédérale qui devra être légitimée démocratiquement. Pour ses partisans, le principe est clair, on ne peut pas rester éternellement entre deux chaises. Mais comment le faire accepter ? L’idée de créer d’ores et déjà un parlement de la zone euro pour préparer les esprits trotte dans l’air. Mais tout dépendra du rôle qui sera dévolu à ses membres. Voudra-t-on une constituante ou une simple instance délibérative ? Qui seront les députés ? Malgré l’importance qu’a prise le Parlement européen, ses membres ont encore bien du mal  à trouver une crédibilité auprès de leurs électorats nationaux. Il serait pire que tout dans les circonstances actuelles de susciter des attentes pour qu’ensuite rien ne se passe.

Plus largement, un renforcement basé sur une budget commun, et un parlement dédié à la zone euro, apparemment souhaité par François Hollande, est il simplement pertinent au regard du contexte européen actuel ? S'agit il d'une solution crédible au regard des enjeux actuels ?

Christophe Bouillaud : Je suis tout à fait d’accord avec la thèse d’un Thomas Piketty qui souligne qu’avec un budget commun et un parlement dédié à la zone Euro les choses se seraient mieux passées depuis 2010. Il s’inspire en fait de ce qu’on peut observer dans toutes les fédérations démocratiques : en cas de crise économique, les Etats fédérés ne sont pas complètement laissés à eux-mêmes pour affronter la crise, et aucun politicien ne se risque à stigmatiser les habitants de la région de la fédération la plus touchée. Aux Etats-Unis, à ma connaissance, personne n’y a dit après 2007 que les habitants des Etats proches des Grands Lacs, les plus touchés par la crise de l’industrie, étaient des fainéants, corrompus, et jouisseurs,  comme on s’est permis de le dire à propos des Grecs depuis 2010. De toute façon, une fédération qui traite de manière trop inéquitable les habitants des Etats qui la composent finit dans la plupart des cas par exploser, soit pacifiquement, soit à travers une guerre civile.  La dialectique démocratique dans une fédération doit respecter tout le monde, ou c’est la fin de la fédération à terme. C’est de cela qu’il faut discuter en Europe : est-ce que le bonheur d’un citoyen allemand vaut autant que celui d’un citoyen grec ou estonien ? Si oui, il faut aller vers la fédération de la zone Euro, si non, il faut acter la fin de toute espérance fédérale européenne – et donc en finir avec le mensonge politique de l’euro.

La solution est donc crédible, mais elle se heurte à l’égoïsme des peuples européens que les politiciens nationaux ont entretenu depuis les années 1950. Pour se sortir de l’ornière, il faudrait déjà commencer par faire en sorte que les dirigeants européens actuels agissent de manière réellement solidaire au profit de tous les Européens et qu’ils arrêtent d’attiser eux-mêmes des égoïsmes qu’ils ne pourront plus combattre à terme.  A ce stade, une vraie relance coordonnée et planifiée de l’économie européenne servirait bien mieux les intérêts de tous que quelque mécano institutionnel que ce soit.

Henri de Bresson : Dans l’état où se trouve  l’Europe, avec le risque d’une sortie des Britanniques et le repli des anciens pays communistes de l’Est sur eux même, la question n’est plus comme avant de savoir comment faire avancer l’Union sans que personne ne se sente mis à l’écart. Lors de la dernière grande vague d’intégration de nouveaux membres, celles des pays d’Europe centrale et orientale, en 2004, les entrants s’étaient engagés à rejoindre l’euro dès que leur situation économique le permettrait. Cet engagement n’a pas été tenu par plusieurs, notamment par la Pologne. Quand aux Britanniques, à force de vouloir une Europe à la carte, ils se sont mis eux aussi de facto à l’écart. Pour ceux qui continuent de penser que l’intégration européenne représente la seule voie pour défendre leur modèle société, il devient donc urgent d’avancer sans attendre l’aval de ceux qui ne partagent plus l’esprit des traités qu’eux aussi ont pourtant signés. 


Mercredi 6 avril, la Commission proposait deux options pour réformer le système d'asile européen : un assouplissement du règlement de Dublin, ou un système de répartition en fonction de la "capacité d'absorption" des Etats membres. Si cette deuxième option a la faveur de l'Allemagne, elle peut être source de tension du côté français. La veille, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schauble, déclarait que la politique de la BCE profitait à tous, sauf à l'Allemagne. Face à des positions difficilement conciliables, un accord franco-allemand est il crédible, et même souhaitable, notamment du point de vue allemand ?

