Lutte contre la pandémie
18 mois de pandémie et toujours pas de communication gouvernementale adaptée face au Covid
Entre bouffées régulières de mépris et accumulation de contradictions, comment expliquer que le gouvernement cafouille autant dans sa communication, sur la forme…. comme sur le fond ?
Benoît de Valicourt
Christophe Daunique
Christophe Daunique est consultant en management, spécialisé dans le secteur public. Il publie régulièrement des articles sur son blog personnel (https://christophe-
Atlantico : Alors que la confiance est essentielle pour que l’efficacité sanitaire soit au rendez-vous, la stratégie de communication gouvernementale accumule les bourdes et les contradictions. En enlevant l’obligation du port du masque en discothèque tout en élargissant le pass sanitaire aux lieux de loisirs avec au moins 50 personnes, le gouvernement montre-t-il que 18 mois après ses mesures ne comprennent toujours pas la méthode de propagation du virus ?
Christophe Daunique : Le principal reproche à faire à la communication gouvernementale est d’apparaître comme incohérente car les décisions a priori contradictoires s’accumulent depuis 18 ans. C’était compréhensible au début de la pandémie quand on connaissait peu le virus mais c’est beaucoup moins justifiable aujourd’hui, au vu de l’état des connaissances actuelles.
Idéalement la communication gouvernementale devrait s’articuler autour de principes clairs avec les messages correspondants. J’en donne quelques exemples ci-dessous :
- Le danger : le virus est dangereux car il est potentiellement mortel notamment pour les personnes fragiles, laisse des séquences (Covid long) et peut saturer très rapidement le système de santé ;
- La transmission : elle se fait principalement par aérosols d’où l’importance du port du masque et de l’aération en lieu clos, et l’intérêt de privilégier les activités en extérieur (sans pour autant que le risque soit nul) ;
- Les mesures non-pharmaceutiques : faites-vous tester au moindre doute mais les tests ne sont pas infaillibles (faux négatifs), coopérez avec les autorités pour le traçage afin d’identifier les cas contacts et isolez-vous rigoureusement si vous êtes positif ;
- Les vaccins : ils vous protègent des formes graves de la maladie, contribuent à la réduction de la transmission et génèrent très peu d’effets secondaires.
Tous ces messages auraient dû faire l’objet d’une campagne de communication digne de ce nom de la part des autorités mais elle n’a malheureusement jamais existé. A titre d’exemple, j’avais analysé le clip affligeant sur les gestes barrière de McFly et Carlito ici, ainsi que le premier clip sur la campagne vaccinale là.
Or sans une communication solide, les mesures ne peuvent pas être totalement comprises par la population alors que la contribution de la population est indispensable pour maîtriser l’épidémie. Par exemple, le gouvernement n’a jamais vraiment expliqué en quoi consistait la transmission aéroportée du virus donc les gens ne comprennent pas à quel point le port du masque est important dans un lieu clos et pourquoi il est si important d’aérer. Si on y rajoute en plus le sentiment de libération généré par l’impression de la fin de l’épidémie, cela explique facilement le relâchement de la population du port qui se concrétise par un port du masque moins systématique. Je l’ai constaté moi-même en prenant le train récemment.
Concernant le point que vous citez, à savoir la non-obligation du port du masque en discothèque avec l’élargissement en même temps du pass sanitaire aux lieux de loisirs avec au moins 50 personnes, c’est effectivement difficilement compréhensible pour la population car la discothèque est un lieu avec une activité intrinsèquement plus risquée que celles d’un lieu de loisirs. Une explication potentielle de cette non-obligation aurait pu être de reconnaître que le port du masque est antinomique avec la nature de l’activité (difficile de mettre le masque dans un lieu où on boit) mais que cela justifie en retour des efforts plus importants par exemple avec un pass vaccinal plutôt que sanitaire ou alors un renforcement drastique de l’aération dans ces lieux.
En laissant apparaître de nombreux clusters dûs au variant Delta dans de nombreuses régions, le gouvernement ne perd-il pas l’enjeu premier d'une bonne stratégie vaccinale consistant à vacciner sans laisser l'épidémie se propager ?
Christophe Daunique : La bonne stratégie vaccinale est de vacciner le plus rapidement possible, le plus de monde possible, idéalement à un moment où l’épidémie est maîtrisée car la progression de la vaccination est linéaire alors que celle de l’épidémie est exponentielle et qu’il est donc logistiquement très difficile que la vaccination prenne de vitesse l’épidémie.
