16 idées zombies qui polluent la France (made in “gauche passéiste” mais pas seulement)<!-- --> | Atlantico.fr
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Un zombie de la série Walking Dead
Un zombie de la série Walking Dead
©Flickr

Parlez-vous le mort-vivant ?

"Il faut en finir avec la gauche passéiste", a déclaré Manuel Valls dans une interview accordée à l'Obs. Voici donc 16 "idées zombies" qui parasitent effectivement le débat public, l'action politique et la santé économique du pays. Et elles ne sont pas toutes de gauche.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Florence Legros

Florence Legros

Doyenne d'ICN Business School, Florence Legros était auparavant professeur à l'université de Paris Dauphine où elle a dirigé l'école d'assurance, le magistère Banque-Finance-Assurance et le E-MBA Assurance. Ses recherches portent sur le vieillissement, les pensions, les politiques sociales, l'épargne et leurs effets sur la croissance économique et les flux financiers.

Elle exerce également des activités de consultance pour des administrations internationales, a été experte au sein du conseil consultatif des pensions du Premier ministre français et conseillère scientifique auprès de la Commission européenne. Entre 2008 et 2011, elle a occupé le poste de recteur de la région de Bruxelles-Capitale. Entre 1999 et 2004, elle a été directrice adjointe du CEPII, où elle a participé activement à la création du réseau européen Enepri.

Elle a écrit de nombreuses publications, articles et livres traitant de l'économie du vieillissement.

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Alors que dans le secteur privé, la mesure de l'opérationnel et de son efficacité est un impératif reconnu et maîtrisé, l'action politique française s'est toujours attachée à faire exception à ce principe. C'est ainsi que, sans que rien n'en démontre le bienfondé, certaines idées se sont retrouvées dans l'inconscient collectif auréolées du label "vérité incontestable". Ces "idées-zombies" conservent un poids non négligeable dans le débat public. Parfois même lorsque l'une d'entre-elles a prouvé son inefficacité, elle revient simplement sous une autre forme. En voilà une sélection. 

1 - La fiscalité est un outil de redistribution sociale

Gilles Saint-Paul : La fiscalité est certainement un outil de redistribution, mais le danger est de ne considérer que son aspect redistributif. La fonction première de la fiscalité est de financer les dépenses publiques. Ne voir que son caractère redistributif, conduit à des politiques néfastes. Il en va ainsi de l'ISF qui a conduit de nombreux riches à s'expatrier et qui est un impôt à rendement faible voire négatif. De même la stupide taxe à 75 % du gouvernement Hollande qui a pour effet d'humilier les riches afin de donner du grain à moudre aux envieux de tous bords, mais qui n'a aucun intérêt du point de vue de l'optimisation de la fiscalité.

2 - L'emploi est un gâteau qui se partage : diminuer le temps de travail permettra de faire baisser le taux de chômage

Gilles Saint Paul : Il s'agit d'une erreur très répandue. Elle va même plus loin : pour certains, ce n'est pas l'emploi qui est un gâteau qui se partage, mais la production totale. Cette erreur est encore plus grave car elle implique que le progrès technique, au lieu d'accroître le bien-être, est néfaste à l'emploi. Je me souviens de déclarations de Mme Aubry pour qui il était inévitable d'aller toujours plus loin dans la RTT car c'était le seul moyen de faire face aux gains de productivité. Si l'on suit cette ligne de raisonnement, comme la productivité ne cesse d'augmenter sous l'effet du progrès technique, on devrait à terme ne plus travailler du tout. Ce serait déjà le cas si cette manière de voir avait prévalu depuis le XIXème siècle - en effet, la productivité a été multipliée par vingt depuis. Fort heureusement, au lieu de travailler vingt fois moins, nous sommes vingt fois plus riches. On voit donc à quel point cette perspective malthusienne pourrait être néfaste dans le long terme. D'ailleurs les 35 heures ne sont pas étrangères à nos problèmes actuels de compétitivité, loin de là ; et le fait de prendre sa retraite plus tôt  que les autres contribue à plomber les comptes de notre Etat-providence. On note d'ailleurs que les pays qui travaillent plus (que ce soit en termes de volume horaire ou d'années travaillées au cours de la vie), comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, ont une performance supérieure à la nôtre en termes d'emploi.

Florence Legros : Ce mythe-là vient effectivement parasiter les processus de décision. J’ai souvenir, lors du recul de l’âge à la retraite entre 2010 et 2011, que les manifestant scandaient des slogans du type "deux ans d’emploi en plus = un million de chômeurs en plus". Pour autant, les départs en pré-retraite n’ont pas diminué le chômage des jeunes, tout comme l’opération qui a consisté à renvoyer les femmes de plus de deux enfants à la maison en 1993, grâce à l’allongement des congés parentaux. Cela n’a pas amélioré le taux de chômage chez les jeunes, ou bien chez les seniors.

En 2012 toujours, Eva Joly proposait de passer aux 32 heures de travail hebdomadaire… Antoine Bozio, qui dirige aujourd’hui l’Institut des politiques publiques, a démontré qu’au contraire les pré-retraites, en augmentant les prélèvements obligatoires avaient augmenté le taux de chômage chez les jeunes.

3 - Recruter des fonctionnaires améliore le bien public

Eric Verhaeghe : On retrouve cette idée chez des frondeurs comme Christian Paul qui préconise de recruter des chercheurs publics et de limiter l’effort en faveur de la recherche privée pour améliorer la croissance économique.

Là encore, les frondeurs ne s’occupent nullement du mal-être des fonctionnaires trop nombreux et broyés par une machine pléthorique et incontrôlable, pas plus qu’ils n’ont cure des faibles performances du service public en France. C’est une logique idéologique qui est ici à l’œuvre : le fonctionnaire, par principe, est vertueux et égalitaire.

Là encore, les frondeurs sont injustes avec Manuel Valls, qui refuse de sabrer dans les effectifs, même s’il "redistribue" les plafonds d’emplois.

4 - La France a besoin d'immigration pour pallier le manque de main-d’œuvre 

Gérard-François Dumont : Cette affirmation est principalement portée par l’Union européenne, dans la mesure où l’UE (1)  fait une analyse globale pour les 28 pays sans tenir compte des spécificités géographiques de chaque pays. Toutes les communications de la Commission européenne sur le sujet consistent alors à déclarer que l’UE a économiquement besoin d’immigration. En réalité, lorsqu’on regarde la situation française, son économie n’a pas – comptablement besoin d’immigration dans la mesure où elle se caractérise par une population active qui ne diminue pas. Sa population active augmente même, contrairement à celle d’autres pays européens. En outre, le taux d’emploi est en France très faible, nettement plus faible que la moyenne de l’Union européenne, surtout chez les jeunes et seniors. Le problème économique numéro 1 de la France est donc d’augmenter le taux d’emploi des jeunes et seniors pour faire baisser le taux de chômage.

Néanmoins, certains chefs d’entreprises, dans certaines activités, rencontrent des difficultés pour recruter de la main-d’œuvre en France et sont favorables à de l’immigration économique. De telles attitudes ne tiennent nullement à une insuffisance de population active. Elles s’expliquent d’abord par l’inadéquation des formations par rapport aux besoins de l’économie, comme l’insuffisance de formations techniques et générales et, a contrario, l’excès de formations moins nécessaires, comme la psychologie ou la sociologie. L’explication tient aussi au fait que trop de personnes résidant en France manquent d’une certaine appétence pour certains métiers, ou pour une nouvelle embauche lorsque le système de protection sociale leur permet d’avoir un pouvoir d’achat supérieur en inactivité qu’en acceptant un emploi. D’autres personnes sont difficilement employables en raison des insuffisances de l’éducation nationale qui ont pour conséquence un taux d’illettrisme trop élevé. Dans ce contexte, certains chefs d’entreprises, ne parvenant à recruter en France, sollicitent des immigrants. Pourtant, la composition actuelle de l’immigration en France n’est pas favorable puisque le taux de chômage moyen des immigrants en France est plus élevé que la moyenne ; celui des immigrants originaires de Turquie est même deux fois plus élevé que cette moyenne.