Christophe Bouillaud : Il faut des accords franco-allemands sur ces différents points. En effet, la fragilité perçue et commentée de l’Union européenne est devenue telle que la France et l’Allemagne doivent à tout prix préserver les apparences de leur bonne entente. Les positions sont certes difficilement conciliables, mais on trouvera un accord, aussi tarabiscoté et ambigu soit-il, parce qu’il faut un accord, car une crise ouverte entre la France et l’Allemagne n’est pas une option. En effet, dans ce cas-là, les prédictions sur la fin prochaine de l’Union européenne deviendraient encore plus prégnantes.  Je doute par ailleurs que F. Hollande ait envie de passer dans les livres d’histoire comme le Français qui a cassé l’entente franco-allemande…

Henri de Bresson : Avec l’arrivée massive de réfugiés, les dirigeants des grands partis allemands se sont trouvés confrontés à un rejet de leur politique d’accueil dans une partie importante de la population, notamment dans les régions de l’ancienne Allemagne communiste, où l’extrême droite a fait une percée spectaculaire. Mais ils ont eu aussi un soutien très actif d’une autre partie non moins importante des Allemands. Le débat français, sous l’effet Le Pen, n’a pas eu lieu, chacun partant du principe qu’un accueil massif de réfugiés ne serait pas toléré. Ces différences pèsent sur la qualité de la relation, suscitent des méfiances. Il n’en a pas été autrement lors des négociations sur les politiques européennes pour sortie de la crise financière puis pour éviter la faillite de la Grèce.  Malgré la célébration rituelle du couple franco-allemand, la relation entre les deux grands partenaires n’a jamais été simple. Mais jusqu'à présent, elle a permis à l’Europe de continuer son chemin.  

Confronté à un échec multidimensionnel de son quinquennat, en quoi un projet de "bond en avant" européen permettrait à François Hollande de reprendre la main ? Dans le climat de défiance actuel, ou seuls 26% des français trouvent plus d'avantages que d'inconvénients à l'UE, l'opinion n'est elle pas déconnectée de ce type de questions ?

Christophe Bouillaud : Dans le cas général, les actualités européennes ne sont en effet pas très saillantes pour l’opinion. Elles le sont probablement plus depuis quelques années à mesure que les crises européennes s’enchaînent. A vrai dire, je ne vois pas comment F. Hollande pourrait reprendre la main sur l’opinion publique en s’appuyant sur une réforme de l’Union européenne. Il a en effet accepté en 2012 d’avaliser le TSCG et il a mis en place une politique conforme aux attentes bruxelloises, alors qu’il promettait à ses électeurs de réorienter l’Union européenne. Comment pourrait-il être crédible désormais en 2016 sur ce point ? Il pourrait certes jouer la carte du chaos à venir, en mettant les Français devant un choix référendaire leur proposant, soit la poursuite de l’aventure européenne, soit littéralement la fin du monde – enfin en pratique, surtout la fin de leur épargne, de leur retraite, de leur emploi. Mais, même dans ce cas-là, je ne suis pas sûr que les Français acceptent une telle menace venant de lui. F. Hollande a surtout intérêt à ce que l’économie française se redresse, crée des emplois dans le secteur privé, et que le minimum de réfugiés arrive sur le sol français.

Par contre, il est vrai que du point de vue strictement politicien, il a intérêt à apparaître comme le champion du sauvetage de l’Union européenne à gauche, parce que son principal concurrent actuel à gauche pour la présidentielle n’est autre que Jean-Luc Mélenchon, qui, contrairement à 2012, a décidé de son côté de jouer à fond la carte "nationaliste" ou plutôt "patriotique" dans son cas contre l’Union européenne actuelle. Proposer quelque chose d’important sur l’Union européenne mettrait en difficulté tous les militants de la gauche internationaliste, par exemple les écologistes, qui se sentiraient du coup obligé de rallier le camp de F. Hollande bon gré mal gré. En même temps, ces considérations politiciennes ne doivent pas faire oublier que, pour l’électeur ordinaire, y compris de gauche, à en juger par les derniers sondages disponibles, F. Hollande doit disparaître au plus tôt du paysage politique.

Henri de Bresson : On ne peut pas reprocher aux opinions publiques, quand elles constatent les blocages qui empêchent l’Union européenne de gérer  de manière rationnelle leurs affaires, de s’exaspérer. Les sondages traduisent bien souvent l’incompréhension des citoyens face à l’incapacité de l’Union à prendre des décisions sur les problèmes qui les touchent au jour le jour, comme le dumping social, ou le besoin d’une protection adéquat contre la criminalité, les menaces de conflits.  Que cette incapacité relève d’abord de l’incapacité de leurs gouvernements respectifs à trouver des terrains d’entente n’y change rien. Les sondages ont souvent souligné qu’une véritable défense européenne était un souhait largement partagé. L’incapacité de disposer d’un dispositif opérationnel pour gérer l’afflux des réfugiés aux frontières méditerranéennes  a bien montré qu’il ne s’agissait pas d’un souhait inutile. A ce stade François Hollande ne peut sans doute pas espérer restaurer sa crédibilité en trouvant ces prochains mois un terrain d’entente avec Angela Merkel pour réactiver l’Union européenne, mais il pourra au moins prétendre avoir lui aussi comme ses prédécesseurs contribué à ce que la France tienne son rang comme  force motrice dans le continent.

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