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15 ans après le 11 septembre: pourquoi Ben Laden est bien parvenu à remplir certains de ses objectifs
©Reuters

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Calendrier défini, objectifs clairement précisés pour chacune des périodes considérées, actions à entreprendre, etc. Rien n'a été laissé au hasard dans la stratégie développée par Al-Qaïda il y a près de vingt ans. Bien que l'organisation ait connu certains succès, surtout au début des années 2000, sa stratégie globale semble toutefois bien compromise.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le 11 septembre 2001, Al-Qaïda lançait une série d'attaques coordonnées contre les Etats-Unis. Quel était alors le plan de l'organisation terroriste ? Dans quelle stratégie celle-ci pouvait-elle s'intégrer ? 

Alain RodierLa stratégie d’Al-Qaïda qui, faut-il le rappeler, avait été créé formellement par Oussama Ben Laden lors de son séjour au Soudan de 1992 à 1994 sur l’inspiration d’Abdallah Azzam (assassiné en 1989), comportait sept étapes bien définies dans le temps.

La première, qui devait avoir lieu entre 2000 et 2003, consistait à "récupérer la nation [musulmane] et l’éveiller". Cela rendait nécessaire d’ "assener un coup dur sur la tête de la vipère à New York pour lui faire perdre la raison afin qu’elle recourt à des ripostes qui puissent sacrer Al-Qaïda". Cet objectif a été parfaitement atteint, les attentats du 11 septembre poussant les Américains à déclarer la guerre au terrorisme (1), à envahir l’Afghanistan, puis l’Irak. C’est vraiment à partir de ces deux interventions qu’une partie du monde musulman s’est sentie directement agressée par les "croisés". Cela a permis à Al-Qaïda de se présenter comme étant son unique défenseur crédible.

L’exemple le plus significatif est le cas irakien : quoique ait déclaré Washington à l’époque, Al-Qaïda n’était pas présent dans ce pays en 2003. C’est l’invasion déclenchée sous de faux prétextes, puis l’insurrection qui a suivi, qui ont vu Al-Qaïda y développer une branche. Cette dernière était dirigée par Abou Moussab al-Zarqaoui considéré aujourd’hui comme un des principaux maîtres à penser de Daech. Toutefois, Al-Qaïda ne l’a jamais renié non plus, même s’il entretenait des relations orageuses avec le docteur Ayman al-Zawahiri, alors numéro deux de la nébuleuse.

(1). Ce qui ne veut strictement rien dire car on ne fait pas la guerre à un moyen de combat mais à l’idéologie qui l’utilise.

15 ans après cette victoire éclatante aux yeux des djihadistes, qui a notamment permis de montrer au monde que les Etats-Unis étaient faillibles, que peut-on dire de l'état d'avancement des plans d'Al Qaida au sens large ? 

Il convient de reprendre les autres étapes prévues par les idéologues d’Al-Qaïda :

  • 2003-2006 : "ouvrir les yeux". Ben Laden pensait que l’Irak servirait de creuset pour des combattants qui seraient ensuite envoyés vers d’autres terres de djihad. En réalité, c’est l’inverse qui s’est passé : des djihadistes provenant d’Afghanistan, du Maghreb, d’Arabie saoudite, du Caucase, etc. ont afflué en Irak, majoritairement via la Syrie, pour y combattre les "croisés" et les chiites considérés comme des apostats.
  • 2007-2010 : "s’éveiller et se mettre debout". Le but consistait à recomposer le Proche-Orient en mini-États communautaires, ce qui devait placer Al-Qaïda en position de force pour ensuite modifier profondément le monde arabo-musulman dans son ensemble. C’est effectivement ce qui est en train de se passer depuis les "printemps arabes" mais Al-Qaïda n’a pas la position de force escomptée. La nébuleuse est en concurrence avec son ancienne branche irakienne (l’Etat islamique d’Irak renommé État islamique d’Irak et du Levant), connue sous le vocable Daech. Mais à la différence de ce dernier mouvement, pour palier à son manque de puissance opérationnelle, Al-Qaïda accepte de collaborer avec d’autres formations islamiques radicales, quitte à disparaître "officiellement" comme en Syrie. C’est ainsi que le Front al-Nosra est devenu le Fatah al-Cham. Bien sûr, ce n’est qu’une tactique de dissimulation, les objectifs finaux restant inchangés (la création d'un califat mondial).
  • 2010-2013: "rétablissement" qui devait voir le renversement de tous les régimes en place dans le monde musulman, Al-Qaïda étendant sa guerre d’usure contre les États-Unis. Cela incluait une guerre cybernétique qui devait nuire à leur économie. Toujours dans ce but, les sites pétroliers arabes devaient être incendiés pour priver l’Occident de leurs principales ressources énergétiques. Enfin, l’or aurait dû remplacer le dollar pour les tractations internationales ! Là, force est de constater qu’Al-Qaïda a échoué totalement et s’est lourdement trompé en ce qui concerne l’économie mondiale. La nébuleuse avait de bons chefs militaires et des théologiens de haut niveau mais de piètres économistes !
  • 2013-2016 : la restauration du califat devait intervenir durant cette période. L’axe anglo-saxon et Israël connaîtraient un affaiblissement notable et le califat devrait entretenir des relations apaisées avec la Chine et l’Inde considérées comme "non inamicales" vis-à-vis des musulmans ! L’erreur d’analyse est criante. Non seulement ses économistes n’étaient pas bons mais ses experts en géostratégie ne valaient guère mieux (1). Zawahiri a rectifié le tir en considérant désormais l’Inde et la Chine comme des terres de djihad. Quant à l’axe anglo-saxon et Israël, ils sont loin d’être affaiblis. Une remarque pour l’Etat hébreu : si Al-Qaïda cite régulièrement la cause palestinienne dans ses déclarations (Azzam était palestinien), l’attention portée à ce drame par la nébuleuse est toujours restée relativement limitée.
  • 2016-2019 : la "confrontation ultime" devrait voir Al-Qaïda diriger un milliard et demi de musulmans contre les "impies" avec 2020 comme date butoir pour la septième phase, la "victoire finale". Ces objectifs sont absolument irréalistes dans la mesure où le monde musulman reste profondément divisé et ses dirigeants politiques hostiles à la vision salafiste-djihadiste de l’islam. A noter qu’il y a là une différence fondamentale entre Daech, qui considère les chiites comme des "apostats" qui ne peuvent être pardonnés, alors qu’Al-Qaïda fait preuve de plus de modération les assimilant à des musulmans "égarés" qui peuvent revenir dans le droit chemin.