5 - Les populations défavorisées habitent dans les banlieues des grandes villes

Gérard-François Dumont : Cette affirmation est très largement fausse. Dans mon livre sur la géographie urbaine de l’exclusion (2), j’ai montré que, dans les six plus grandes métropoles françaises (Lyon, Marseille, Lille, Nice, Toulouse et Bordeaux), la pauvreté est très souvent davantage localisée en centre-ville. C’est, à part Lyon, dans les communes-centre de ces agglomérations que l’indice synthétique d’exclusion que j’ai mis au point est le plus élevé. L’idée reçue est que ce qu’on appelle la gentrification, c’est-à-dire l’installation des catégories supérieures dans les centres villes réhabilitées ces deux dernières  décennies, est le phénomène unique. Certes, il existe, mais, dans le même temps, c’est également dans ces centres-villes que l’on retrouve une proportion importante d’habitats insuffisamment salubres, avec les personnes fraîchement issues de l’immigration, des étudiants, ou des populations marginalisées, qui ne disposent donc pas de revenus satisfaisants.

6 - Subventionner les quartiers défavorisés permettra de venir à bout de leurs difficultés

Gérard-François Dumont : En réalité, les quartiers défavorisés résultent des mauvaises politiques d’urbanisme mises en œuvre dans les années 1960-1970, avec deux défauts majeurs. Le premier est la mauvaise localisation de ces quartiers, dont nombre  se trouvent enclavés et donc mal desservis par les transports publics ou des transports publics d’insuffisante fiabilité. Au lieu de construire ces nouveaux quartiers sur le foncier ou en continuité de villes préexistantes (3), à proximité des réseaux de transport par exemple, ils ont été localisés "à l’écart de la ville", comme le Val Fourré à Mantes-la-Jolie, le quartier des musiciens au Mureaux, la Rose-des-Vents ou la Cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois…

Le second défaut tient à la conception urbanistique, issue des idéologies fonctionnalistes dominant dans les années 1960, précisément due à l’idéologie anti-humaniste de la charte d’Athènes de 1932. Cette conception a privilégié les barres et les tours, sous prétexte de densification. Or la réalité est contraire : des quartiers de barres et de tours sont moins denses que des maisons de villes, et même quatre fois plus faibles que les quartiers haussmanniens à Paris.

Ce ne sont donc pas des subventions qui corrigeront ces erreurs, mais des politiques de recomposition urbaine prenant en compte à la fois ces deux erreurs originelles, et non seulement l’une des deux. Parallèlement, l’État devrait assumer dans ces quartiers, comme ailleurs, d’abord ses fonctions régaliennes touchant à la sécurité et à l’éducation.

(1) Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin - Sedes, 2014.

(2) Dumont, Gérard-François (direction), Géographie urbaine de l’exclusion dans les grandes métropoles régionales françaises, Paris, L’Harmattan, 2011.

(3) Dumont, Gérard-François (direction), La France en villes, Paris, Sedes, 2010.

7 - L’Etat stratège dirige mieux l’économie que le marché 

Gilles Saint Paul : Il s'agit d'une idée qui remonte aux années 30, lorsque l'URSS affichait des taux de croissance spectaculaires tandis que l'Occident s'enfonçait dans la dépression. Elle a été reprise par le gaullisme. De Gaulle, dans ses mémoires, considère que le marché n'est bon qu'à régir des biens de consommation sans importance. Tout ce qui est "stratégique" doit être piloté par l'Etat. Cela a conduit à toute une série de fiascos : plan calcul, Concorde, Quaero, etc. En fait, nos politiques ont bien conscience de l'inanité de la planification, qui a été démontrée par l'effondrement du bloc communiste. Mais plus l'économie est planifiée, plus le politique a de pouvoir, et donc plus grande est sa clientèle et plus grandes sont ses possibilités de réélection. On a donc depuis les années 60 essayé de ménager la chèvre et le chou en pratiquant la "planification à la française", ce qui permet  de maintenir un capitalisme de connivence au profit d'une oligarchie, sans pour autant sombrer dans les délires ubuesques des économies collectivistes.

8 - Les marchés se régulent d'eux-mêmes

Gilles Saint Paul : Cette idée est extrêmement minoritaire en France mais elle explique la vague de déréglementation du secteur financier qui a précédé la crise dans les pays Anglo-Saxons. La crise a remis en question cette conception et on assiste à une vague de re-réglementation. Reste à savoir si les régulateurs ne sont pas systématiquement en retard d'une guerre, car par définition il leur est impossible de réglementer les nouveaux produits, et nombre de ces nouveaux produits sont une adaptation du marché à la réglementation.

