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1€ de dividende distribué pour 1€ d’augmentation de salaire : pourquoi la proposition de Benoît Hamon n’a économiquement pas de sens (même quand on souhaite comme lui plus de justice sociale)
©JOHN THYS / AFP

Faux ami

A l'occasion d'une interview donnée à RMC le 21 mars dernier, Benoît Hamon déclarait "Si on veut que les salaires augmentent, que les gens vivent bien, il faut des règles. Pour 1€ de dividende distribué, 1€ d'augmentation de salaire."

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : A l'occasion d'une interview donnée à RMC le 21 mars dernier, Benoît Hamon déclarait "Si on veut que les salaires augmentent, que les gens vivent bien, il faut des règles. Pour 1€ de dividendes distribué, 1€ d'augmentation de salaire. Quand il y a bénéfices, a minima, on répartit la richesse 50/50 entre actionnaires et travailleurs ". En partant de son origine que peut être l'investissement, comment mesurer le "coût" que peut avoir fiscalement la distribution des dividendes ?

Thomas Carbonnier : Le dividende est une somme d’argent versée aux actionnaires après paiement de l’Impôt sur les Sociétés sur décision d’Assemblée Générale. Il rémunère la prise de risque de l'actionnaire alors que le salaire rémunère le travail du salarié. Les deux notions sont naturellement fort différentes.

Il ne peut exister de dividende que si la société distributrice a payé un impôt sur les sociétés sur ses bénéfices. Sinon, il ne peut pas y avoir de dividende ! Il n’est donc pas possible d’augmenter le salaire d’un euro par euro de dividende distribué. Chaque euro de salaire supplémentaire viendrait diminuer le résultat d’exploitation (autrement dit le bénéfice imposable) et donc diminuer le dividende distribuable…

De nombreux hommes et femmes politiques gagneraient à étudier la comptabilité, la fiscalité, la finance et l’économie en général !

Mais allons encore plus loin dans l’idéologie : lorsque l’actionnaire n’est pas rémunéré ou que la valeur de son action perd un euro, le salarié acceptera-t-il également de diminuer d’autant son salaire ? Au fond, soyons socialiste, partageons les richesses jusqu’au bout, partageons aussi les pertes avec les salariés !

En cas de faillite de la société, l'actionnaire n'a aucune garantie de restitution de son capital. Pire dans les sociétés où la responsabilité de l'actionnaire n'est pas limitée à son apport (exemple : société en nom collectif, forme obligatoire pour les débits de tabac), la faillite de la société peut également entrainer la sienne ! En revanche, le salarié a le droit à la perception de ses salaires par l AGS puis à une indemnité par pôle emploi.

Les deux situations sont donc très différentes et justifient une rémunération différente.

En l'absence d'actionnaires, il n'y aurait pas d'investissement et encore moins d'emploi... Un salarié peut être actionnaire et inversement. Le cumul des deux est possible et est déjà utilisé dans de nombreuses entreprises comme un outil de motivation du salarié.

Malheureusement certains socialistes ont souhaité alourdir la fiscalité applicable à ces instruments de capitaux au point que de leur faire perdre tout intérêt ! Stock-options ou attributions gratuites d’actions sont désormais tellement taxées en France qu’elles sont de moins en moins utilisées pour motiver les salariés… alors…à qui la faute ? A l’entreprise ou au politique… ?

Une règle simple devrait être instaurée : pour être élu politique, le candidat devrait avoir été chef d’entreprise pendant 10 ans. Il comprendrait ainsi nettement mieux les attentes des citoyens français. Beaucoup de réformes stupides seraient ainsi évitées et le pays serait bien plus aisément sur les rails de la réussite économique. Malheureusement au rythme actuel, la France de demain pourrait être l’Inde d’aujourd’hui !

Michel Ruimy : Lorsqu’une société réalise des bénéfices ou qu’elle dispose de sommes distribuables, les associés peuvent décider de s’en attribuer tout ou partie en effectuant une distribution de dividendes. Ceux-ci sont, en quelque sorte, les étrennes des actionnaires sauf qu’ils ne tombent pas à Noël, mais au printemps, après la publication annuelle des résultats des entreprises.

Pour certains, au vu des montants considérables en jeu, ce paiement de dividendes est perçu comme une intolérable injustice sociale et jouerait contre la croissance et donc contre l’emploi. Bien plus que le coût du travail, il limiterait notre compétitivité. Pour souligner que ce qui est dilapidé au lieu d’être utilement utilisé pour créer des emplois, ils mettent en parallèle la courbe des versements de dividendes (en forte hausse ces dernières années) et celle des investissements (nettement en berne).Selon les données de l’Insee, les sommes versées, exprimées en euros constants, auraient doublé en un peu plus de vingt ans : de près de 80 milliards d’euros en 1996, elles seraient passées à environ 180 milliards aujourd’hui.

