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100 imams envoyés par l’Algerie pour diriger des prières en France : faut-il croire aux promesses de l’islam de Cordoue promu par Alger ?
©Reuters

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Lors d'une rencontre avec son homologue Gérard Collomb, le ministre des Cultes algérien Mohamed Aissa a annoncé qu'il allait envoyer 100 imams algériens en France pour participer au Ramadan.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Le ministre des Affaires religieuses algérien, Mohamed Aissa, a annoncé que l'Algérie enverrait 150 imams, dont 100 en France, à l'occasion du Ramadan. Ces derniers ont été sélectionnés minutieusement. Cette mesure, mise en place en accord avec le ministre de l'Intérieur (et donc de Cultes) Gérard Collomb vise à promouvoir un "islam de modération". Cela vous semble-t-il être une bonne idée ?

Alexandre Del Valle : Un des pôles les plus modérés de l’Islam de France est depuis longtemps l’Islam algérien de la Grande Mosquée de Paris. La Mosquée de Paris avant cela était marocaine mais est depuis des décennies algérienne. Les imams de la Mosquée de Paris sont souvent nommés par l’Algérie, elle est co-financée par l’Algérie. Il est vrai, et on le constate, que ce n’est pas parce qu’un Islam est français qu’il est modéré. Il y a des salafistes, Français de troisième génération qui ne sont pas particulièrement financés par l’Arabie Saoudite, et inversement, des immigrés algériens qui sont parmi les plus modérés qu’on ait en France. Il n’y a donc pas de règles : ce n’est pas parce qu’on est Français qu’on est modéré et parce qu’on est étranger qu’on est radical. 

Aujourd’hui le plus grand lieu représentant d’un Islam tolérant et correct (même s’il y a des choses à critiquer), c’est la Mosquée de Paris et le réseau qu’elle dirige en France. 

Cette sélection nationale ne risque-t-elle pas d’accroître les tensions communautaires qui se sont amplifiées après l'arrivée à la tête d'Ahmet Ogras ?

En ce qui concerne Ahmet Ogras, ce n’est pas un problème, car il est à la tête d’une organisation plurielle, représentant toutes les tendances, mais qui n’a pas de lien direct et hiérarchique avec les imams. De son côté, le Ministère des Cultes turc envoie régulièrement des imams en France auprès des communautés turques. Si les Algériens envoient leurs imams partout, dans le cas des Turcs on observe une très important endogamie, les imams n’allant qu’auprès des populations dont ils sont issus. Ce qui fait qu’ils représentent un danger en ce qu’ils ne sont pas qu’islamiques. Ce sont des réseaux religieux qui véhiculent aussi une appartenance turque et donc un nationalisme turc. 

Il n’y a donc pas de concurrence : les mosquées turques ne parlent pas arabe, les mosquées arabes ne parlent pas turc.Ils n’ont ni le même imam, ni les même mosquée ni le même réseau.

Et en même temps, il faut constater que l’Islam de France est aujourd’hui dirigé par des Turcs, des Frères musulmans, des Pakistanais… On est loin d’avoir un Islam de France !

Le fait de faire appel à des imams algériens est-il dès lors une mesure de court terme ?

A mon avis oui, mais en même temps aujourd’hui on n’a pas de formation susceptible d’assurer la présence d’un clergé compétent et opérationnel en France, parce que peu a été fait dans la matière, on est resté dans une logique d’Islam consulaire, c’est-à-dire un Islam dépendant de chaque « consul », où les Marocains ont leur réseau, les Algériens leur réseau, les Turcs leur réseau, les Pakistanais leur réseau etc. 

Aujourd’hui il y a un décalage entre un Islam qui se veut étranger et l’importante population qui n’est plus étrangère depuis longtemps mais française. Et malheureusement, plutôt que de faire un Islam de France, on a conservé le pouvoir qui avait été accordé aux pays d’origine qui encadre non-seulement les migrants algériens, turcs ou autres mais ont aussi pris une sorte de pôle position pour encadrer les descendants de ces personnes dont ils essayent donc d’empêcher l’intégration. Et ça, c’est un problème, car on peut penser que la situation serait tout à fait descendante si on avait un Islam de France pour les 2e et 3e générations. Chaque pays fait en sorte de garder le contrôle non seulement sur leurs ouailles, leurs compatriotes, mais aussi leurs descendants. 

Chez les Algériens, c’est moins le cas, on a beaucoup moins ce phénomène. Mais en revanche chez les Turcs, les Pakistanais, il y a une volonté d’encourager ce que j’appelle la désassimilation, c’est-à-dire faire en sorte que les jeunes ne s’intègrent pas. Et malheureusement, même chez les Algériens, il est vrai qu’il peut y avoir des cas similaires, avec des personnes peu soucieuses des valeurs de notre République. Et c’est le problème de fond qui demeure malgré tout : tant qu’on fera venir des imams de l’étranger, c’est qu’on continuera à percevoir l’Islam comme extérieur, comme étranger. Les descendants d’immigrés musulmans qui vont à la mosquée continueront à penser que cela signifie ne pas être français. 

"La France et l’Algérie sont d’accord pour que se développe un Islam de Cordoue ouvert aux autres et créant un monde moderne étincelant en tous les points de vue" a aussi déclaré le ministre des Affaires religieuses algériennes. Qu'est-ce qu'un "Islam de Cordoue" ? Est-ce souhaitable ?

C’est souhaitable. Mais les faits sont relativement différents. Autant je vous ai dit que la Mosquée de Paris est un pôle relativement modéré, en revanche en Algérie, la situation est différente. Les athées sont persécutés, on s’en prend à ceux qui ne fêtent pas le Ramadan, des lois sont venues renforcer la ségrégation des chrétiens, la conversion à une autre religion que l’Islam est interdite… Si l’Algérie était un havre de tolérance républicaine, cela se saurait. Cette volonté de l’Islam de Cordoue est peut-être la volonté de quelque personnes, mais dans les faits, même si l’Algérie combat l’islamisme politique et le terrorisme (et ce depuis la guerre civile), elle a connu un durcissement des conditions de vie des musulmans non-pratiquants, des autres criyants, des apostats. 

Je pense donc que malheureusement, dans ces propos, il y a une part de double-jeu qui m’ennuie.

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