9 - L’Etat est l’instrument de l’égalité

Eric Verhaeghe : Cette idée défendue par Benoît Hamon, par exemple, emporte des conséquences simples, comme l’axiome selon lequel plus il y a d’Etat, plus il y a d’égalité.

Si Manuel Valls n’en est pas encore à réduire la place de l’Etat, il tente de la stabiliser et fait mine de s’attaquer aux extravagants déficits français. Pour la gauche traditionnelle, cette stabilisation de la place de l’Etat est interprétée comme un frein à l’égalité. Et tant pis si, chaque fois que l’Etat s’empare d’un sujet, il est avéré qu’il produit de l’inégalité comme dans le domaine scolaire où les enfants d’ouvrier voient leur origine sociale peser beaucoup plus que dans d’autres pays sur leurs résultats académiques.

10 - Le déficit public est républicain

Eric Verhaeghe : Il faudra un jour chercher à comprendre l’origine de cette idée qui est un contresens historique, puisque le déficit des comptes publics était une habitude de la monarchie contre laquelle les révolutionnaires ont lutté.

Peut-être faut-il voir ici une résurgence de la théorie keynésienne selon laquelle l’investissement public est un instrument de relance économique. Le problème tient tout entier au fait que la gauche post-marxiste voit dans toute dépense publique un investissement. Pour la gauche recruter un fonctionnaire totalement inutile, c’est déjà investir.

Sur ce point, le procès intenté par la gauche à Manuel Valls est très injuste : il ne réduit pas le déficit, il se contente de l’endiguer. Peut-être les frondeurs rêvent-ils de voir le déficit s’accroître…

11 - La relance économique par la demande favorise l'embauche

Gilles Saint Paul : Il s'agit d'une idée keynésienne de base. Elle est défendue en général par les syndicats qui considèrent en outre qu'une façon privilégiée de relancer la demande consisterait à augmenter les salaires (il en existe bien entendu d'autres, comme l'utilisation de la politique monétaire et budgétaire). Cette idée est également partagée par de nombreux économistes, par exemple ceux de l'OFCE, qui s'inscrivent dans une tradition keynésienne. Last but not least, le secteur financier est généralement friand de politiques de relance, notamment monétaire, parce que cela lui permet de se refinancer à bas coût et de réaliser des plus-values sur les marchés d'actifs.

Cette idée n'est pas nécessairement fausse mais on a tendance à l'appliquer sans discernement. La relance par la demande fonctionne ou pas selon les circonstances. Elle peut être contre-productive en cas de crise aigüe des finances publiques. De plus, même si elle fonctionne à la marge, cela ne signifie pas pour autant que l'on doive y recourir de façon illimitée tant que le plein emploi n'est pas rétabli, au risque de provoquer une catastrophe budgétaire.

Cette vision simpliste du rôle de la demande n'est pas étrangère à la crise fiscale que nous connaissons en ce moment. En période de récession, on a laissé filé les déficits de manière inconsidérée. En période de boum, on n'accumule pas de surplus de peur de tuer la reprise. Sur le long terme, cela se traduit par une dérive de la dette et des déficits, ainsi que des dépenses publiques. Les économistes keynésiens sont en quelque sorte les idiots utiles de crypto-marxistes pour lesquels il faut toujours plus d'Etat

Florence Legros : Nous vivons dans une économie basée sur la demande. Nous faisons alors des emplois-aidés destinés à résorber le chômage, ce qui est curieux puisqu’en principe on reconnaît que le coût du travail sur les emplois non qualifiés est un frein. Du coup, cela empêche d’avoir une vraie réflexion sur la formation des gens. Les emplois-aidés concernent souvent des personnes inemployables. Or ils sont tellement couteux à mettre en place qu’il ne reste plus un rond pour les former.

12 - Il suffit de distribuer de l’argent aux universités pour améliorer la recherche et l’innovation

Florence Legros : Cette idée est une idée-zombie car elle fait de l’ombre à la réalité, qui est que tant que l’Université française ne se sera pas réformée en profondeur, en ajoutant une sélection à l’entrée qui fait des universités française des gouffres financiers, les fonds déployés manqueront effectivement d’efficacité. Cette idée, portée par l’Unef dont est issu Bruno Julliard, cache encore une fois la réalité. Et ce n’est pas un hasard si le prix Nobel d’économie de cette année provient de l’université de Toulouse, qui a eu le courage de fonctionner différemment.

