1515 Marignan ou 1715, 1815, 1915 années maudites : de quel côté l’Histoire de France versera en 2015 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La plupart des autres années en 15 marquèrent douloureusement l'Histoire du pays.
La plupart des autres années en 15 marquèrent douloureusement l'Histoire du pays.
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Malédiction

1515 consacra une victoire française, mais la plupart des autres années en 15 marquèrent douloureusement l'Histoire du pays. Reste à savoir si la série noire sera perpétuée en 2015... Ou si nous aimons simplement jouer à nous faire peur.

Laurent Avezou

Laurent Avezou

Laurent Avezou est historien, spécialiste des mythes historiques. Il a notamment publié Raconter la France : histoire d’une histoire (Paris, Armand Colin, 2008), La Fabrique de la gloire : héros et maudits de l’histoire (Paris, PUF, 2020), et Verdun et les lieux de mémoire de la première guerre mondiale (Paris, Larousse, 2024).

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1914 : début de la Première Guerre mondiale, entrée dans une gigantesque bouche d’ombre de cette civilisation occidentale si imbue de sa supériorité morale et technique.

1815 : Waterloo. Fin de l’épopée napoléonienne, dont la France sort plus petite qu’elle n’y était entrée. La carte de l’Europe est redessinée pour un siècle par le Congrès de Vienne.

1715 : mort de Louis XIV. Fin de l’interminable Grand siècle (qui, au reste, avait cessé d’être "grand" depuis bien des années). L’année précédente, la fin de la guerre de succession d’Espagne a enterré les rêves d’hégémonie française sur l’Europe.

1415 : bataille d’Azincourt. La fine fleur de la chevalerie française subit face aux Anglais une saignée mémorable, par son inconséquence tactique. Le royaume, déjà meurtri par la folie de son roi Charles VI et par la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, ne se relèvera qu’avec l’intervention de Jeanne d’Arc en 1429.

1315 : le temps des ligues. La monarchie capétienne est défiée par des associations de barons, de prélats et de villes qui revendiquent le maintien de leurs privilèges et profitent du desserrement de l’emprise royale, après la mort, l’année précédente, de Philippe le Bel, le "roi de fer" cher à Maurice Druon.

Y aurait-il une Fatalité de l’an XV (ou de l’an 14-15), pour reprendre le titre du livre de Bernard Lecherbonnier et Serge Cosseron récemment paru aux éditions l’Archipel ? Non. D’abord parce que la malédiction est parfois réversible.

1214 : victoire de Philippe Auguste à Bouvines. Le roi de France triomphe de la coalition formée par les grands barons du nord avec l’empereur germanique et le roi d’Angleterre. La monarchie capétienne s’affirme comme première mouture de la nation française, avec la participation de tous (nobles, clercs, bourgeois) à la bataille. L’année suivante, le roi d’Angleterre se voit imposer la Grande Charte, texte qui ébauche la monarchie parlementaire à venir.

1515, victoire de François Ier à Marignan, année solaire pour la France – même si c’est le caractère suggestif de la date, si facile à retenir, qui a contribué à la notoriété d’une bataille dont, à proprement parler, on ne sait plus trop à quoi elle a servi.

Et puis il y a les années neutres. 1614-1615 : majorité de Louis XIII et ultime réunion des états généraux avant la Révolution. La véritable rupture est avant, avec l’assassinat d’Henri IV en 1610, ou après, avec la prise de pouvoir effective par Louis XIII en 1617, et surtout en 1624, avec la promotion, comme premier ministre, de Richelieu.

Alors, à défaut d’une "fatalité de l’an XV", y aurait-il une reconfiguration cyclique constituée d’un faisceau de faits concentrés sur quelques années au début de chaque siècle ? Que ces reconfigurations existent, c’est indéniable. Ces crises sont des accélérateurs de particules historiques, des coups de shakers dont sort un nouveau cocktail de civilisation.

Mais pourquoi se concentreraient-elles en 14-15 de chaque siècle ? Tout simplement parce que certains exégètes ont décidé de le mettre en exergue et de suggérer à un public friand de simplifications qu’il ne peut en être autrement. Il y a pourtant toujours moyen de déplacer le curseur. Sur 89 par exemple. En 1989, avec l’effondrement du bloc de l’Est, la sensation a été immédiate que le petit XXe siècle qui avait commencé par la Grande guerre avec quatorze années de retard se terminait avec onze années d’avance par la fin de la guerre froide. En 1889, la IIIe République sort renforcée de la crise boulangiste et l’Exposition universelle de Paris, marquée par l’élévation de la tour Eiffel, sanctionne le triomphe momentané de la civilisation industrielle. 1789 : début de la Révolution française, dont l’onde de choc mondiale est indéniable, tout chauvinisme mis à part. 1689 : début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg,  bien oubliée aujourd’hui, mais qui fut déjà, en son temps, une guerre mondiale. 1589 : avènement d’Henri IV, qui va faire sortir la France des guerres de Religion.

Arrêtons-nous là, car, en-deçà de 1589 (comme de 1214), les échos cycliques sont moins éloquents. Mais reprenons aussitôt le petit jeu avec les "faisceaux 45-48", qui marchent tout aussi bien que les duos 14-15. 1945-48 : de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début de la Guerre froide, on a changé de siècle en plein XXe siècle. 1848 : avec le Printemps des peuples, les nations européennes se rebellent contre les Empires-prisons et les régimes autoritaires. 1748 : fin de la guerre de succession d’Autriche. Angleterre, Russie et Prusse confirment leur essor, France, Espagne et Autriche accusent le coup. 1648 : fin de la guerre de Trente ans et redécoupage géopolitique d’envergure. En-deçà, c’est moins net. Mort de François 1er en 1547 ? Fin de la guerre de Cent Ans en 1453 ? Et puis, come back retentissant du faisceau, avec la grande peste noire de 1347-1348, qui envoie au tombeau entre le tiers et la moitié de la population européenne.

Les années 29-30, ou 68-70 ne seraient pas mal non plus. Mais il ne faut pas abuser des bonnes choses. Les ruptures sont inévitables dans la trame historique, mais elles ne sont pas ressenties partout en même temps, et il est impossible de les anticiper à coup sûr. L’histoire n’est pas une science exacte. On peut y déceler des analogies, des retours cycliques, mais les phénomènes n’y sont jamais reproductibles à l’identique. N’en déplaise à ceux qui veulent se donner l’illusion de la prévisibilité en rétablissant un peu de cohérence dans le chaos de l’actualité. Comme il leur est doux d’imaginer qu’on va vivre en 2015 le grand frisson tant attendu ! On ne sait jamais : à force d’y croire, et sur un malentendu, ça peut marcher. Comme ça a marché pour les conquistadores espagnols qui, en 1519, sont arrivés au Mexique à la fin du siècle de 52 ans des Aztèques, moment propice, selon la tradition, aux bouleversements. Il ne restait plus à Cortés et à ses soudards qu’à faire coïncider cette prédiction à la fois attendue et redoutée avec la réalité, et ce fut la fin de l’Empire aztèque.

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