A y regarder de près, les choses sont pourtant loin d’être aussi simples. En fait, il s’agit d’une simple illusion d’optique. Un tel gonflement n’a rien de scandaleux puisqu’il reflète l’évolution des méthodes de financement des entreprises. Jusqu’au milieu des années 1990, les sociétés avaient, en effet, tendance à s’adresser à leur banque plutôt qu’à leurs actionnaires pour financer leurs investissements. Elles versaient donc beaucoup d’intérêts et peu de dividendes pour rémunérer leur capital productif. Aujourd’hui, pour développer leur business, elles comptent plus volontiers sur les capitaux propres fournis par les familles (TPE, PME), les « business angels » (start-up), la Bourse (grandes entreprises) ou simplement par leur maison mère (filiales de groupes). Du coup, la valeur globale des actions non cotées, qui a quadruplé en 20 ans, représente aujourd’hui la moitié des capitaux productifs. Ainsi, il n’est pas étonnant que la part des dividendes dans la richesse nationale ait tant augmenté ces dernières années : ils se sont simplement substitués aux intérêts.

Mais, ces chiffres masquent d’importantes disparités : alors que les PME maintiennent, en général, leurs actionnaires au régime sec - autrement dit, les dirigeants de PME ont davantage mis d’argent dans leur affaire qu’ils n’en ont pris -, les grandes firmes du CAC 40 tendent à en distribuer plus largement. Or, ce sont ces dernières qui sont exposées médiatiquement. Voilà sans doute pourquoi une bonne partie de l’opinion a aujourd’hui une vision biaisée de la réalité. Brandir ces chiffres en étendard comme le font certains ne suffit pas à clore le sujet. Car, pour une société, la décision d’acheter de nouvelles machines et distribuer plus de revenus ne tient évidemment pas seulement à ses capacités financières. Elle dépend aussi de la conjoncture, du climat général et des opportunités qui se présentent.

Au plan fiscal, l’introduction, en 2018, d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax) de 30% sur les revenus du capital devrait s’avérer moins coûteuse pour les finances publiques - de l’ordre de 900 millions d’euros contre 1,3 milliard pour 2018prévu initialement - car les entrepreneurs se sont versé plus de dividendes. Ce changement de comportement devrait perdurer en 2019. C’est pourquoi, les prévisions d’impôt sur le revenu pour 2018 ont été relevées de 600 millions d’euros, dont une partie provient de meilleures recettes sur ce PFU.

Si trop d’impôt tue l’impôt, il se pourrait que la réciproque puisse aussi se vérifier.

Si une telle répartition peut paraître souhaitable au regard des conditions du marché, c'est à dire dans une économie en pleine expansion, en quoi peut-elle dangereuse instituée en "règle" et donc valable en toutes configurations de marché ?

Michel Ruimy : La notion de « juste salaire » risque d’alimenter les débats politiques et philosophiques encore longtemps. Au plan historique, elle a fait son apparition avec Thomas d’Aquin, au XIIIème siècle, à une époque où commence à se poser la question sociale. L’homme serait un animal social et toute activité humaine doit être considérée en fonction de ce qu’elle apporte au bien commun. Elle est encore d’actualité dans un contexte où l’on parle d’intelligence artificielle, blockchain, de robots…

Il ne faut pas oublier qu’une entreprise existe pour faire du business. Plus l’on met de freins à la création d’activité, moins on crée d’emplois. Plus qu’une règle d’airain, il conviendrait d’adopter une lecture souple des conditions de l’exercice.

Tout d’abord, il pourrait s’agir d’un système « à la carte » où le dirigeant de l’entreprise s’engagerait, lors de chaque versement de dividendes,à rembourser une partie des aides et / ou subventions qu’il a reçues car aujourd’hui, l’Etat et les collectivités territoriales ne récupèrent rien sur ce qu’ils donnent aux entreprises.Une problématique qui alerte les citoyens car les entreprises sont aidées sur des fonds publics. C’est un fréquemment rencontré au plan local lorsqu’une société fait jouer la concurrence entre les territoires pour se développer où installer une nouvelle usine.

De plus, il y a un frein au plan « technique ». Lorsqu’une société réalise un bénéfice, celui-ci n’est pas forcément distribuable. Elle pourra le distribuer à condition qu’il n’existe plus de pertes antérieures à apurer, que la réserve légale doit dotée (jusqu’au seuil de 10% du capital social) et que les éventuelles réserves statutaires obligatoires le soient également.

Ensuite, une autre limite serait un risque sur la compétitivité de l’économie française. Dans une économie mondialisée, si les entreprises du CAC40 distribuentmoins de dividendes à leurs actionnaires, la France risque de se marginaliser.

Enfin, reste que la proposition de Benoît Hamon de faire contribuer le capital au pacte de responsabilité, risque de se heurter à la variété des formes d’entreprises et de leur actionnariat. En effet, il y a une grande différence entre les groupes du CAC40 et leurs actionnaires internationaux et les patrons de PME (actionnaires majoritaires) qui se payent sur les résultats de leur entreprise. Il n’est pas sûr qu'on puisse leur appliquer la même rigueur.

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