13 - Une réforme du marché du travail doit passer par le dialogue social avec les partenaires sociaux, représentatifs des salariés et du patronat

Gilles Saint-Paul : Cette conception fait partie du consensus sur le "modèle social français" qui prévaut depuis 1945. Elle n'est virtuellement remise en question par aucun média ni aucun parti politique. Pourtant elle est problématique à bien des égards. D'une part, on confère un pouvoir quasi législatif à des personnes qui ne sont pas élues, et dont les organisations sont fort peu représentatives. D'autre part, les négociations salariales ne prennent pas en compte les intérêts des "outsiders", ce qui peut nuire à l'efficacité et à la création d'emploi. Par exemple, le patronat fait typiquement des concessions, tels que "nouveaux droits" pour les salariés, qui augmentent le coût du travail et réduisent l'embauche. Ces mesures nuisent aux demandeurs d'emploi, qui ne sont pas représentés à la table des négociations. Elles sont également plus difficiles à supporter par les PME, ce qui explique pourquoi la CGPME tend à s'y opposer en vain, tandis que le MEDEF, qui représente les grandes entreprises, s'y retrouve partiellement, parce que ces entreprises sont plus productives, et parce que ces mesures ont tendance justement à mettre des bâtons dans les roues à leurs concurrents plus petits.

14 - Il faut décourager les licenciements par la réglementation

Gilles Saint-Paul : Cette conception a évolué au cours du temps. La tendance à la "criminalisation" du licenciement commence avec les accords de Grenelle : l'Etat gaulliste a dû payer le soutien des "insiders" de la CGT contre les contestataires de mai 1968 en leur offrant de nombreuses garanties contre le licenciement. L'autorisation administrative a ensuite été introduite sous Valéry Giscard d'Estaing pour endiguer la montée du chômage dans les années 1970. Il s'agissait d'une mesure opportuniste qui permettait à court terme de limiter la hausse du chômage, tandis que les inconvénients de cette mesure ne se feraient sentir qu'à plus long terme, sous la forme d'une embauche réduite. La gauche, en 1989-92, et à nouveau en 2002, a renforcé la protection de l'emploi, selon sa vision que la relation entre employeur et employé est une forme d'exploitation dont l'employé est victime. D'où l'idée de ne tolérer le licenciement économique que lorsque celui-ci est indispensable pour sauvegarder l'entreprise. La droite, sous l'influence du patronat, a généralement combattu cette conception et a tenté à diverses reprises d'assouplir le licenciement. Au cours du temps, un modus vivendi a émergé: les entreprises conservaient un volant de flexibilité grâce aux CDD, et les syndicalistes, pour la plupart en CDI, n'étaient pas affectés par cette précarité. Cette situation est généralement considérée comme néfaste, et bien des économistes prônent un contrat unique. Cependant, je doute qu'un tel contrat unique voie le jour, car cela réanimerait les clivages entre partenaires sociaux. La situation actuelle est stable au sens où la flexibilité se fait au détriment de catégories de travailleurs qui sont peu représentés dans les négociations collectives. 

15 - L’entreprise est un lieu d’aliénation

Eric Verhaeghe :  Avec l’affaire du Tweet de Gérard Filoche sur la mort de Christophe de Margerie, une fracture est apparue : d’un côté ceux pour qui un patron est par essence un exploiteur, de l’autre ceux pour qui un patron peut être un homme de bien

Derrière cet affrontement, c’est la mission même de l’entreprise qui fait l’objet d’une divergence. La gauche post-marxiste la perçoit toujours comme un lieu d’aliénation, quand un Valls la salue comme un élément incontournable de l’économie.

16 - L’individu n’est pas responsable de son sort

Eric Verhaeghe : Dans la polémique ouverte sur la réforme de l’assurance chômage par Manuel Valls, un spectre s’est profilé dans l’ombre des idées reçues : un chômeur peut être au chômage parce qu’il n’a pas envie de chercher un emploi. Cette affirmation pas complétement dévoilée est en pointillé derrière les propos du Premier ministre. Elle est à rebours de la conception de la vieille gauche pour qui l’individu est le jouet de forces sociales qui le dépassent.

A quand la ringardisation des principes d’éducation, qui continuent à plomber notre jeunesse ?

Propos recueillis par Alexis Franco

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