En France, la vaccination ne semble pas être suffisante pour contenir la quatrième vague qui est en cours. On ne peut qu’espérer que la couverture vaccinale actuelle permette de limiter les dégâts. Toutefois on regrettera également au passage que le déconfinement s’est une nouvelle fois réalisé sans mettre en œuvre les mesures nécessaires pour maîtriser les contaminations à savoir :
- Un contrôle sanitaire rigoureux des frontières pour éviter d’importer massivement un variant problématique, ce qui n’a absolument pas été fait pour le variant Delta ;
- Un dispositif tester / tracer / isoler efficace, qui ne l’a pas du tout été alors même que le nombre de cas par jour était redevenu inférieur à 5000, seuil considéré comme étant celui où il est réalisable ;
- L’absence complète de sécurisation physique des lieux recevant du public avec un effort sur la ventilation ou au moins sur la mesure du CO2, point abordé en détail dans cet autre article.
Une nouvelle fois, la France, comme les autres pays européens, montre qu’elle ne sait pas maîtriser la transmission du virus et se condamne donc à subir les poussées épidémiques. C’est d’autant plus triste que, encore une fois, il était possible d’anticiper puisque le variant Delta n’est pas sorti de nulle part et avait déjà fait des ravages en Inde.
Un ministre explique au journal Politico qu’ils sont « assez déterminés à maintenir ouvertes des activités comme les discothèques, car sinon, ceux qui se font vacciner n’en voient pas les bénéfices ». Par cette courte citation, le ministre interrogé montre-t-il tout le peu de confiance accordé aux Français durant cette crise ?
Le manque de confiance des Français dans la stratégie gouvernementale est-il le résultat d’un discours trop porté sur la peur de revendications sociales et non sur une bataille contre l’épidémie ?
Après l’annonce d’Emmanuel Macron, les ministres tente d’expliquer la manière dont sera mis en place le pass sanitaire. Y-a-t-il une différence entre la parole présidentielle et le fond de l’application ? Cette communication n’est elle toujours pas adaptée à une crise sanitaire qui mériterait une meilleure transparence ?
Christophe Daunique : Votre question me fait penser à une critique classique et récurrente de la prise de décision en France qu’on voit souvent passer en cours de management. Dans la plupart des autres pays, les gens discutent avant de prendre une décision. En France, le chef impose sa décision et laisse les autres se débrouiller avec, quitte à procéder à des adaptations qui dénaturent parfois complètement la décision initiale.
La prise de décision présidentielle est un exemple caricatural de cette tendance. Les principes fixés ont été plutôt clairs et il revient bien au Président de les affirmer. En revanche, on assiste depuis à des explications et des ajustements ce qui montre que la décision n’a pas été suffisamment préparée en amont que ce soit juridiquement ou même pratiquement. A titre d’exemple, on peut retenir le débat sur l’application du pass sanitaire aux centres commerciaux, au-dessus d’une certaine taille.
Au-delà des ajustements, se pose également une nouvelle fois la question de la cohérence des mesures entre elles. Par exemple, alors que cela n’avait pas été annoncé par le Président, Olivier Véran a déclaré aujourd’hui que le port du masque ne serait plus obligatoire dans les lieux soumis au pass sanitaire. C’est probablement souhaitable à long terme pour retourner à une vie plus normale, mais seulement lorsque la population aura été suffisamment vaccinée. Or ce n’est pas le cas à l’heure actuelle, nous sommes de plus en pleine poussée épidémique et nous avons que les tests ne sont pas infaillibles car ils génèrent des faux négatifs. C’est donc complètement contreproductif.
Pour en revenir à la communication, en temps de crise sanitaire, celle-ci devrait être beaucoup plus transparente. Elle devrait notamment présenter ses hypothèses de travail qui sous-tendent et justifient l’ensemble des mesures afin que la population comprenne pourquoi ces mesures sont prises comme par exemple « la transmission du virus est aéroportée donc j’impose le port du masque en lieu clos ». Cela permettrait de plus de justifier plus facilement des exceptions et de les rendre rationnelles alors qu’elles donnent parfois l’impression d’être prises en fonction de contingences politiques plutôt que scientifiques. Malheureusement ce travail de pédagogie n’est jamais fait et de plus, le gouvernement n’a jamais voulu reconnaître ses erreurs comme par exemple sur les masques.
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