(1). Al-Qaïda, comme tout le monde, s’est laissé surprendre par les printemps arabes et pourtant la nébuleuse bénéficiait de nombreux agents de renseignement dans le monde arabo-musulman.

Les documents retrouvés dans la maison de Ben Laden à Abbottabad au Pakistan, où il a été abattu en mai 2011, montrent que le dirigeant d'Al-Qaïda essayait de capitaliser sur les révoltes dans les pays arabes à cette époque et sur le Pakistan pour étendre ses positions. Qu'en est-il de cet objectif, alors que le Front al-Nosrah, rebaptisé Fatah al-Cham qui combattait le régime d'Assad, a annoncé cet été avoir rompu ses liens avec Al-Qaïda ?

Comme cela a été expliqué ci-avant, le plan initial est caduc. Bien que n’étant pas à l’origine des révolutions arabes, il est vrai que la nébuleuse a tenté de prendre le train en marche. Mais au Pakistan, ce phénomène ne s’est pas passé. Par contre, Al-Qaïda est toujours très présent dans la zone "Afpak" (à cheval sur l’Afghanistan et le Pakistan) et le conflit qui l’oppose à Daech a encore resserré les liens entretenus avec les talibans. Comme la partie afghane de ce mouvement est actuellement à l’offensive, Al-Qaïda va vraisemblablement prospérer dans les années à venir.

Quelles sont aujourd'hui les perspectives envisageables pour l'organisation terroriste ? 

A la veille du quinzième anniversaire des attentats du 11 septembre, Zawahiri a diffusé une vidéo dans laquelle il menace les États-Unis de répéter les attaques qui ont frappé New York. Il affirme ne rien regretter assurant aux Américains qu’elles étaient "le résultat de vos crimes contre nous". La victimisation est une technique rodée employée quotidiennement dans la propagande djihadiste aussi bien par Daech que par Al-Qaïda. Il accuse aussi la Maison Blanche de soutenir des gouvernements "criminels et corrompus" (sous-entendu, les régimes en place dans les pays musulmans) et d’occuper plusieurs pays arabo-musulmans. Il conclut que si Washington ne change pas son fusil d’épaule, le 11 septembre "va se répéter des milliers de fois". Là, il est très optimiste. Dans un autre message, il appelle les Afro-américains à se révolter contre le système "blanc". La guerre des civilisations est déjà recherchée par les salafistes-djihadistes qui espèrent ainsi réunir l'oumma (la communauté des croyants) sous leurs bannières ; si elle devient une guerre raciale, ce serait encore mieux pour eux. Tout ce qui peut affaiblir les mécréants est bon à prendre !

L’objectif principal d’Al-Qaïda reste donc les États-Unis mais la France n’est pas loin sur la liste, d’autant qu’elle est en première ligne au Sahel contre les franchises d’Al-Qaïda. Toutefois, la nébuleuse ne parait pas avoir les capacités opérationnelles nécessaires pour frapper les États-Unis comme lors du 11 septembre (1). Par contre, elle continue à exister, voire à se renforcer, du fait de sa tolérance vis-à-vis des autres mouvements islamistes radicaux avec lesquels elle souhaite collaborer, notamment en zone Afpak, au Sahel, en Somalie, dans le Caucase, en Syrie, en Indonésie, etc. même si elle y est fortement concurrencée par Daech. Al-Qaïda tente aussi de se réimplanter en Irak.

Plus inquiétant que tout, la cause salafiste-djihadiste prônée par Al-Qaïda et Daech semble rencontrer un regain d’attractivité au sein de la jeunesse musulmane mondiale. Et il est extrêmement difficile à nos sociétés de proposer une alternative crédible et motivante à cette idéologie.

(1). Et les résidents qui y mènent des attaques trouvent plus "porteur" de se revendiquer de Daech.

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