100% énergies renouvelables : l’échec abyssal des Canaries (qui avaient pourtant tout pour réussir sur le papier)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Le projet a été mené par des gens qualifiés pour donner à une île une production électrique entièrement décarbonée.
Le projet a été mené par des gens qualifiés pour donner à une île une production électrique entièrement décarbonée.
©Capture d'écran Total

Energies renouvelables

Une île des Canaries a tenté un projet 100% renouvelable. Conçu dans les années 2010-2015, il a pour but de donner à une île une production électrique entièrement décarbonée.

Vincent Bénard

Vincent Bénard

Ingénieur et économiste, Vincent Bénard analyse depuis plus de 15 ans l’impact économique et sociétal des décisions publiques, pour le compte de plusieurs think tanks et partis politiques promouvant les libertés économiques et individuelles.
 
Il est l'auteur de deux ouvrages “Logement, Crise Publique” (2007) et “Foreclosure Gate, les gangs de Wall Street” (2011).
Voir la bio »

Atlantico : Une île des Canaries a tenté un projet du 100% renouvelable, quel était le projet ?

Vincent Bénard : C’est un projet qui a été imaginé à la fin des années 2000 et conçu dans les années 2010-2015. Le projet a été mené par des gens qualifiés avec pour objectif affiché de donner à une île, El Hierro, une production électrique entièrement décarbonée. Il semble que sur le papier, l’île avait les conditions idéales. En quelque sorte, si ça ne marchait pas là, cela ne marcherait nulle part. C’est un endroit particulièrement venteux, avec des vitesses de vent de 9 m/s en moyenne, ce qui est très intéressant pour avoir un facteur de charge conséquent (environ 50%). C’est une petite île mais avec du relief. Et notamment avec un cratère de vieux volcan pouvant permettre d’installer une STEP : station de transfert d’énergie par pompage. C’est aujourd’hui le moyen considéré comme  le plus efficace de stocker l’énergie éolienne. Le rendement est normalement supérieur à 80%. Donc il a fallu construire deux bassins et une usine hydroélectrique. C’est l’un des problèmes du renouvelable : il faut multiplier les infrastructures pour pallier l’intermittence. Ils ont été prudents, ils ont conservé les générateurs diesel de l'usine pré-existante pour pouvoir pallier cela. Donc quand le vent ne souffle pas il faut combler l’intermittence, évidemment, mais il faut aussi faire attention car le vent est capricieux et peut produire des variations brutales de courant dans la grille. Donc il faut une forme d’amortisseur de choc. Pour cela, il faut que dans les stations de backup, il y ait des turbines avec une inertie suffisamment faible pour pouvoir répondre de façon quasi-instantanée à la production de courant. Dans une grille électrique, il faut qu'à tout moment l'électricité injectée corresponde à la demande. S’il y a un décalage cela entraîne un blackout, ce qui peut endommager les systèmes.

À Lire Aussi

COP 15 sur la biodiversité : la 6e extinction de masse peut-elle vraiment être freinée ?

La STEP a-t-elle tenu son rôle ?

Une étude de 2012, après avoir comparé les performances de plusieurs turbines, avait conclu que la STEP serait un meilleur amortisseur des à-coups de puissance éolienne que le diesel. Sauf que cela s’est révélé faux, comme des études indépendantes l’ont constaté. On peut notamment citer celles de Benjamin Jargstorf et Roger Andrews qui se basent sur les rapports de performances trimestriels de l’exploitant. Ils montrent que la STEP n’a pas tenu son rôle d’amortisseur et que c’est l'usine diesel qui a dû jouer ce rôle. Pourtant, les porteurs de projet avaient mis plusieurs atouts de leur côté. Les éoliennes choisies, coûteuses, devaient normalement permettre de lisser autant que possible, les à-coups réseau. Ils ont investi des sommes importantes, 82 millions dans ce projet. Les éoliennes seules, sans STEP, auraient coûté 4 à 5 fois moins cher. L’essentiel du surcoût vient de la STEP, mais celle-ci n’a produit que 4% de l’électricité et le backup n’a été assuré quasiment que par le diesel. Jargstorf va même à dire que pour la stabilité de la grille, il vaudrait mieux se débarrasser de la STEP et qu’on pourrait même arriver à ne pas consommer plus de fioul en faisant juste de l' éolien-diesel. 

Est-ce que tout avait été bien anticipé ?

On pourrait dire que les promoteurs du projet ont essayé, et qu'ils se sont trompés. Les ingénieurs disent qu’il était évident dès le départ que le bassin de la STEP était trop insuffisamment dimensionné. Reste à savoir s’ils se sont trompés naïvement ou s’ils l’ont fait sciemment. En effet, le prix de revient du KWh sur l'île est estimé à 80 centimes d'euros, d'autres estimations parlent de 1,38€ du KWh une très mauvaise année. Les usagers sont facturés au tarif espagnol, soit à 25 centimes, des subventions compensant l’écart de prix. Mais le gouvernement local a négocié une subvention très généreuse basée sur la capacité installée et non sur les résultats. Donc les subventions obtenues sont bien trop importantes au regard des résultats réels, notamment en termes de baisse des émissions de GES.

À Lire Aussi

Recyclage du plastique : comment les chimistes s’attaquent au problème

Quelles conclusions en tirer ?

L’endroit était idéal, avec beaucoup de vent et une population raccordée de taille modeste, donc si ça ne marche pas sur cette île pourquoi est-ce que cela marcherait ailleurs ? Il n’y a qu’assez peu d’endroits où l’on pourrait installer des STEP. Le potentiel STEP en France est de 7 TWh/ an, soit moins de cinq jours de consommation. Certains affirment qu'on pourrait aujourd'hui les remplacer par des batteries, mais cela relève encore du fantasme économique et technologique. D’autant qu’il faudrait miner tellement de matériaux pour créer les batteries nécessaires que nous ne serions pas sûr d’avoir les ressources nécessaires pour fabriquer la seconde génération lorsque la première arriverait en fin de vie, ce qui est à l'opposé de la notion de "développement durable". Le seul back-up raisonnable de l'intermittence,  techniquement et pour l'instant, est fossile.  Cela peut éventuellement réduire un peu l'intensité carbone au jour le jour, mais avec le nucléaire, la France n’a pas besoin de ça. Et la solution n’est pas plus d’éoliennes, car le problème c’est le vent. Faire plus d’intermittent au même endroit ne règle pas les problèmes d’intermittence. Si on disposait d'une technologie de backup pilotable et décarbonée très souple et peu chère, ce serait bien. Mais dans ce cas-là, quel serait l'intérêt d’avoir une infrastructure d'éoliennes en plus de l'infrastructure déjà décarbonée ? En France, nous avons du nucléaire pour assurer la base load de la grille, de l’hydraulique, relativement pilotable, et dans la configuration actuelle nous avons besoin de tout juste un peu de fossile pour la stabilité de la grille et gérer les fluctuations courtes de la demande. L’exemple allemand nous le montre, plus d’éolien ça veut dire plus de fossiles pour le back up et 5 à 6 fois plus d'émissions de gaz à effet de serre à production égale. Dans ces conditions, déployer des éoliennes en France n'a absolument aucun intérêt, ni économique, ni même conceptuel. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !